Lyon, Strasbourg, Chambéry, Aix-en-Provence et maintenant Marseille, l’extrême droite radicale multiplie les ouvertures de locaux surfant sur un nouveau concept : le Bastion social. Alliant campagnes politiques nationalistes et actions sociales réservées aux blancs, il entraîne dans son sillage diverses factions de l’ultra droite. A la manœuvre le GUD.
Au revoir la croix celtique, les battes de base-ball et les casques de moto. Bonjour les maraudes, l’hébergement d’urgence et les distributions de nourriture. C’est le ravalement de façade que les membres du GUD Lyon vendent depuis le mois de mai 2017 et exportent maintenant de ville en ville. Leur modèle : le mouvement néo-fasciste italien CasaPound.
Ce dernier occupe un immeuble à Rome depuis 2003. Prenant modèle sur les squats autonomes des années 80 et 90, ses militants proposent leur aide aux habitants « non étrangers » du quartier et des activités culturelles. Mais le bâtiment, siège du mouvement se réclamant du fascisme mussolinien est avant tout un lieu de propagande et de regroupement. En 15 ans, CasaPound a réussi à sortir de la marginalité en ouvrant des locaux similaires dans toute l’Italie, sans rien renier de ses penchants pour la violence. Selon le recensement du collectif Infoantifa Ecn de Bologne, la majorité des 154 agressions physiques d’extrême droite en Italie depuis 2014 sont imputables à Casa Pound et Forza Nuova, une autre formation se réclamant ouvertement du fascisme.
Fort de liens anciens et étroits entre le GUD et ces néofascistes italiens, la section lyonnaise des Rats noirs crée l’événement en ouvrant un squat au cœur de la ville en mai 2017. Objectif affiché : offrir un hébergement aux plus démunis. Évidemment, la générosité des ex-gudards s’arrête aux Français de souche, comme le suggère leur devise : « les nôtres avant les autres ». Le Bastion social dans sa version squat est expulsé le 13 juin 2017 et ses activités transférées au Pavillon noir, le local du GUD. Mais le coup de projecteur sur l’occupation d’un immeuble lance le concept.
Dès le mois de juillet, les statuts d’une association nationale reprenant le nom de Bastion social sont déposés à la préfecture du Rhône. Son président n’est autre que Steven Bissuel, le patron du GUD lyonnais. Depuis, ce dernier a placé son bébé sur orbite. Deux manifestations de soutien à Lyon en juillet et octobre 2017 regroupent, malgré leur interdiction par la préfecture, la fine fleur de l’extrême droite radicale. Avec en prime la présence de responsables de CasaPound. En fin d’année 2017, le feuilleton Bastion social lyonnais connaît son dénouement avec la mise en sommeil officielle du GUD et le lancement d’un nouveau mouvement politique national.
Cinq locaux ouverts en six mois
Le label Bastion social essaime dans plusieurs villes en quelques mois. Steven Bissuel se déplace de ville en ville pour promouvoir son mouvement et soutenir les nouvelles implantations. Le schéma se répète à chaque fois : l’ouverture d’un local où l’extrême droite radicale tient un bar pour ses sympathisants, organise ses conférences, ses entraînements sportifs et diffuse sa propagande. Mais aussi, au cœur du concept, des actions sociales réservées aux Français sur lesquelles ils communiquent abondamment. Sans oublier plusieurs agressions imputables à ces militants nouvellement versés dans l’humanitaire.
En décembre, l’Arcadia ouvre dans un quartier populaire de Strasbourg, puis l’Edelweiss à Chambéry. En février, c’est au tour de la Bastide à Aix-en-Provence. Le 24 mars, le Navarin sera inauguré à Marseille à deux pas du Vieux-Port. Paris et Clermont-Ferrand, où des groupes Bastion social se sont créés, pourraient suivre à brève échéance. Partout le même subterfuge pour implanter leur base au cœur des villes : l’utilisation d’associations-écrans. À Chambéry, c’est l’association Les Petits reblochons, dont la raison d’être officielle est de « promouvoir le patrimoine culturel de la Savoie ». À Strasbourg, il s’agit de Solidarité Argentoratum dont l’objet social est équivalent. À Lyon, d’où est parti le mouvement, même procédé avec Lugdunum.
Dans chacune de ces villes, des manifestations réclamant la fermeture de ces locaux réunissent un spectre très large d’organisations antifascistes, révolutionnaires ou de gauche. Elles dénoncent le développement de la violence d’extrême droite induite par l’ouverture de lieux prônant une idéologie fasciste. Dernière manifestation en date, le 3 mars 2018, plus de 500 personnes défilent à Lyon pour réclamer la fermeture du Pavillon noir – Bastion social. À Strasbourg et Chambéry, les conseils municipaux réclament même au préfet la fermeture de l’Arcadia et de l’Edelweiss pour trouble à l’ordre public ; et à l’État la dissolution du mouvement Bastion social.
Convergences d’extrême droite
Fait nouveau avec le Bastion social, l’extrême droite radicale habituellement très fragmentée tend à se fédérer. À Lyon, toute la mouvance ultra s’affiche au côté du GUD à l’ouverture de son squat. S’y côtoient des hooligans néonazis, des militants royalistes de l’Action française, du Parti nationaliste français issu de la dissolution des jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac, des activistes de Dissidence, un groupe partisan d’un coup d’État militaire, et même quelques identitaires. L’Arcadia à Strasbourg est une création de la section locale du GUD à laquelle se sont associés des supporters ultras de Strasbourg Offender et même un transfuge du FNJ présent en 2014 sur la liste Front national pour les municipales.
Le concept essaime jusque dans des villes où le GUD n’était pas présent. À Chambéry, c’est Edelweiss Savoie, un groupe proche des jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac, ex-mentor de Steven Bissuel qui crée Bastion social. À Aix-en-Provence et Marseille, ce sont des royalistes de l’Action française qui font sécession pour rejoindre la nouvelle organisation. Les plus jeunes d’entre eux, impressionnés par l’exemple italien de CasaPound avec lesquels ils ont tissé des liens ces dernières années quittent la maison maurassienne pour le mouvement de Steven Bissuel. À Clermont-Ferrand, le noyau du groupe Bastion social est structuré autour d’un groupe de musique métal nazi. Actif avec quelques collectes alimentaires et des diffusions de tracts réclamant la préférence nationale, le groupe multiplie les collages d’affiches depuis l’automne. Une activité qui rassemble tous les radicaux arvernes, de l’Action française, aux Identitaires, en passant par Dissidence.
Mais l’engouement pour le Bastion social ne se limite pas à la frange des durs parmi les durs de l’extrême droite. Malgré une initiative en concurrence directe avec les pratiques des Identitaires – les premiers en France à avoir ouvert des locaux pour asseoir leur présence politique (Lyon, Nice, Lille) – ces derniers apportent leur soutien au squat du GUD, notamment au moment de son expulsion. Le Bastion social trouve aussi des soutiens au Front national, récemment rebaptisé Rassemblement national. À Strasbourg, les élus Front national ne votent pas la demande de fermeture de l’Arcadia. Par la suite, plusieurs responsables frontistes aux quatre coins de l’hexagone condamnent publiquement la décisions des conseils municipaux de Strasbourg et Chambéry, apportant un soutien implicite au GUD. Autre soutien assez naturel, celui des frontistes venant des rangs du GUD et bien placés dans l’appareil comme Frédéric Chatillon, le plus connu d’entre eux.
Peur sur les villes
Des prises de position de responsables FN tranchant avec la volonté de dédiabolisation mise en œuvre jusque-là. En effet, les membres du GUD a l’origine du Bastion social ont un passé marqué par la violence et des positions ouvertement fascistes. Steven Bissuel, son président s’est fait remarquer par la justice pour avoir agressé deux manifestants lors d’un rassemblement de protestation contre le retour de Bruno Gollnish à l’université Lyon 3 en 2011. Mais aussi pour un tweet antisémite en 2015 à l’occasion des commémorations du 70e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Autre tête pensante du Bastion social sentant le souffre : Logan Djian. Ce parisien, patron du GUD national jusqu’à sa mise en sommeil a été incarcéré à Lyon en décembre 2017 après un an de « fuite ». À son actif de nombreuses agressions, dont celle contre un photographe et neuf Femen lors de manifestations contre le « mariage pour tous ».
Depuis l’ouverture du Bastion social à Lyon, les opposants au local d’extrême droite dénoncent une recrudescence d’actes violents. Selon le collectif Fermons le local Bastion social, deux agressions homophobes se sont déroulées mi-février et le local du Parti communiste a été vandalisé sur les pentes de la Croix-Rousse. « Tous les week-ends, un groupe d’une vingtaine de personnes tourne sur les pentes en pleine nuit à la recherche de proies », signale un membre du collectif. Une situation commune aux autres villes où des locaux ont ouvert.
À Marseille, l’Action française, noyau du prochain local du Bastion social est impliquée dans plusieurs rixes, dont une devant un lycée à l’occasion d’une distribution de tracts musclée. Un de ses anciens membres, adhérant en 2015, Logan Nisin, a même été incarcéré après la découverte de projets d’attentats contre des musulmans, mais aussi contre Christophe Castaner et Jean-Luc Mélenchon. À Chambéry, au mois d’octobre, une douzaine de militants d’extrême droite attaquent un concert organisé par la Fédération anarchiste dans un bar de la ville. Suite à un dépôt de plainte, plusieurs d’entre eux sont identifiés par la police comme étant parties prenantes de l’Edelweiss, la branche locale du Bastion social.
L’inquiétude des opposants sur l’installation d’un bastion de violence trouve aussi un début de confirmation à Strasbourg. Le soir de l’inauguration de l’Arcadia, un groupe sortant du lieu tabasse un jeune homme d’origine algérienne. Le Bastion social nie d’abord toute implication, expliquant que ces agissements sont le fait de personnes extérieures à leur mouvement. Finalement, le trésorier de l’Arcadia est reconnu coupable des faits et condamné à huit mois de prison ferme.
Photo : La Horde
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