Un témoin de l’agression du jeudi 22 mars à l’université de droit de Montpellier a porté plainte pour subornation de témoin et saisi l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Un enregistrement de son audition a été remis à la presse mercredi 4 avril en fin de journée. Il confirme les informations révélées par Médiapart hier et indique que le témoin a été gravement menacé lors de son audition. Ce nouvel élément renforce la suspicion selon laquelle le commando aux méthodes fascistes du 22 mars bénéficie d’une certaine bienveillance, et ce pas seulement au sein de l’université de droit.
Ce que l’on sait déjà avec certitude : le 22 mars, un amphithéâtre de l’université de droit de Montpellier est occupé par des étudiants après la manifestation. Le doyen Philippe Pétel réclame une intervention policière qu’il n’obtient pas. L’assemblée générale vote l’occupation de l’amphi pour la nuit. Vers minuit, un commando d’une dizaine d’hommes cagoulés armés de planches de bois fait irruption, moleste et expulse les étudiants contestataires.
Les hommes cagoulés sont entrés par une porte fermée jusque-là. Le doyen a avoué, après avoir nié, les avoir fait entrer. Pour sa défense, il affirme qu’il pensait qu’il s’agissait de policier. Il est mis en examen depuis vendredi, laissé libre sous contrôle judiciaire. Jean-Luc Coronel de Boissezon, un enseignant est mis en examen également. Il a reconnu lors de sa garde à vue avoir porté des coups sur des étudiants. Le procureur de la République a fait état d’un témoin l’ayant vu prendre contact avec les membres du commando sur le parking. Ces deux-là affirment pourtant ne pas connaître les hommes cagoulés.
Mêmes dires des agents de l’entreprise de sécurité de l’université, interrogés par la police, dont un des membres est vu sur une vidéo en train d’utiliser ce qui ressemble à un taser sur un étudiant le soir de l’agression. A ce stade, nous n’avons pas pu déterminer si les nombreuses personnes de l’université, présentes dans le hall en compagnie du commando, et identifiables sur les vidéos, ont été interrogées dans le cadre de l’enquête. En tout cas, le parquet a rapidement conclu n’être pas en capacité d’identifier les membres du commando de la fac de droit. L’enquête préliminaire a pris fin, et un juge d’instruction a été saisi pour déterminer la culpabilité de Philippe Pétel et Jean-Luc Coronel Boissezon. Fin de l’histoire ?
Deux fusibles, ça va ! Une dizaine d’universitaires, bonjour les dégâts !
Non. Les étudiants mobilisés et leurs soutiens n’ont eu de cesse depuis l’agression de dénoncer un manque d’empressement à trouver les responsables. Les plaintes et les témoignages ont été déposés au commissariat et auprès du procureur le 23 mars. Cependant, ils ont dû attendre le 27 avant d’être entendus. Un manque d’empressement pointé également par Sophie Mazas, membre de la Ligue des droits de l’Homme. Philippe Pétel et Jean-Luc Coronel Boissezon n’ont été convoqués que le 28 mars, puis mis en examen le lendemain.
Médiapart a révélé hier qu’un des témoins de l’agression du 22 mars a saisi l’IGPN. Il affirme avoir subi des pressions et des menaces de la part du policier l’ayant interrogé. Opposé au blocage de son université, il a été choqué par l’intervention d’hommes armés. En plus de témoigner, il a écrit une longue lettre au procureur de la République, ainsi qu’au ministère chargé de l’enquête administrative doublant la procédure judiciaire. Pendant son audition comme témoin, il affirme avoir été accusé par le policier l’interrogeant « de vouloir régler des comptes avec des professeurs ». Puis, « il m’a indiqué qu’il fallait que je me prépare à avoir des retours de bâtons avec tout ce que j’ai écrit ». Pour expliciter le propos par un tonitruant : si c’était moi, « je vous casse les genoux ou diffamation ». La fin de l’audition est à l’avenant : « ton professeur va prendre cinq ans de prison avec tes déclarations au ministère, tocard ». Puis le bouquet final avec des menaces explicites graves parmi lesquelles des intimidations à caractère sexuel. Le matin même de son audition, le témoin avait écrit un long courrier au procureur mettant en cause le travail de la police le soir de l’agression du 22 mars. Depuis, il n’a pas remis les pieds à l’université.
La fac de droit a rouvert ses portes mardi 3 avril, mais plusieurs universitaires ayant pris fait et cause pour le mouvement d’occupation n’ont pu passer le filtre des policiers et des membres de la sécurité du site déployés à l’entrée. Une situation que dénoncent les étudiants mobilisés contre la loi Vidal. Pour eux les conditions d’une réouverture en toute sécurité ne sont pas réunies. Ces derniers disent avoir identifié d’autres enseignants et chargés de TD parmi les agresseurs du 22 mars. De plus, les agents de sécurité sont accusés d’avoir eu une attitude passive ce soir là. Tout comme les appariteurs (personnels administratifs et techniques) et membres de l’institution présents. Enfin, les étudiants agressés ressentent une hostilité générale à leur égard au sein des murs de l’université. Un enseignant avait même proposé mardi une réunion dans un amphithéâtre en soutien à l’ex-doyen mis en examen. Entre omerta et soutien à peine voilé aux agresseurs, il règne un drôle de climat de non-droit à l’université.
L’ombre de l’extrême droite plane sur la fac de droit
Évidemment, l’attaque d’étudiants en lutte par un commando cagoulé et armé dans une université rappelle les grandes heures du GUD, le groupuscule étudiant d’extrême droite fondé en 1968. Mais 50 ans après, les analogies sont bien présentes, même si les acteurs et les noms changent. Un des deux mis en examen, Jean-Luc Coronel Boissezon peut être facilement classé à la droite de la droite. Le site Montpellier Poing Info publie une photo très ressemblante lors d’un rassemblement de la Ligue du Midi, où le professeur apparaît.
Juste après son placement sous contrôle judiciaire, l’intéressé s’empresse de donner une interview publiée le 2 avril au journal l’Incorrect dans laquelle il fustige les étudiants bloqueurs, dénonce les médias nationaux à la solde des libertaires, et minimise les blessures des trois étudiants ayant fini à l’hôpital le soir du 22 mars. Pas un mot sur l’action du commando. Le journal où Jean-Luc Coronel Boissezon choisit de s’exprimer a été lancé en septembre 2017 par plusieurs proches de Marion Maréchal-Le-Pen. Il se donne comme objectif de rapprocher la droite et le Front national. Depuis cette interview, l’enseignant mis en examen nie toute implication dans l’attaque du commando et affirme cette fois aux micros de radio France Bleu Hérault avoir porté plainte pour agression. Il se déclare ainsi victime.
Rien n’indique une communauté d’adhésion à la droite de la droite entre lui et son collègue Philippe Pétel. Les deux hommes sont certes membres d’une même « confrérie », celle du Cercle des amis de Pierre Rouge. Mais rien à voir à priori avec un regroupement suspect de fascistes. En fait une association à la gloire de l’Abée Prévost qui a fondé à Montpellier un lieu d’enseignement « imprégné des valeurs chrétiennes ». Une notion peu connotée service public laïc pour des hommes responsables d’étudiants dans une université publique. Mais pas plus. Par contre, la porosité avec l’extrême droite a été de nouveau manifeste le lundi 26 mars. Ce jour-là, la fac est fermée administrativement. Un groupe d’étudiants antiblocage organise un rassemblement contre les blocages et en soutien au doyen. Présent sur les photos, un responsable local de Génération identitaire et Martial Roudier, un des deux fils déjà condamné du président de la Ligue du Midi, Richard Roudier. L’organisation d’extrême droite dont Jean-Luc Coronel Boissezon semble proche.
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