grève reconductible

Mobilisation contre les lois Blanquer : la grève reconductible, c’est pas automatique


 

Dans huit départements, dont deux de la région Occitanie, des assemblées générales de personnels de l’Éducation nationale ont voté le 9 mai le démarrage d’une grève reconductible pour le mardi 14 mai. À Toulouse et Montpellier, sans attendre d’être majoritaires, les enseignants grévistes tentent de convaincre leurs collègues que « c’est le bon moment » pour durcir le mouvement et essayer de faire reculer le gouvernement.

 

Assis et réunis en assemblée générale devant le rectorat de Toulouse bloqué, les tours de parole s’enchaînent. Fred du Snes-FSU, le syndicat majoritaire dans l’enseignement secondaire pose son constat : « Il faut que l’on soit lucide, pour l’instant, la grève reconductible ne prend pas dans nos établissements. Pour autant, les collègues n’y sont pas fondamentalement hostiles. » Si l’intersyndicale départementale (Snuipp-FSU, Snes-FSU, CGT éduc’action, Sud-éducation, FO) a lancé ce mot d’ordre à l’unisson, les grévistes restent encore largement minoritaires dans les établissements, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire : « Dans mon bahut, je suis la seule gréviste », témoigne une enseignante de Frouzins, un village du Sud-ouest toulousain. Mais tous s’accordent sur un point : la grève reconductible doit permettre de s’organiser, d’étendre le mouvement. « Il faut la rythmer avec des temps forts, des manifs par exemple », avance Fred.

Les 180 participants à ce blocage du rectorat font partie d’un noyau dur d’enseignants qui s’activent contre la réforme Blanquer depuis l’hiver. Se joignant par liste mail, ils et elles ont multiplié les actions depuis mars : blocages du rectorat, de lieux symboliques comme la Toulouse Business School ou manifestation en vélo avec déploiement de banderoles à travers la ville pour informer des raisons de leur grève. Un événement les a soudés. Le 19 mars alors qu’ils sont une petite centaine à bloquer les nombreuses entrées du rectorat, un ponte du lieu empêché de rentrer, les prévient : des sujets du concours d’agrégation doivent sortir du bâtiment ce matin sans quoi l’épreuve ne sera pas assurée. Après un vote, le refus de lever le blocage entraîne une intervention policière d’une grande violence. Les travailleurs et travailleuses de l’éducation qui s’accrochaient aux grilles sont délogés manu militari à grandes giclées de gaz lacrymogènes.

 

 

Ce mardi matin, parmi les bloqueurs levés tôt pour lancer des slogans devant le rectorat, on ne trouve pas que des grévistes. C’est le cas de cet enseignant du lycée des Arènes qui bloque le rectorat à 7 h du matin, mais donne un cours à 13 h à ses terminales. Le poids de la « conscience professionnelle est parfois lourd à porter », témoigne un professeur des écoles, qui, malgré sa motivation dit ne pas pouvoir faire grève, car il a « une classe avec beaucoup d’enfants en difficultés qu’il ne peut pas laisser tomber ». Il en va de même pour cette autre enseignante qui, malgré l’envie, ne se permet pas de cesser le travail quand elle a une sortie scolaire ou une réunion importante. De réels freins pour un mouvement reconductible effectif.

À 200 kilomètres de là, des professeurs des écoles et enseignants du secondaire arrivent par grappes à l’assemblée générale en plein air fixée à 9 h dans les jardins du Peyrou, dans le centre-ville de Montpellier. Eux aussi entament le 14 mai une grève reconductible. La date ne doit rien au hasard. C’est ce jour-là que le projet de loi « pour une école de la confiance » arrive au Sénat après un vote en première lecture à l’Assemblée nationale au mois de février. Le vote solennel est lui prévu une semaine plus tard, mais déjà, les sénateurs ont revisité le texte sur plusieurs points en commission. Parallèlement à la loi sur l’école de la confiance, les réformes du baccalauréat et de la voie professionnelle se mettent progressivement en place.

Le but de l’assemblée générale est fixé d’emblée au micro d’une sono portative par un syndicaliste de Sud-éducation qui se charge d’animer la réunion : construire la grève reconductible. L’idée est de saisir une fenêtre de tir avant que les examens de fin d’année ne commencent dans le secondaire et que la loi ne soit votée définitivement, ce qui leur rendrait la tâche plus difficile. Pour le moment, ils sont 40 à être réunis en assemblée générale. Soit le nombre de votes exprimés en faveur d’un mouvement continu lorsque les enseignants se sont réunis le 9 mai pendant la journée de grève de la fonction publique. Mais pas plus. Même si une partie des grévistes du jour ne se sont pas déplacés, l’appel à un mouvement reconductible n’a pas vraiment élargi sa base depuis la semaine dernière. En tout cas pas au-delà des plus déterminés.

 

Aller chercher les collègues !

 

« L’information n’est pas trop passée dans les écoles », intervient une institutrice. Tout du moins, pas dans toutes. Ainsi, s’affiche pendant l’assemblée générale une grande disparité de situation. Ici, des équipes éducatives mobilisées avec les parents d’élèves depuis plusieurs semaines qui organisent un planning de roulement des enseignants en grève. Là, une institutrice isolée sur son école, ailleurs une poignée de grévistes dans un des gros lycées de la ville, et enfin beaucoup d’écoles ou collèges où il ne se passe pas grand-chose en dehors des grosses journées de mobilisation.

« Les collègues sont peu au courant du contenu réel des réformes », assure Damien qui enseigne l’histoire en lycée professionnel. En fait, les enseignants semblent moins massivement mobilisés que ce que les bons taux de grévistes des 19 mars, 4 avril et 9 mai, pourraient laisser imaginer. Une impression que confirme Monique, une syndicaliste de Sud-éducation qui dit avoir pris « une claque » à l’occasion d’une tournée dans les écoles avant la grève du 9 mai, en constatant le nombre de ses collègues qui n’étaient pas au courant de la journée d’action. Pourtant trois jours plus tard, les cortèges enseignants ont fait le plein. Du coup, la quarantaine de personnes présentes en assemblée générale ce mardi a décidé d’aller à la rencontre des non grévistes pour informer et tenter d’élargir la mobilisation.

Les enseignants toulousains font face aux mêmes préoccupations. « La question maintenant c’est de ramener d’autres tronches que les nôtres, d’autres tronches que celles que nos collègues esquivent dans les couloirs des bahuts, parce qu’ils en ont marre de nous entendre parler de grève », témoigne une gréviste, acclamée par l’assemblée. Cette minorité mobilisée est une locomotive qui doit encore trouver des wagons voulant bien s’accrocher à elle. Pour ce faire, certains comptent s’inspirer d’un autre mouvement, celui des gilets jaunes. « Eux aussi, même s’ils n’étaient qu’une minorité, ils ont bousculé le pouvoir », assène Naïma. Du coup, la décision est prise par l’assemblée de leur écrire pour leur signaler soutien et présence à venir dans les manifestations du samedi.

À Montpellier, le dernier contact avec les gilets jaunes n’a pas été un franc succès. Alors, en guise de locomotive ou de convergence, les yeux se tournent plutôt en direction de la grève pour le climat du 24 mai. Mais pour Christophe à Toulouse, la solution n’est pas nécessairement à chercher en dehors du mouvement. Enseignant au collège Raymond Badiou dans le quartier de la Reynerie, il rappelle qu’une consultation y a été menée par les enseignants : 27 collègues sur 33 seront potentiellement en grève le jour du brevet s’il y a un appel.

En attendant, pour étendre le mouvement, des équipes se constituent pour couvrir l’essentiel des écoles, collèges et lycées de Montpellier entre midi et deux. La tournée des établissements rencontre des fortunes diverses. Si l’accueil a été assez bon dans les écoles, dans le secondaire les grévistes ont eu plus de difficultés à échanger avec leurs collègues. Face à des salles des professeurs souvent vides, la communication s’est limitée à des tracts dans les casiers et une affiche accrochée sur les panneaux syndicaux. Mais même dans le primaire, la tournée des écoles n’a pas eu pour effet que des instituteurs rejoignent le mouvement de grève. « Les collègues étaient intéressés et contents de nous voir. Ils nous ont encouragés à continuer », rapporte une des grévistes. Par contre, aucun n’a signalé son intention de se mettre en grève dans les jours à venir.

 

Une détermination trop minoritaire

 

« Il y a un décalage entre les besoins de la mobilisation et une tendance pour de nombreux collègues à vouloir éviter la grève », analyse Monique du syndicat Sud-éducation de l’Hérault. Ainsi, d’autres types d’actions se font jour : occupation des directions d’école par les parents, écoles mortes ou encore actes de désobéissance. En réalité, les épines dans le pied du mouvement enseignant ne manquent pas. « Nos collègues ne veulent pas se mettre en grève parce qu’il n’y a pas d’appel national des syndicats. Qu’est-ce qu’on leur répond ? », interroge une gréviste toulousaine. Et, le sentiment de « n’avoir rien gagné depuis 1995 », fait des ravages. Un avis que partage une enseignante en lycée professionnel à Montpellier : « les collègues n’y croient plus, même si aucun ne défend la réforme. Ils ne croient plus à l’action collective ».

Des difficultés qui font douter Franck de la réussite de la tentative de grève reconductible. « À Paris ou Lyon, c’est fragile. Les collègues de Vaulx-en-Velin partis en reconductible n’ont pas vraiment réussi à élargir la grève. Dans d’autres villes comme Lille, Grenoble ou Rennes, c’est inexistant », confie ce militant de la CNT éducation. Pour ne rien arranger, la FSU appelant à une manifestation nationale à Paris le 18 mai, un samedi sans journée de grève afin d’associer les parents, le Snes-FSU de Montpellier ne s’est pas associé à la tentative de grève reconductible. Une position qui semble en phase avec une tendance au « tout sauf la grève », probablement majoritaire chez les enseignants.

Cela n’empêche pas les grévistes de poursuivre le mouvement. À Toulouse, la grève, déjà votée par l’assemblée générale pour mardi et mercredi, sera reconduite jeudi. À Montpellier elle est reconduite jusqu’à la grève pour le climat du 24 mai, même si elle risque d’être un peu à la carte : établissement par établissement, voire enseignant par enseignant. Cependant, elle libère du temps pour les enseignants les plus déterminés, en leur permettant de mener des actions pour maintenir la pression.

 

Guillaume Bernard et Stéphane Ortega