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Cent dix-sept travailleurs sans-papiers lancent la première d’une série de grèves contre le projet de loi Collomb

 

Une centaine de travailleurs sans-papiers soutenus par la CGT ont entamé une grève illimitée pour leur régularisation en région parisienne lundi 12 février. Mardi 13 février, les agents de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sont appelés à leur tour à un arrêt de travail par trois syndicats des personnels du Conseil d’État. Le même jour, un collectif d’avocats spécialisés dans le droit des étrangers annonce un boycott des audiences.

 

« On vit ici, on travaille ici, on reste ici ». Le slogan des grèves de travailleurs sans-papiers de 2008 reprend du service dix ans plus tard. Lundi matin, une centaine de travailleurs sans-papiers, majoritairement originaires de l’Afrique subsaharienne, ont arrêté le travail avec le soutien de la CGT. Six piquets de grève se sont formés à l’entrée d’entreprises de la région parisienne. Une agence d’intérim du douzième arrondissement, ainsi qu’une entreprise de collecte d’ordures ménagères et une agence Chronopost dans l’Essonne sont touchées. Dans le Val-d’Oise, les grévistes se sont réunis devant une boîte de logistique et de transport. Enfin, dans le Val-de-Marne, une société de fabrication de plats cuisinés et une autre de recyclage de déchets sont concernées par le mouvement.

La centaine de sans-papiers en grève, intérimaires pour la majorité d’entre eux, réclament leur régularisation. « Nous avons de gros problèmes avec le traitement des dossiers dans certaines préfectures d’Île-de-France », explique Marilyne Poulain, chargée à la CGT Paris des questions du droit des étrangers. La syndicaliste dénonce la volonté du gouvernement de faire un tri entre des bons et des mauvais migrants : « les migrants économiques sont les travailleurs de ce pays ». Pour elle, « ceux qui bossent ici doivent être régularisés et avoir les mêmes droits que les autres salariés ». Autre sujet d’inquiétude pour ces travailleurs, la présence dans le projet de loi « Asile – immigration » porté par ministre de l’Intérieur de l’article 16, permettant de punir ceux qui travaillent sous une fausse identité. La peine pouvant s’élever à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende.

Une difficulté de plus pour ces sans-papiers travaillant le plus souvent sous l’identité d’un membre de leur famille ou d’un ami. Mais aussi un recul depuis les grèves de 2008. Cette année-là, les syndicats les soutenant avaient obtenu la prise en compte des fiches de paie obtenues sous alias dans les dossiers de régularisation. Avec cet article 16, la CGT craint que la responsabilité pénale en cas de fraude passe de l’employeur au salarié. « Quand un employeur embauche quelqu’un qui ne ressemble pas du tout à la photo qu’il nous présente, c’est de sa responsabilité », rappelle Marilyne Poulain qui juge gravement ce retournement de responsabilité.

 

L’État emploie-t-il aussi des travailleurs sans-papiers ?

 

Des sans-papiers employés dans une filiale de La Poste ? Une entreprise détenue à 100 % par l’État, à travers la Caisse des dépôts et consignations. Étonnant ! Pourtant, parmi les six piquets de grève installés lundi matin, un filtre l’entrée d’un centre de colis Chronopost à Chilly-Mazarin (91). Jointe par téléphone, la direction de l’opérateur public postal a déclaré ne vouloir faire aucun commentaire sur la présence ou non de sans-papiers travaillant pour l’entreprise.

Hasard malheureux du calendrier, le 30 janvier, le parquet de Nanterre a demandé le renvoi devant le tribunal correctionnel de La Poste pour « prêt de main d’œuvre illicite et délit de marchandage ». À l’origine de ces poursuites, le décès par noyade d’un livreur de nationalité malienne ayant plongé dans les eaux froides de la Seine pour récupérer un colis en décembre 2012. Ce dernier, employé depuis une semaine par un sous-traitant de l’agence Colisposte d’Issy-les-Moulineaux, effectuait régulièrement deux tournées par jour selon les dépositions de son frère et de sa compagne. Cela sans avoir signé de contrat de travail. Le jour de l’accident, il devait livrer 154 colis.

À l’époque des faits en 2012, plus de 70 % des colis livrés en Île-de-France l’étaient par des sous-traitants. Loin d’avoir servi de leçon et endigué le phénomène, ce chiffre a encore augmenté, passant à 80 % en 2017 selon le syndicat Sud-PTT. « Un chronopostier livre 80 colis par jour. Les sous-traitants signent des contrats indiquant en livrer 130 ou 150. Comme ils ne peuvent pas en distribuer autant, ils sous-traitent à leur tour », raconte Nicolas Galepides. Pour le secrétaire fédéral de Sud-PTT, le résultat de ces pratiques est simple : « il y a 3200 salariés chez Chronopost pour 3500 sous-traitants ». Sans compter les sous-traitants des sous-traitants sur lesquels La Poste exerce peu de contrôle, prétextant selon le syndicaliste que cela ne l’a regarde pas.

 

Grève au cœur de l’asile

 

Le projet de loi « immigration – asile » du gouvernement provoque déjà d’autres remous. Les syndicats Unsa, CGT et FO ont déposé un préavis de grève pour les 434 agents de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui examinent les recours des demandeurs d’asile déboutés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). « Dix ans de persécution, deux heures d’instruction » était inscrit sur une banderole des agents en grève aujourd’hui pour dénoncer avec leurs syndicats « une logique comptable de l’asile qui fait primer le raccourcissement des délais de jugement sur la qualité de l’instruction des demandes et des décisions rendues ».

Les trois syndicats appelant à la grève révèlent que le taux de dossiers rejetés sans audience est passé de 17 % en 2014 à 30 % en 2017. Un élément les conduisant à juger sévèrement la volonté du gouvernement de raccourcir les délais d’instruction des demandes de protection. Pour eux, ce projet de loi « porte durement atteinte tant aux droits des demandeurs d’asile qu’aux conditions de travail des 434 agents de la CNDA ». De son côté, l’association Elena réunissant des avocats plaidant à la CNDA a appelé au boycott des audiences pour dénoncer entre autres « une atteinte aux droits de la défense », notamment par la fin du caractère suspensif de la plupart des recours permis aux prétendants à l’asile.

 

Un mouvement appelé à durer ?

 

La grève des 117 travailleurs sans-papiers commencée hier matin se poursuit aujourd’hui. Avec leurs soutiens syndicaux, ils réclament des négociations avec le ministère de l’Intérieur, et non préfecture par préfecture. Les six piquets de grève sont tenus jour et nuit et les travailleurs sans-papiers n’entendent pas lever le camp. Le mouvement pourrait bien s’installer dans la durée.

En fin de matinée, les grévistes ont reçu le soutien de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Lors d’une conférence de presse donnée à 11 h dans les locaux de la confédération à Montreuil, il a fait état de la mobilisation et annoncé avoir pris contact avec le ministère de l’Intérieur et l’Élysée pour un règlement rapide de la situation administrative des 117 grévistes.