À Mertzwiller, le soutien aux salariés de BDR Thermea a tourné à l’affrontement syndical. Alors qu’un député RN s’est invité à la tribune avec la bénédiction de FO et de la CFE-CGC, les syndicalistes opposés à l’extrême droite ont été évacués et livrés à la police.
« Ce jour-là, Force ouvrière a clairement franchi une barrière », résume Laurent Feisthauer, secrétaire général de l’union départementale CGT 67 (Bas-Rhin). Samedi 5 juillet 2025, le syndicaliste participait à la manifestation de soutien aux salariés de l’entreprise BDR Thermea (ex-De Dietrich), entreprise de métallurgie alsacienne menacée d’une fermeture entraînant le licenciement de 320 salariés. La boîte, qui fabrique des pompes à chaleur, doit délocaliser en Turquie et en Slovaquie.
Organisée par une intersyndicale FO, CFE-CGC, CGT, elle a réuni entre 1500 et 2000 personnes dans la petite commune de Mertzwiller (3500 habitants). « Après la marche, un rassemblement était organisé avec des merguez et des prises de parole, raconte un participant. »
FO en eaux plus que trouble
Alors que Théo Bernhard, député Rassemblement national de la circonscription apparaît à la tribune, des slogans anti RN sont lancés par des syndicalistes (CGT, Solidaires, FSE) et des militants politiques (LFI, NPA).
Face à eux, le délégué syndical FO de BDR Thermea, Philippe Lazarus, debout sur l’estrade, scande « dehors » au micro, appuyé par la foule. Les manifestants sont alors exfiltrés par des militants FO. « Des copains ont été soulevés et remis à la police, c’était un truc de fou », confie l’un d’eux. La scène se déroule sous les yeux du gratin syndical de Force ouvrière, dont son secrétaire général Frédéric Souillot, qui prendra finalement la parole à la tribune après le député RN, sans un mot pour les exfiltrés. Contactés, ni l’UD FO 67, ni Frédéric Souillot n’ont pour l’heure répondu à nos questions. Philippe Lazarus nous a répondu le lendemain de la publication (voir en fin d’article). L’altercation est filmée depuis la tribune par le média d’extrême droite Frontières, puis partagée sur le Facebook de FO BDR Thermea, par ailleurs syndicat majoritaire.
Aux Dernières Nouvelles d’Alsace, les délégués FO et CFE-CGC de l’entreprise répondent à propos des militants anti-RN : « ils ont joué les provocateurs. Ils ne voulaient pas qu’il prenne la parole alors qu’il était là en tant que député élu démocratiquement », légitimant le recours au service d’ordre, sur consigne du porte-parole de l’intersyndicale. L’expression de Théo Bernhardt, estiment-ils, n’avait pas à être « bâillonnée ». Dans le même journal, le secrétaire général de l’union départementale FO 67 Eric Borzic assume : « À FO on ne fait pas de politique. À partir du moment où des personnes sont élues et veulent soutenir les salariés, on ne fait pas de cas. On est là pour défendre des emplois, pas pour faire de la politique politicienne. »
En interne, sa position a cependant été contestée par le syndicat de l’éducation de Force ouvrière Bas-Rhin, FO SNFOLC 67. Dans un communiqué du 7 juillet, il a apporté son soutien aux manifestants anti-RN « au nom de la lutte contre le racisme et la xénophobie qui divisent les travailleurs et sont le principal fond de commerce du Rassemblement national ». Ce même jour, FO Action Sociale 67 a également jugé « inacceptable », l’action de ses camarades de BDR Thermea.
« L’apolitisme revendiqué de FO servait bien souvent à ne pas prendre position contre le RN au moment des élections. Cette fois on va encore plus loin en permettant à l’extrême droite de s’exprimer dans un rassemblement syndical », estime Laurent Feisthauer de la CGT. Les militants anti-RN reviendront écouter la prise de parole du secrétaire fédéral CGT métallurgie venu sur place…mais partiront avant celle du député RN.
La CGT minoritaire
« Nous avions annoncé que nous nous opposons à la présence du RN lors de cette manifestation. C’est notre ligne syndicale. Sur l’industrie, le RN a un discours de façade pro-ouvrier mais vote contre l’augmentation du SMIC et pour toutes les lois antisociales. Il n’était pas acceptable de les recevoir », poursuit le secrétaire de l’UD CGT 67.
Mais, minoritaire chez BDR Thermea, la CGT n’est pas parvenue à imposer cette position. « Un délégué syndical CGT de l’entreprise a été pris entre FO et la CFE-CGC, qui souhaitaient la présence du député RN et, la position de son UD. Il a finalement cédé…on va le convoquer pour lui rappeler les fondamentaux », assure Laurent Feisthauer. De son côté, Philippe Lazarus affirme que le délégué CGT en question serait « l’interlocuteur principal du député RN ». Contacté par Rapports de force, ce dernier n’a pas donné suite à cette heure. Enfin, le secrétaire général de l’UD CGT 67 s’est fendu d’un courrier à la direction confédéral de FO, « pour qu’elle nous explique sa position ».
Mise à jour. Ce 9 juillet au matin nous avons été recontactés par Philippe Lazarus. Ce dernier maintient le choix de l’intersyndical d’avoir invité à la tribune le député RN Théo Bernhard. « C’est le député de la circonscription et il était invité en tant que tel. Qu’il soit RN ou LFI ou quoi que ce soit d’autre ça ne change rien pour nous car nous sommes apolitiques ». Sur l’exfiltration des manifestants anti-RN : « on s’est juste défendus. On ne peut pas laisser faire des débordements ». Concernant la publication d’une vidéo du média d’extrême droite Frontières su la page Facebook BDR Thermea qu’il administre, le délégué syndical plaide « un loupé ». La vidéo est néanmoins toujours en ligne ce 09/07 à 14h21. Enfin Philippe Lazarus se déclare lassé par les polémiques autour du rassemblement et « souhaite avant tout que les salariés puissent rester unis dans ce moment difficile. »
L’article a été mis à jour le 08/07/2025 à 16h03 pour ajouter la réaction de FO Action Sociale 67.
L’article a été mis à jour le 09/07/2025 à 14h21 pour ajouter la réponse du DS FO BDR Thermea Philippe Lazarus.
Photo d’illustration. Archive.
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