Budget Barnier 2025

Budget Barnier : « le risque c’est d’être obligé de couper de plus en plus, pour gagner de moins en moins »

Qui va réellement être mis à contribution et dans quelle proportion par le Budget présenté par Michel Barnier ? Quelles conséquences cette cure d’austérité de 42 milliards en 2025 risque-t-elle d’avoir ? Nous avons demandé à Anne-Laure Delatte, directrice de recherche en économie au CNRS et autrice de « L’État droit dans le mur », de nous éclairer sur des choix politiques qui représentent pour elle « une énorme erreur », dans une époque marquée par la crise écologique.

Pour ce qui est d’être équilibré, c’est contradictoire avec le rythme qu’il impose, dans la mesure où les règles européennes demandent un rythme de réduction annuel des déficits de 0,6 % du produit intérieur brut (PIB), de façon linéaire pendant 7 ans. C’est à dire 18 milliards par an pendant sept ans. Là, on commence avec un effort budgétaire très important de 42 milliards : deux à trois fois plus que ce qu’il faut faire. C’est donc compliqué d’affirmer que c’est équilibré, parce qu’il y a une stratégie affichée en fort décalage avec le côté progressif que les règles européennes demandent.

Ensuite, pour ce qui est de la justice dans le projet de budget, si justice signifie “équitablement réparti”, ça ne me semble pas du tout juste. On demande un effort élevé aux classes populaires et moyennes, à travers des prélèvements, comme la taxe sur l’électricité ou avec le report de l’indexation des retraites sur l’inflation. Il y a également la réduction du remboursement par la Sécurité sociale de la consultation chez le médecin.

Un certain nombre d’éléments vont peser sur les classes moyennes et populaires, tandis qu’on n’a pas du tout d’impôts sur le patrimoine. Michel Barnier avait dit « je vais taxer les riches », mais il ne le fait qu’à hauteur de 2 milliards sur 42 milliards. C’est très peu. En plus, ces 2 milliards sont prélevés sur le revenu et non sur le patrimoine. Or, on sait aujourd’hui que les inégalités en France et dans le monde sont des inégalités de patrimoine. L’accumulation de richesse se produit de ce côté-là. C’est à cet endroit qu’il y a de grosses marges de manœuvre et non du côté des revenus. En réalité, si vous êtes un Français très riche, ce n’est pas vous qui allez contribuer à l’effort budgétaire.

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Du côté des entreprises, il est vrai qu’il y a une taxe exceptionnelle, un impôt sur les sociétés (IS). Il touchera les grandes entreprises à hauteur de 8 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Mais il faudra voir son rendement réel. Surtout, c’est un impôt exceptionnel, alors que l’effort est prévu pour les sept prochaines années. Ainsi, il n’y a pas de réelle remise en question de la politique de l’offre. Ni le crédit impôt recherche ni la flat tax ne sont remises en question et on ne rétablit pas d’impôt sur le patrimoine. Pas plus qu’il n’y a de remise en cause de la baisse des impôts de production. Le gouvernement ne tire pas les leçons de ce qui n’a pas marché dans la politique précédente.

Le principe est de baisser les prélèvements obligatoires sur les entreprises et les hauts patrimoines pour les inciter à faire de l’investissement. Cette politique de l’offre a été mise en place partout en Europe, ainsi qu’aux États-Unis dans les années 80 et 90. Elle compte sur une augmentation de l’investissement, et dans sa suite de l’activité et de l’emploi, grâce à une baisse des contraintes sur les entreprises et sur les personnes aux hauts revenus et patrimoines. Mais cela n’a pas fonctionné, dans la mesure où il y a eu une augmentation du taux d’emploi certes, mais pas suffisante pour générer les nouvelles recettes qui auraient compensé les anciennes. Cela est dû notamment au fait que l’emploi créé n’a pas toujours été de haute qualité.

Par exemple, vous aidez les entreprises via l’apprentissage en payant une grande partie du salaire des apprentis. C’est une aide directe financée sur de l’argent public qui abaisse les contraintes d’embauche. Mais, en réalité, ces apprentis ne sont pas encore formés. A la fin, vous avez créé de l’emploi, mais moins productif. Il aurait fallu plus d’emplois créés et avec une productivité plus forte pour compenser les baisses d’impôts. Si on avait créé beaucoup d’emploi qualifiés alors, cela aurait généré des recettes en impôts et en cotisations.

Cette politique de baisse des prélèvements a été un leitmotiv sous les deux mandats d’Emmanuel Macron. Même en plein Covid, où des dépenses historiques ont été faites, le gouvernement a continué à baisser l’impôt de production des entreprises. Malgré des dépenses à des niveaux historiques, on a continué à baisser les recettes. La prudence exigeait une interruption des baisses d’impôts.

Une note de l’OFCE a mesuré l’écart entre les dépenses et les recettes dans le déficit public depuis 2017. Dans les trois modèles estimés, entre un tiers et la moitié de ce qui manque dans les caisses est lié aux baisses de prélèvements obligatoires. Le reste étant dû au Covid, à la guerre en Ukraine et aux mesures qui ont accompagné le mouvement des gilets jaunes. Ainsi, entre un tiers et la moitié est due à cette politique de l’offre.

Effectivement, il y a une contribution plus forte des entreprises que du patrimoine. Ce qui me rassure dans ces mesures, c’est la suppression d’une partie des exonérations de cotisations sociales sur les salaires plus élevés que le SMIC. Si elle est adoptée à la fin des débats parlementaires, c’est une remise en question partielle de la politique de baisse de la rémunération du travail, mise en place depuis les années 90.

Sur l’apprentissage, la réduction des aides aux entreprises est de 1,2 milliard d’euros sur 14 milliards. C’est bien, mais pas suffisant. Sur l’impôt sur les sociétés exceptionnel, qui doit rapporter 8 milliards en 2025 (4 milliards en 2026), encore une fois, c’est exceptionnel et ne remet pas en question le modèle. Alors qu’il faut un effort budgétaire pendant sept ans.

Dans les aides publiques aux entreprises, vous avez des subventions et des aides indirectes qui ne se voient pas : des crédits d’impôt, des exonérations fiscales et de cotisations sociales. Or, les aides publiques aux entreprises augmentent depuis les années 70-80 et ce sont les aides indirectes qui augmentent, pas les subventions. En additionnant tout : niches fiscales, niches sociales, crédits d’impôt et aides directes, en moyenne depuis 2017, l’État dépense et a un manque à gagner de recettes estimé à 200 milliards par an.

Pour autant on ne peut pas les retirer d’un coup. Ce serait un choc fiscal très important. Les entreprises françaises sont biberonnées à ces aides depuis des années. Si d’un coup vous coupez tous les crédits d’impôt, même s’ils n’ont pas vraiment créé d’emplois et d’investissements, on considère que c’est un choc trop important pour l’activité et l’emploi. L’idée serait plutôt de faire quelque chose de très progressif.

Dans ces 200 milliards, les exonérations sociales s’élèvent de leur côté à 60 milliards. Certaines ne servent vraiment à rien et c’est dans celles-là que le gouvernement coupe avec le budget 2025. On pourrait couper bien plus même de façon progressive. Peut-être que les exonérations sur les salaires autour du SMIC sont utiles. En tout cas cela fait débat chez les économistes, mais en revanche, il y a un consensus pour considérer qu’au-dessus de 1,5 ou 2 SMIC elles ne servent à rien.

Pour le coup, on peut l’estimer parce qu’on a un modèle macroéconomique développé par le Trésor et par l’Insee qui reproduit la structure de l’économie française. Et 100 000 emplois, ce n’est sûrement pas le bon chiffre. D’après l’OFCE, le budget de Michel Barnier, avec la totalité des 42 milliards de réduction du déficit public, détruira 130 000 emplois en 2025. Par conséquent, les 5 milliards de suppression d’exonération de cotisations sociales ne coûteront pas 100 000 emplois à l’économie française ! Mais on peut retenir que les choix du gouvernement sont fortement récessifs et vont détruire des emplois.

Ici, cela concerne tous les Français, même les riches. Le gouvernement va baisser de 20 milliards les dépenses publiques des ministères. En gros, on prend les missions et on en retire une partie, sauf pour certaines missions régaliennes (Défense, Intérieur). Un ministère a une mission de service public. Quand vous coupez le budget du ministère de la Santé, vous coupez sur le fonctionnement de cette mission.

Concrètement, pour le ministère de l’Éducation nationale, cela se traduit par 4000 suppressions de postes d’enseignants. C’est clairement de la coupe de service public. C’est aussi ce phénomène qui explique la baisse du remboursement de la consultation chez les généralistes. Évidemment cela se traduira par une augmentation du prix des mutuelles.

J’ai fait des estimations qui conduisent à moins 0,6 point de PIB pour 2025 donc très proche de l’estimation del’OFCE. Cela veut dire que nous ne serons pas en récession (croissance nulle ou négative – NDLR) l’an prochain, mais la croissance sera divisée par deux (l’OFCE prévoit une croissance de 0,8%).

En revanche, par définition, des recettes s’évaporent lorsque vous faites des plans d’ajustement, puisque cela entraîne une baisse de l’activité. Sur la base de 57 % de prélèvements obligatoires, quand vous baissez de 0,6 point le PIB, vous baissez les recettes d’environ 0,3 point En gros, pour les 42 milliards d’économies, vous baissez de 10 milliards les recettes, à cause de la baisse de 0,6 point de la croissance du PIB. Ce ne serait pas forcément dramatique si on devait faire des économies une seule année. Le problème est que les effets récessifs ne s’évaporent pas tout de suite. Le modèle du Trésor considère que cela a des effets au moins importants sur l’économie pendant cinq ans. En effet, les gens voient leurs revenus baisser, mais n’adaptent pas immédiatement leur mode de vie. Mais ils s’adaptent au fur et à mesure en partant moins en vacances par exemple. La difficulté ici est que l’an prochain, le gouvernement va de nouveau faire des économies. Et ainsi, accumuler des effets récessifs.

C’est le problème de cette stratégie. D’autant qu’on en fait trop au démarrage, avec 42 milliards, comme je l’expliquais au début. Avec comme risque de ne pas réussir à réduire le déficit. Cette question fait débat chez les économistes, selon la durée estimée des effets récessifs. Mais le risque c’est d’être obligé de couper de plus en plus pour gagner de moins en moins. C’est ce qui s’est passé dans les années 2010 avec l’austérité en Grèce, en Espagne, en Italie.

Le plus alarmant, c’est que notre époque est marquée par une crise écologique qui impose d’utiliser de l’argent public pour protéger les gens, compenser et réparer. Mais surtout, on a besoin d’argent public pour se préparer au choc et changer nos modes de consommation et de production. Et ce que disent les experts, c’est que moins on le fait, plus les coûts de réparation seront élevés. Je pense que, dans 20 ans, on comprendra que ce budget est une énorme erreur.