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Sans-papiers : « Si on ne lutte pas, on est écrasé », Dioum Elhadji en grève pour la dignité

Les travailleurs sans-papiers de DPD à Coudray-Montceaux (91) ont fêté un an de lutte qui les oppose à cette filiale de La Poste. Ils réclament des régularisations, eux qui ont travaillé des mois voire des années en intérim dans ce centre de tri de colis. Aujourd’hui sans emplois, cette mobilisation inédite est leur seule chance d’obtenir des papiers. Dioum Elhadji, l’un des porte parole des grévistes revient sur son parcours et cette année de lutte.

 

Tout a commencé le 15 novembre 2021. Las d’être appelés à n’importe quelle heure, d’enchainer des contrats de quelques jours, mais surtout de ne pas exister aux yeux de leur employeur, car sans-papiers, 70 travailleurs décident de lancer un mouvement de grève pour réclamer leur régularisation par le travail. « Quand on a commencé à occuper les lieux, on ne pensait pas que cela allait durer aussi longtemps. On ne demandait qu’une chose, obtenir la dignité, être libre », se rappelle Dioum. Un an plus tard, le voilà, lui et les grévistes, accompagnés de leurs camarades en lutte de Chronopost à Alfortville, devant l’entrepôt DPD de Coudray-Montceaux, sous une pluie froide de novembre à célébrer cet anniversaire au goût amer. Une capuche par-dessus sa casquette, l’homme de 44 ans n’est pas du genre à esquiver le froid et la pluie. « Pendant cette grève, on a dormi dehors, ici, sur le piquet, on y était 24 heures sur 24. Je n’avais jamais dormi dehors avant ça », relève-t-il.

 

 

 

Originaire du Sénégal, Dioum dit n’avoir manqué de rien quand il était au pays. Artiste sculpteur, il a voyagé plusieurs fois en France, aux États-Unis, au Cambodge. Invité à Marseille pour une exposition en 2017, il expédie ses œuvres par bateaux, mais se fait refuser son visa. Il part en France un an plus tard à la recherche de ses sculptures, mais à l’expiration de son visa touristique « je suis devenu un sans-papiers ». Ses œuvres disparaissent et avec elles sa vie d’artiste. « J’ai commencé à chercher du travail, j’ai fait de la restauration, du bâtiment, de la logistique ». Il rejoint le Collectif des travailleurs sans-papier de Vitry (CTSPV) en 2019, dans lequel il s’engage pour la lutte pour la régularisation, mais aussi contre les conditions de travail des sans-papiers qu’il décrit comme « de l’exploitation, de l’esclavage moderne ». Mamadou, qui fait partie du groupe qui a lancé la grève, raconte les conditions de travail dans l’entrepôt de DPD : les horaires infernaux, les colis de 70 kilos, les camions à vider et à remplir des nuits entières. « Quand quelqu’un qui a des papiers vient travailler ici, il reste deux jours, dit-il, nous, on n’avait pas le choix de subir ça pour survivre ».

 

Trois piquets de sans-papiers pour une revendication

 

Dans la foulée de la grève chez DPD en novembre 2021, des travailleurs sans-papiers de l’agence d’intérim RSI de Gennevilliers démarrent une mobilisation, tout comme ceux de l’agence Chronopost d’Alfortville. Trois piquets, une même revendication : la régularisation pour tous. Unitaires et solidaires, les grévistes des trois entreprises manifestent ensemble et se rendent visite régulièrement sur leurs piquets. « Ça fait partie des plus beaux moments de cette mobilisation, on ne se connaissait pas et on a fondé une famille, des liens très forts se sont tissés entre nous », confie Dioum. Aboubacar Dembelé, l’un des leaders des grévistes d’Alfortville mobilisé depuis décembre 2021 abonde. « Maintenant on se voit en dehors de la lutte, on fait la fête ensemble, on connaît même nos familles au pays. Ça aurait été compliqué avec un seul piquet, si on se disperse on est facile à abattre, si on est en meute on peut survivre à beaucoup de choses », lance-t-il. Ici, certains n’ont pas travaillé depuis un an, d’autres ont enchaîné quelques contrats tout en étant présents sur les piquets, d’autres encore ont quitté le mouvement. Une caisse de grève a été levée pour les soutenir, mais elle reste insuffisante pour faire vivre l’ensemble des grévistes. Dioum, qui n’a pas vu sa famille, sa femme et ses enfants depuis bientôt cinq ans, aurait pu tout lâcher et rentrer au Sénégal. « Je n’y pense pas tant que je n’ai pas gagné, on ne peut pas abandonner les camarades », répond-il du tac au tac.

 

Régularisation par la grève

 

Ce 15 novembre 2022, les syndicats Sud PTT et Solidaires, qui ont soutenu la grève depuis ses débuts, ont redécoré l’entrée du siège de DPD pour l’occasion. Une rangée de drapeaux jaunes et roses flottent le long des grilles de l’entreprise. « Sans le soutien des syndicats, on n’aurait pas tenu », confie Dioum. Des assiettes remplies de poulet yassa se passent de mains en mains entre sans-papiers et leurs soutiens : des syndicalistes et des factrices du coin. Si beaucoup de sans-papiers comptent sur le travail pour être régularisés, ceux de DPD et de Chronopost ne veulent plus être exploités pour de vagues promesses de régularisations. Mamadou explique la stratégie : « Ça revient au même de travailler ou de faire grève. Tu travailles un an, deux ans, tant que ton patron ne veut pas te reconnaître comme un employé, tu ne seras pas régularisé. À un moment, ça suffit, il vaut mieux qu’on soit régularisé en faisant grève pour qu’on puisse ensuite retourner travailler, comme tout le monde ». Une stratégie qui a payé pour les grévistes de RSI, qui ont obtenu des récépissés les autorisant à travailler le temps que leur demande de régularisation soit traitée.

 

De l’attente et de l’espoir

 

Les sans-papiers de DPD mettent désormais beaucoup d’espoir sur un rapport de l’inspection du travail rédigé en janvier 2022, qui reconnaît officiellement que 63 sans papiers ont bel et bien travaillé chez DPD, embauché par l’agence Derichebourg Intérim. L’inspection du travail a par ailleurs saisi le procureur de la République face à l’emploi illégal de ces sans-papiers. Malgré de nombreuses réunions infructueuses avec le préfet, DPD, ou encore le ministère du Travail, sur le piquet de grève, l’espoir est pourtant encore permis. Dioum et les autres ne comptent pas s’arrêter maintenant et personne ne souhaite que cette année de lutte soit vaine. « Il ne faut pas qu’on baisse les bras, il ne faut jamais baisser les bras, les papiers, ça viendra, il faut les obtenir », lance-t-il devant les grilles de l’entreprise. Un an plus tard, le piquet tient toujours. En attendant de retrouver un jour son art et sa famille, c’est avec un mégaphone, sa détermination et ses camarades que Dioum entame cette deuxième année de grève.