Jordan Bardella, retraites à 64 ans

Retraites à 64 ans : Bardella abandonne à leur sort 78 % à 93 % des salariés

 

Fini la retraite à taux plein à 60 ans avec 40 annuités pour tous, promise il y a encore trois ans par le Rassemblement national. Remis à plus tard ou jamais, l’âge légal de départ à 62 ans, encore défendu l’an dernier par Marine Le Pen, pendant la réforme des retraites. Pour les législatives, Jordan Bardella ne prend l’engagement d’améliorer le sort que de quelques dizaines de milliers de salariés, sur les quelques 700 000 par an qui partent à la retraite.

 

En matière électorale, c’est une innovation. Là où la plupart des hommes politiques reviennent sur leurs promesses après les élections, Jordan Bardella se fait plus disruptif qu’Emmanuel Macron. Il recule, avant même le scrutin.

« J’ai un impératif de justice sociale, c’est les carrières longues […] je souhaite que ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, puissent partir à 60 ans avec 40 annuités », a affirmé Jordan Bardella jeudi 20 juin, devant un parterre de patrons, lors de l’audition par le Medef des candidats aux élections législatives. Une mesure envisagée pour l’automne prochain qu’il a confirmé ce lundi, à l’occasion de sa conférence de presse détaillant le contenu de son programme. Toute autre mesure de justice sociale sur le dossier des retraites est renvoyée à plus tard, après un audit sur les finances publiques que le Rassemblement national anticipe déjà comme catastrophique.

 

Combien de salariés pourraient partir à 60 ans pour carrières longues ?

 

Jordan Bardella a chiffré sa mesure à 1,6 milliard d’euros par an, qu’il compte compenser par la suppression de l’Aide médicale d’État (AME). Une façon de brosser son électorat dans le sens du poil en visant l’immigration.

« Si l’on se tient à leurs chiffres, avec l’hypothèse que cela permette de partir deux ans plus tôt en moyenne, cela ferait de l’ordre de 45 000 personnes concernées », calcule Michael Zemmour. Soit dix fois moins qu’un retour à l’âge légal à 62 ans qui « concernerait deux tiers des salariés, soit environ 500 000 personnes », explique l’économiste spécialiste de la protection sociale et des retraites.

Mais ce n’est pas le seul problème. « Si l’on regarde l’énoncé de leur mesure – 40 annuités pour ceux qui ont travaillé avant l’âge de 20 ans – cela devrait concerner trois fois plus de personnes. Autour de 150 000. Mais cela coûterait trois fois plus cher », assure Michael Zemmour. De quoi douter de la sincérité ou de la compétence du candidat au poste de Premier ministre. Avec une enveloppe annoncée à 1,6 milliard, soit l’ensemble des personnes ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans et ayant cotisés 40 ans ne partiront pas à la retraite à 60 ans, soit la mesure coûtera près de 5 milliards d’euros.

 

 

« Avant la réforme de 2023, il fallait 42 annuités pour que les carrières longues partent à 60 ans. En 2016, cela concernait 23 % des gens », continue l’économiste, sur près de 700 000 nouveaux retraités l’an dernier (hors pensions de réversion). Si ce pourcentage est descendu à 16 % en 2023 selon l’assurance retraite, cela devrait représenter bien plus de personnes que les 45 000 qui correspondent aux 1,6 milliard d’euros de dépenses annoncées par Jordan Bardella.

 

Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup

 

Mais le flou ne se limite ni au nombre de personnes concernées par un départ anticipé à 60 ans, ni au coût de cette mesure. La seule chose qui est certaine, c’est que l’abrogation de la dernière réforme des retraites et le retour promis à l’âge légal de départ à 62 ans ne seront pas pour cette année. Pour les années suivantes, c’est assez nébuleux. Jordan Bardella a eu beau accuser les médias de caricaturer ses propos, ce lundi pendant sa conférence de presse, il ne s’est engagé à rien à ce sujet s’il gagne les élections le 7 juillet prochain.

A la place, il botte en touche et explique que la réforme sera « en principe abrogée ». Mais comme pour le retour à l’âge légal de 62 ans, qu’il annonce « progressif », sans en expliquer les modalités ou le calendrier. Par contre, dans les deux cas, il conditionne ces mesures à un audit sur les finances publiques, tout en dénonçant un « chaos budgétaire » imputable à Emmanuel Macron. Un argument surprenant, dans la mesure où les projections financières du Conseil d’orientation des retraites l’an dernier expliquaient qu’il n’y avait pas de « dynamique incontrôlée des dépenses de retraite ». A moins que le Rassemblement national ne confonde les budgets de la Sécurité sociale et ceux de l’État, ce qui pourrait inquiéter l’ensemble des retraités.

Le Rassemblement national abrogera-t-il ultérieurement la réforme des retraites de 2023 ? Cela en prend difficilement le chemin. De son côté, Michael Zemmour n’y croit guère : « si on veut revenir sur la réforme des retraites, il faut revenir sur les réductions de recettes sociales. Or leur programme prévoit de nouvelles baisses de cotisations sociales des employeurs », peu compatibles avec un retour à la retraite à 62 ans.

En attendant, les premiers de corvée non couverts par un dispositif de pénibilité – et déjà abandonnés par Emmanuel Macron sitôt la crise Covid oubliée – sont sacrifiés par Jordan Bardella dès lors qu’ils ont commencé à travailler à 20 ans et plus. Pour nombre d’ouvriers de l’industrie ou du BTP ou pour les salariées du « prendre soin », le départ à 64 ans est maintenu jusqu’à nouvel ordre. Et même au-delà de 64 ans, pour toutes celles et ceux qui n’ont pas assez de trimestres pour partir avec une retraite à taux plein.