Argentine, grève générale

Le droit de grève, cible de choix de l’extrême-droite au pouvoir en Argentine

Éducation, transport, énergie, médias : une multiplicité de secteurs sont frappés par une restriction du droit de grève, pourtant inscrit dans la Constitution argentine. Un décret signé le 20 mai par le gouvernement d’extrême-droite de Javier Milei leur impose de maintenir l’activité à 75 % minimum. Les syndicats et la société civile, fortement mobilisés depuis un an et demi, promettent de réagir.

Le gouvernement d’extrême-droite de Javier Milei impose un nouveau grave recul des droits sociaux des citoyens argentins. Dans un décret paru mardi 20 mai, titré sur la régulation de la marine marchande, ce dernier restreint brutalement le droit de grève dans de multiples secteurs.

À savoir : le transport fluvial et maritime donc, mais aussi l’industrie alimentaire ; les télécommunications (radio, télévision, internet) ; l’hôtellerie-restauration ; l’éducation (de la maternelle au secondaire en passant par l’éducation spécialisée) ; le transport de marchandises ; les aéroports ; les douanes et services de l’immigration ; les services pharmaceutiques ; la garde d’enfants ; les services bancaires et financiers ; ou encore le secteur de la distribution de gaz et autres combustibles.

Ces secteurs jugés essentiels ont l’obligation, par ce décret, d’assurer au minimum 75 % des services. Jusqu’ici, seuls les secteurs des hôpitaux, de la téléphonie, du contrôle aérien et de la distribution d’eau potable et d’électricité étaient concernés par cette liste, initiée par la loi Banelco de 2004. Des sanctions et amendes sont prévues en cas de non-respect des obligations. Le gouvernement Milei compte aussi dresser une liste de secteurs dits d’importance transcendante, dans lesquels les salariés n’ont pas le droit de réaliser une couverture inférieure à 50 % de leurs services habituels.

Cette méthode consistant à diluer de graves atteintes aux droits dans un texte sur la marine marchande, sans annonce ni débat public préalables, a été dénoncée par l’avocat du travail Antonio López Forastier, interviewé le 22 mai sur Radio República : « Limiter autant d’activités, dans une telle discrétion, et par décret, facilite pour les tribunaux la déclaration d’inconstitutionnalité ».

Pour rappel, la justice a déjà suspendu un méga-décret portant atteinte – entre autres – aux droits des travailleurs, que Javier Milei avait tenté de faire passer en décembre 2023, à peine un mois après son investiture. Aujourd’hui, le gouvernement assure ne pas craindre de retocage par le pouvoir judiciaire : « Rien ne sera hors-la-loi », martèle le porte-parole de la présidence, Manuel Adorni.

Quoi qu’il en soit, le décret, signé de la main de Milei et de plusieurs ministres, ouvre grand la porte à un élargissement futur de ces listes. Il créé en effet une commission, présentée comme « indépendante et autonome », qui aura le pouvoir d’ajouter un secteur à la liste du 20 mai déjà très étendue. Cette commission sera composée de seulement cinq membres, ayant une compétence « professionnelle ou académique reconnue en matière de relations de travail, de droit du travail ou de droit constitutionnel ».

Par simple résolution, ces cinq membres pourront mettre à jour la liste dans certaines circonstances. Des circonstances aussi floues qu’arbitraires : si l’activité affectée « constitue un service public d’importance transcendante ou d’utilité publique » ; ou si l’interruption de la production peut « compromettre l’approvisionnement adéquat de la population en produits essentiels et/ou affecter les objectifs de collecte associés aux politiques d’équilibre budgétaire ».

Ce décret est donc « un grave affront à la démocratie et aux principes élémentaires de liberté syndicale inscrits dans notre Constitution nationale, chapitre 14 bis et dans la Convention 87 de l’Organisation internationale du travail », a dénoncé la puissante Confédération argentine des travailleurs du transport (CATT). « Ce texte tente de supprimer d’un trait de plume le droit de grève en Argentine » a réagi de son côté la CGT argentine.

La première force syndicale du pays affirme qu’elle « ne restera pas silencieuse face à cette grave avancée d’un gouvernement qui entend effacer, une fois de plus, les droits qui ont coûté si cher à conquérir et à défendre. Le mouvement syndical organisé mènera les batailles qui s’imposent, que ce soit devant les tribunaux, dans la rue ou sur le lieu de travail ».

L’idée du gouvernement Milei est de couper l’herbe sous le pied à ce mouvement social, en limitant la capacité d’avoir des grèves fortes dans des secteurs stratégiques. De fait, il y a un peu plus d’un mois, le 10 avril, une grève générale a été déclarée en Argentine. Il s’agissait de la troisième depuis le début de la présidence Milei il y a un an et demi.

Rappelons qu’en France, cette présidence brutale fait des émules. « L’Argentine sur le chemin de la liberté derrière le professeur Milei », titrait le journal Le Point à l’occasion du premier anniversaire de l’élection du président d’extrême droite. En plein débat sur le budget, en octobre 2024, le député Eric Ciotti (Union des droits pour la République, ex-président LR) avait pour sa part assumé : « Je prends l’exemple de ce qui est fait en Argentine avec le président Milei, il faut qu’on ait une tronçonneuse pour couper dans les dépenses publiques qui ne servent à rien en France. Je crois que ce qu’il porte est une piste ».

Sans compter les velléités régulièrement affichées pour s’attaquer au droit constitutionnel de faire grève. « SNCF : faut-il limiter le droit de grève ? » s’interrogeait encore il y a trois semaines Public Sénat ; tandis qu’en avril 2024, les sénateurs avaient adopté un texte de loi pour limiter ce droit dans le secteur des transports – texte qui n’avait pas reçu le soutien de l’Assemblée nationale et avait donc terminé sa course… Avant une prochaine réapparition.