Pays de la loire coupes budgétaires

Saignée budgétaire dans les Pays de la Loire : « notre région est un test pour la France »

Le conseil régional des Pays de la Loire, dirigé par Christelle Morançais (Horizons), a voté fin décembre 82 millions de coupes budgétaires pour 2025. Dont 73 % de budget en moins pour la culture. Des milliers d’emplois sont menacés. Pour les travailleuses et travailleurs du monde associatif, culturel, du sport ou encore de l’égalité femmes-hommes, les conséquences sont drastiques et immédiates.

Après l’onde de choc, l’heure est au bilan en ce début 2025 pour les travailleuses et travailleurs du milieu culturel et associatif des Pays de la Loire. Le 20 décembre, le conseil régional a voté 82 millions d’euros d’économie pour son budget 2025. Deux fois plus que la réduction budgétaire de 40 millions demandée par l’État. Alors même que le projet de loi finances esquissé par l’ex-gouvernement Barnier, qui prévoit 5 milliards d’euros de coupes budgétaires pour les collectivités, est rediscuté sous l’égide du nouveau gouvernement Bayrou.

« Ce n’est pas un effet de zèle », s’est défendu sur France Bleu la présidente Christelle Morançais (Horizons). « Le budget de la région dépend de la croissance, de l’économie française : et aujourd’hui, celle-ci est en baisse. Comme toute famille, comme toute entreprise, quand il y a moins de recettes, on fait des économies. (…) C’est notre responsabilité de pouvoir contribuer à l’effort national, compte tenu de la dette », a-t-elle argumenté.

« C’est très violent. À la fois le poids des coupes, mais aussi dans la forme. C’est un passage en force », rétorque Chloé Gambert, du syndicat Sud Culture dans le département du Maine-et-Loire, régisseuse son de métier. « C’est vécu comme du mépris. Comme une négation de nos capacités à entreprendre y compris dans des contextes de crise sanitaire, économique, écologique… Et comme la destruction d’un travail de fourmi, de long terme », introduit Camille Prouteau, coordinatrice du dispositif expérimental TRAJET.

Porté par les six pôles régionaux culturels des Pays de la Loire (arts visuels, lecture, patrimoine, spectacle vivant…), TRAJET a formé et accompagné 150 porteurs de projets culturels depuis sa création en 2020. Mais le vote du 20 décembre a acté la suppression du soutien de la région à ce dispositif innovant. Camille Prouteau voit son poste supprimé, dès juin.

Quant aux pôles régionaux culturels, têtes de file de la production culturelle ligérienne, la saignée est radicale : tous perdent 50 % de leur subvention régionale en 2025, puis 100 % par la suite. Or, ces pôles ont la moitié de leur budget qui repose sur le conseil régional. « Ils sont menacés de suppression dès 2025 », tranche Camille Prouteau. « On a le sentiment que c’est une décision idéologique, carriériste. Et que sur l’autel de la carrière, on détruit tout le maillage patiemment construit depuis 20 ans ».

Une manifestation s’est tenue, les 19 et 20 décembre, devant l’hôtel de ville où se tenait la séance budgétaire. Une délégation a demandé à être reçue : en vain. Un mois plus tôt, le 25 novembre, une manifestation avait réuni près de 3 000 travailleuses et travailleurs du milieu culturel et associatif à Nantes. Car Christelle Morançais, qui avait déjà épinglé un pays « shooté à la dépense publique », avait annoncé la couleur en novembre, en promettant initialement 100 millions de coupes. Ce sera 82 millions pour 2025, avec l’objectif d’atteindre 100 millions à la fin du mandat en 2028.

« Brutal » : l’adjectif revient dans les bouches de tous les actrices et acteurs culturels et associatifs ligérien.nes interrogées par Rapports de Force. 100 postes d’agents du conseil régional sont supprimés, tandis que les secteurs culturel, associatif, sportif, sont frappés de plein fouet par ces coupes. Près de 73 % des subventions allouées à la culture sont supprimées. Nos confrères de Médiacités tentent de compiler au maximum les informations des différentes structures de la région. Selon la CGT Culture, 13 000 emplois sont menacés.

Prenons le seul exemple de la Vendée. Ce sont des institutions comme Le Grand R qui perd 100 000 euros ; la Concorde et son Festival international du film qui perd 57 000 euros ; ou encore le Quai M, pour qui la coupe de 41 800 euros signifie un coup d’arrêt pour ses résidences d’artistes locaux ou ses actions de médiations culturelles dans les prisons. L’importante compagnie de théâtre Le Menteur volontaire, qui emploie 50 personnes par an, perd 36 % de son budget : « une dizaine d’intermittents ne pourront être réengagés (…) j’ai dû me résoudre à enlever plus de 580 jours de travail rémunérés », rapporte Laurent Brethome, le metteur en scène.

« Il y a la réalité des « gros », qui vont devoir réduire la voilure mais pouvoir continuer de créer ; et tout un tas d’acteurs culturels, déjà bien souvent isolés et invisibles dans notre département à forte connotation rurale », explique Pierre-Yves Bulteau, de Sud Culture Vendée.

Pour celles et ceux-là, la situation est encore plus difficile. « C’est la stratégie du choc : on est submergés par la brutalité de la décision », témoigne Claudie Douet, danseuse dans la Sarthe, de la compagnie Auguste Burin. Depuis bientôt douze ans, celle-ci mène un projet à budget modeste avec des personnes en situation de handicap : les Volontiers. Onze personnes, venues de différents foyers de vie ou maisons d’accueil spécialisées, participent à une vingtaine d’ateliers par an au sein d’un théâtre de la ville du Mans, la Fonderie.

« On est là ensemble pour faire du théâtre, de la danse, de la musique… Certaines sont là depuis 2013 ! », décrit Claudie Douet. « C’est une respiration dans leur quotidien, un endroit où elles viennent trouver de la confiance en elles, de l’autonomie… Cela leur ouvre un monde qu’on ne leur ouvre pas d’habitude : et en cela, c’est politique. »

Mais voilà : dès janvier, ce projet perd sa subvention régionale de 5 000 euros qui le faisait tenir. La compagnie assurera les ateliers prévus jusqu’en juin, mais l’équipe ne pourra pas se rémunérer à chaque fois. Pour la suite, « je ne sais pas comment on va pouvoir continuer » soupire Claudie Douet.

Après plus de 30 ans d’intermittence, la danseuse de 58 ans envisage une réorientation professionnelle. Par lassitude. Et parce que « même si je ne suis pas très engagée politiquement, je sens qu’il y a quelque chose dans notre société qui se resserre, avec la montée du RN. On empêche de plus en plus les projets avec des publics en marge, avec de la réflexion, de l’autonomie, de l’indépendance », dénonce-t-elle.

La culture n’est pas le seul secteur violemment touché. C’est aussi le cas de l’économie sociale et solidaire, du sport, des associations relatives à l’égalité femmes-hommes et à la santé. Le Planning familial, association historique pour la santé sexuelle et affective et pour l’égalité de genre, est attaqué. Dès janvier, la fédération régionale du Planning perd la totalité de sa subvention régionale, soit 66 700 euros. Le conseil régional était son deuxième financeur. « L’impact direct, c’est 2 000 élèves que nous ne verrons pas en 2025 », affirme Sandrine Mansour, coordinatrice régionale, dont le poste est lui-même en danger.

Ces coupes vont, par ricochet, obliger les Plannings familiaux de chaque département à réduire leurs activités ou à fermer des permanences – pourtant indispensables notamment en zone rurale. « J’ai le sentiment que nous sommes une région test pour la France », déplore la responsable associative. « Dans les discours politiques récents, il y a une volonté de réduire le champ des interventions des associations : nous voilà dans le concret. »

D’autres associations intervenant pour la santé comme les branches ligériennes d’Addictions France et de Promotion Santé ; ou contre les violences faites aux femmes et intrafamiliales comme le CIDFF, sont touchées. « C’est un calcul à court terme : un euro mis dans la prévention santé, c’est 37 euros d’économisés en soins », épingle Sandrine Mansour. « Tout cela fragilise notre région économiquement. Et il sera difficile de relancer le dynamisme puisque des milliers d’emplois sont partout en péril ». Des emplois en majorité occupé par des femmes, par ailleurs.

La prévention, « c’était le dernier rempart. Si même la prévention est touchée, cela va aggraver les inégalités de santé, la précarité, les inégalités femmes hommes… » conclut la coordinatrice régionale du Planning. « J’espère que les élus de la majorité pensent à leurs enfants, à leurs voisins, aux enfants de leurs voisins, à tous ceux qu’ils croisent dans la rue et auprès de qui on interviendra pas ».

Tous les citoyens ligériens vont être touchés par ces coupes, qu’il s’agisse de leurs droit à la santé ou de leurs accès aux loisirs, aux pratiques sportives, à la culture. « N’importe quel parent qui amène ses enfants dans une association de théâtre ou autre est concerné. Pourtant la population s’en inquiète peu. Ce n’est pas tant relayé par rapport au nombre de personnes touchées », s’interroge Chloé Gambert, de Sud Culture. « Pour la suite de la mobilisation, ce sera notre premier objectif : mieux informer les gens pour qu’il y ait une prise de conscience ».

Les structures sont désormais suspendues au vote budgétaire des départements. « Il faut rester vigilants pour que les coupes budgétaires ne s’étendent pas plus », alerte Chloé Gambert. Sur les 5 milliards d’euros de réductions budgétaires directes prévues par le PLF, 2,2 milliards concernent en effet les seuls conseils départementaux.

Pour sauver les meubles pour les mois à venir, nombre d’acteurs sont en train de chercher du soutien de fondations privées. C’est le cas du Planning Familial. Ou à l’échelle individuelle, de la danseuse Claudie Douet, qui pour maintenir encore un peu son projet Les Volontiers, approche des fondations comme Malakoff Humanis. Tout en sachant qu’il sera impossible de « ne travailler qu’avec des mécènes ou de l’argent privé : on ne peut pas travailler au coup par coup comme ça ».

En attendant, donc, la mobilisation va se poursuivre : « sous des formes plus durables, de fond », croit Camille Prouteau du dispositif TRAJET, qui se sent « plus combative maintenant qu’en décembre ». L’enjeu : « ne pas oublier ce qu’il s’est passé et de garder de la visibilité. Nous avons un rôle à jouer contre la bataille culturelle qui est en train d’être gagnée », soutient-elle. « Contre le renfermement sur soi, la peur de l’autre, le dogme de la dépense publique considérée comme un point noir… Alors que la culture, c’est de l’investissement dans l’avenir ».

Photo : manifestation le 19 décembre 2024 à Nantes, crédit : TALM en lutte (écoles des Beaux Arts de Tours, Angers, Le Mans)