Manifestation contre les accidents aux travail, 2025. Crédit : Roland Bobillot

En 2024, toujours plus de morts du travail

L’Assurance-maladie vient de publier les chiffres annuels des décès au travail. En 2024, 1297 personnes ont perdu la vie en raison de leur activité professionnelle. Une année record qui confirme la hausse de cette mortalité entamée lors du premier mandat d’Emmanuel Macron. Si les pouvoirs publics prennent conscience du problème, l’action de l’État demeure insuffisante.

C’est ce cheminot qui saute d’un TGV en marche pour mettre fin à ses jours le soir du réveillon de Noël en Seine-et-Marne.
C’est cet homme de 42 ans happé par une machine agricole à calibrer les pommes de terre dans le Vaucluse. 
C’est cette interne en médecine qui succombe à un accident routier en se rendant à l’hôpital de Dole dans le Jura.
C’est ce tarnais de 24 ans tué, alors qu’il déchargeait du bois pour un prestataire du chantier de l’autoroute A69. 
C’est cet ouvrier soufflé par une explosion dans un entrepôt près de Dijon.

Ce sont ces vies volées au boulot auxquelles l’enseignant Mathieu Lépine donne un nom, un visage, une histoire dans sa veille annuelle. Toutes et tous figurent parmi les 764 personnes décédées sur leur lieu de travail cette année 2024. A ce nombre, il convient d’ajouter 318 accidents de trajets mortels sur le chemin du boulot ou lors de livraison et 215 décès liés à des maladies professionnelles. En tout, 1397 personnes sont mortes de leur travail en 2024, dénombre le dernier rapport de l’Assurance-maladie, publié ce 21 novembre.

Pour avoir une vue d’ensemble de la mortalité professionnelle en France, il faudrait adjoindre les défunts non affiliés au régime général de la Sécurité sociale, comme les travailleurs indépendants, ubérisés, les agriculteurs, comptabilisés par la Mutuelle sociale agricole, et ceux de la fonction publique, dont les chiffres ne sont pas rendus publics. Politis avait tenté de compiler toutes les données disponibles et décompter 903 décès pour 2022. A l’échelle européenne, la France fait partie des pays où l’on meurt le plus de son métier, malgré des comptabilités différentes.

Sans surprise, le transport (178), le BTP (146) demeurent les secteurs les plus mortifères devant les services 138 qui regroupe le nettoyage, la santé et action sociale, mais surtout le travail temporaire, plus propices à subir des des accidents. « Dans le secteur de la construction, il y a au minimum un mort par jour. Cela veut dire concrètement qu’un gars se lève le matin pour aller bosser et ne revient pas à la maison le soir. C’est catastrophique », s’insurgeait la CGT Construction auprès de L’Humanité. Tous secteurs confondus, les chutes de hauteurs et de plain-pied et la manutention sont les risques les plus fréquents parmi les causes identifiées. Les malaises sur le lieu de travail représentent la moitié des cas (215). Les chauffeurs routiers sont particulièrement concernés.

Malgré une légère diminution des accidents tu travail, ceux mortels augmentent en 2024 demeure pour la quatrième année consécutive. En baisse jusqu’à la moitié des années 2010, la mortalité professionnelle augmente de fait sensiblement depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, passant de 530 personnes décédées sur leur lieu de travail en 2017 à 764 en 2024. Une année record donc avec cinq décès de plus que 2023 qui avait déjà atteint le terrible pic de 759. « Des chiffres jamais atteints au XXIème siècle », nous rappelait Mathieu Lépine qui recense 215 drames en 2025 à partir de coupures de presse.

Plusieurs facteurs sont identifiés depuis longtemps. La suppression des Comité d’hygiène et sécurité (CHSCT), par les ordonnances Macron en 2017, la baisse des effectifs des médecins et inspecteurs du travail, malgré un léger rattrapage dernièrement. « A l’Ouest rien de nouveau, se désole Michel Bianco qui lutte contre ce fléau depuis que son fils Jérôme a perdu la vie sur un chantier en 2006. « Depuis la loi travail, les employeurs sont en roue libre sur la santé et la sécurité au travail. Les organisations du travail conduites par un management du-toujours-plus pour dégager des dividendes ne sont jamais interprétées comme accidentogènes ». Cette course à la rentabilité par une intensification de la production se conjugue au recours à un moins disant social via la sous-traitance, elle-même génératrice de risques physiques et d’accidents. Une manière de contourner les organisations syndicales, remparts aux pratiques dangereuses. Et accessoirement de diluer la responsabilité des donneurs d’ordres, pourtant soumis à un devoir de vigilance envers leurs prestataires. Cette obligation vient d’être mise à mal par la directive européenne Omnibus. « Les peines prononcées au pénal n’ont rien d’exemplaire pour les employeurs délinquants ». L’impunité patronale se traduit toujours par de rarissimes condamnations à du sursis surtout des petites entreprises. En juillet 2025, une circulaire ministérielle entendait améliorer la coercition et les contrôles de l’inspection du travail.

En prime, l’allongement de la durée de travail (à 62 ans puis à 64 ans) expose les seniors à des risques plus graves que la moyenne des salariés. 58% des morts au travail ont plus de 50 ans, selon une étude de Mutualité française. Les accidents chez les moins de 25 ans sont eux, 2, 5 fois plus fréquents, révèle de son côté l’INRS. Le nombre de tués est « de façon plus importante que pour les autres classes d’âge, d’AT ayant une origine professionnelle, c’est-à-dire hors malaises ou suicides », lit-on dans le dernier rapport de l’Assurance-maladie.

Depuis quelques années, les fins de vie en entreprise des jeunes adultes ou mineurs se multiplient. En 2019, Ludovic, apprenti barman en Indre-et-Loire, meurt sous un monte-charge à l’âge de 19 ans. En 2023, Tom est asphyxié sous des caisses de carcasses dans un abattoir en Bretagne. En mai 2025, un lycéen de 17 ans, reçoit une poutre métallique de 500 kg sur un chantier en Saône-et-Loire. Lorenzo, lui, avait 15 ans quand il est percuté par un engin durant son apprentissage dans le BTP à Nice.

Entre avril et juillet dernier, cinq mineurs sont morts, d’après la CGT. « Ces chiffres auraient dû alerter. Pourtant, le choix a été fait, depuis 2022, d’augmenter les temps de présence des mineurs en entreprise sous prétexte d’améliorer l’orientation et l’insertion professionnelle », dénoncent les secrétaires généraux de ce syndicat dans une tribune du Monde en octobre dernier. En 2018, la « loi pour la liberté » a assoupli la réglementation de la durée hebdomadaire et du travail de nuit pour les personnes en apprentissage. Résultat ? Le nombre d’apprentis est passé de 448 000 cette année-là à… plus d’un million en 2023, d’après l’Insee. Commerce, esthétique, coiffure, restauration, tous les secteurs y ont eu massivement recours, incités par une meilleure prise en charge financière de l’État. « Cette explosion a conduit à un détournement de l’apprentissage pour remplacer certains postes par un main d’œuvre à bas coût », constate sur le terrain un inspecteur du travail. Quitte à exposer aux tâches dangereuses des jeunes inexpérimentés, sans formation ni personnel encadrant faute de personnel. Près de 60 % de ces défunts de moins 25 ans, avaient moins d’un an d’ancienneté. Les primo-travailleurs formés en santé et sécurité au travail pendant leur scolarité ont deux fois moins d’accidents du travail que les autres, souligne l’INRS. « Il est nécessaire de renforcer cette formation aux règles élémentaires du droit du travail », confirment les signataires cégétistes de la tribune qui souhaitent interdire les travaux dangereux avant 18 ans. Le père d’Alex, ce lycéen en seconde générale mort lors d’une immersion un magasin de meuble, vient lui de lancer une pétition pour exiger la fin des stages obligatoires, mis en place en 2024 pour les collégiens ou lycéens.

« Fait notable », remarque toutefois Michel Bianco cette année : la plus grande publicisation des chiffres des accidents du travail. « J’y vois le résultat de l’engagement de l’association des familles de victimes « stop à la mort au travail ». Depuis 2022, le gouvernement s’est décidé à ne plus regarder les travailleurs tomber. Il déploie un plan national de prévention des accidents qui consiste qui consiste principalement en la sensibilisation des salariés en matière de sécurité plutôt qu’à la remise en cause d’une organisation du travail dangereuse. « On peut se féliciter que ça devienne un sujet politique avec une priorité affiché mais concrètement y’a pas grand-chose de concret et nos pratiques sont les mêmes », abonde un agent du ministère du travail. On mesure aujourd’hui « l’efficacité de cette culture de prévention » dans les chiffres records publiés par l’Assurance-maladie.  

Crédit photo : ©Roland Bobillot