La fin, le 28 juin, du calendrier de trois mois de grève à la SNCF ferme un cycle et en ouvre un autre. La loi a été promulguée sans que les revendications des cheminots n’aboutissent et deux organisations syndicales (l’UNSA et la CFDT) se retirent du mouvement. Mais la grève continue, animée par la CGT-Cheminot et Sud-Rail. Pour autant, ses perspectives ne se dessinent pas clairement.
Il y a des revers impossibles à accepter. Depuis le 3 avril, les salariés de la SNCF ont cumulé plus de 30 journées de grève dans ce qui a été jusqu’ici un des plus grands conflits de l’histoire de l’entreprise publique. Malgré tout, la loi « pour un nouveau pacte ferroviaire » a été votée par le Parlement mi-juin et promulguée par Emmanuel Macron le 27 juin. En dépit de quelques rares aménagements, elle contient tout ce contre quoi se sont battus les grévistes : changement du statut de la SNCF, ouverture à la concurrence sur toutes les lignes et perte du statut de cheminot pour les nouveaux entrants à partir du 1er janvier 2020. Pourtant, toutes les organisations syndicales cheminotes ont appelé à la grève pendant trois mois. Presque partout, celle-ci a pris la forme de deux jours d’arrêt de travail tous les cinq jours, conformément à la stratégie voulue par la CFDT, la CGT et l’UNSA qui avaient déposé un calendrier de mobilisation jusqu’au 28 juin.
« Nous ne pouvons pas reprendre le travail, sinon cela voudrait dire déposer complètement les armes. Nous n’avons pas fait tout cela pour rien. Il faut obtenir quelque chose. Nous ne lâcherons pas », assure Laurent, un cheminot syndiqué à la CGT. Aiguilleur à Nîmes depuis 14 ans, il admet un tassement de la mobilisation au mois de juin, mais compte sur un noyau dur pour maintenir la flamme, et pourquoi pas, entraîner les cheminots ou d’autres secteurs à la rentrée. Pour lui, ce noyau dur correspond aux 10 % de grévistes annoncés le 28 juin par la SNCF (35 % chez les conducteurs). Un espoir renforcé par le fait que la région Occitanie dans laquelle il travaille est une des plus mobilisées et que ses collègues ayant repris le travail soutiennent encore le mouvement. « Il n’y a pas de divorce avec ceux qui ont arrêté la grève, contrairement aux mouvements de 2014 et 2016. Ils s’interrogent juste sur la capacité à tenir financièrement et sur l’utilité de continuer après le vote de loi », explique-t-il.
Une nouvelle stratégie à inventer
L’UNSA et la CFDT ont décidé de ne pas poursuivre la grève cet été, se réservant la possibilité de mobiliser au coup par coup plus tard. Pour ces deux organisations, la promulgation de la loi met fin à la forme d’action choisie depuis le 3 avril. Elles entendent maintenant peser dans les négociations de branche devant aboutir d’ici fin 2019 et dans les discussions au sein de l’entreprise sur la gestion des conséquences de la loi ferroviaire. De leur côté, la CGT-Cheminot et Sud-Rail ont déjà appelé à deux prochaines journées de grève les 6 et 7 juillet, premier week-end des vacances. Ces deux fédérations souhaitent intervenir pendant l’été selon les modalités choisies par les assemblées générales de grévistes.
Le mouvement continue donc. Officiellement avec les mêmes mots d’ordre, malgré la loi votée. « Il faut continuer à marteler les exigences portées au cours des 18 séquences de grèves de 2 jours sur 5 », affirme la CGT-Cheminot. Pour la première organisation syndicale du rail, 80 % du texte n’est pas écrit et doit être précisé par décrets et ordonnances, laissant une place au rapport de force. Autre objectif du syndicat : peser dans les négociations sur la convention collective nationale (CCN) du ferroviaire dont les discussions, en panne depuis 2013, doivent aboutir avant 2020. Mais cela rend les objectifs donnés à la poursuite du mouvement un peu flous. D’un côté, le maintien des revendications de refus de la loi datant du mois d’avril, de l’autre la formulation d’exigences portant aujourd’hui sur les conséquences du texte voté par les parlementaires en juin.
Mêmes difficultés à Sud-Rail. Si la fédération réclame « l’abrogation de la loi, le maintien du statut des cheminots, et une entreprise unique et publique », elle revendique parallèlement « un seul statut, celui des cheminots, pour l’ensemble des travailleurs du rail », en vue des négociations de la CCN, avalisant en creux l’ouverture à la concurrence. « Dans les assemblées générales de grévistes, peu imaginent obtenir quelque chose ressemblant au statut de cheminot dans la convention collective. Les militants restent accrochés au projet de société ferroviaire, même si l’on ne voit pas le gouvernement évoluer », explique Laurent, à partir de ce qu’il observe au dépôt SNCF de Nîmes.
D’où ces positions syndicales paraissant contradictoires, mais en phase avec la réalité des AG de grévistes. Eddy, aiguilleur et militant CGT, estime que la position ferme de sa fédération déboussole certains cadres syndicaux en province vis-à-vis de la stratégie à tenir. Gréviste de la première heure, toujours dans la bataille, il admet être un peu circonspect quant à la suite du mouvement. Philosophe, il se risque à une explication moins froidement stratégique des positions fédérales : « Laurent Brun ne souhaite probablement pas être le secrétaire général qui enregistre la fin du statut cheminot ».
Une mobilisation imprévisible
En tout cas, après les deux prochaines journées de grève des 6 et 7 juin, c’est l’inconnu. Les assemblées générales de cheminots insistent pour ne plus donner à l’avance un calendrier permettant à l’entreprise de s’organiser afin de minimiser l’impact du mouvement. Mais les modalités d’action pendant l’été ne sont pas totalement définies. « Nous avons eu des discussions intéressantes à la dernière assemblée générale pour envisager les suites du mouvement », explique Loïc, cheminot militant à la CGT. Pour lui, la fin du calendrier prédéfini ouvre la possibilité aux grévistes de vraiment décider du rythme de leur mobilisation.
« La fédération a proposé que l’on fasse des grèves régionales, mais nous souhaitons garder des dates nationales », explique-t-il, fort d’une grève encore puissante dans sa région, avec des chiffres autour de 40 %. Un message qu’il juge entendu par sa fédération dont le leitmotiv reste de ne rien s’interdire pendant l’été, pour peser et conserver des forces pour septembre. Un rebond à la rentrée, c’est ce qu’espère Laurent en pensant au dossier des retraites qui touchera l’ensemble des salariés. Persuadé que les cheminots « ont été trop corpo » au printemps, il voit les consciences évoluer chez les grévistes encore dans le mouvement. Pour lui, ce qui n’était pas mûr ces derniers mois — une opposition globale à la politique antisociale du gouvernement — pourrait le devenir à l’automne. Pour cela, il compte sur un noyau dur de grévistes de la SNCF pour « faire le dos rond » durant été et rallumer la mobilisation en septembre.
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