Comment la grève du 5 décembre s’est imposée à l’Assemblée des assemblées

 

Pendant trois jours, 450 gilets jaunes sont venus de toute la France pour débattre à Montpellier des suites à donner à leur mouvement. Pour cette quatrième Assemblée des assemblées (ADA), ils ont concentré leurs réflexions sur comment renouer le lien avec la population, converger avec d’autres mouvements, s’organiser face à la répression, structurer leur ADA ou agir dans le contexte des élections municipales. Mais la perspective d’une grève reconductible à partir du 5 décembre s’est imposée comme un sujet central.

 

À la buvette, dans les couloirs comme dans l’espace extérieur où les gilets jaunes peuvent fumer à l’abri de la pluie, chacun y va de son analyse ou de son commentaire sur la grève du 5 décembre contre la réforme des retraites. « C’est une mauvaise date, les gens ne vont pas partir en grève juste avant Noël », prophétise un quarantenaire qui soupçonne une intervention néfaste des directions syndicales dans le choix de cet agenda. « Si c’est fort, nous allons y mettre tous nos moyens », assure un autre gilet jaune venant du nord de l’Ardèche. À la retraite, il est prêt à aller renforcer les actions des grévistes avec ceux qui, comme lui, ne peuvent se mettre en grève parce que retraités ou chômeurs.

Cette échéance du 5 décembre à l’initiative des structures syndicales ne faisait pas partie des sept thèmes choisis par les organisateurs montpelliérains pour cette quatrième ADA. Pourtant, dès l’ouverture de l’assemblée, elle a été ajoutée dans les thématiques supplémentaires, avec celle des révoltes dans le monde. Mais même si un espace de discussion lui est maintenant dédié, la date du 5 décembre s’invite dans la plupart des débats. Qu’il s’agisse des discussions sur la convergence avec d’autres mouvements ou sur l’anniversaire du mouvement le 17 novembre, la perspective d’une grève générale en fin d’année regonfle des gilets jaunes dont la mobilisation subie actuellement un creux.

 

Vers un 5 décembre en rouge et jaune

 

Au deuxième soir de l’ADA, une cinquantaine de délégués se réunissent en débat libre et s’accordent sur un court texte d’appel pour cette échéance. Le lendemain matin en assemblée plénière, il est proposé, acclamé et adopté à une écrasante majorité. Pourtant, en début de week-end, les organisateurs avaient annoncé une nouvelle méthode de travail afin de promouvoir les débats et l’expression de tous. Celle-ci éliminait les votes fastidieux sur des appels ou des déclarations de l’ADA au moment de la dernière réunion plénière. À la place : des restitutions mettant en avant les points de consensus ou de dissensus, ceux nécessitant encore des discussions, et les propositions devant redescendre dans les groupes de gilets jaunes.

Cependant, le besoin de se prononcer sur un sujet présent dans toutes les têtes a fait exploser ce cadre en fin de week-end. Ainsi deux appels à la mobilisation ont été votés par les délégués des 200 groupes de gilets jaunes représentés à l’ADA. Le premier invite l’ensemble de la population à se mobiliser les 16 et 17 novembre pour les un an du mouvement. Le second se concentre sur la lutte contre la réforme des retraites et « appelle les gilets jaunes à être au cœur de ce mouvement, avec leurs propres revendications et aspirations, sur leurs lieux de travail ou sur leurs ronds-points, avec leurs gilets bien visibles ».

 

 

Malgré une méfiance encore bien présente à l’égard des structures syndicales, l’appel annonce que « l’heure est à la convergence avec le monde du travail et son maillage de milliers de syndicalistes ». En résonance avec cette déclaration, pendant les débats sur la convergence avec d’autres mouvements, l’accent a été mis à plusieurs reprises sur le fait que les gilets jaunes ne doivent pas attendre de réciprocité de leurs partenaires, mais agir en fonction de la justesse des combats. C’est ce qui semble gouverner leur choix pour la grève à partir du 5 décembre. Pour eux, « une défaite du gouvernement sur sa réforme des retraites ouvrirait la voie à d’autres victoires pour notre camp ».

La convergence contre la réforme des retraites pourrait prendre des formes différentes d’un endroit à l’autre. La grève dans les entreprises pour les uns, l’occupation des ronds-points assortie d’actions de blocage pour les autres. D’ores et déjà, des groupes de gilets jaunes s’organisent. Certains recensent les professions en leur sein pour cibler les entreprises où aller distribuer des tracts. D’autres demandent à ce que circulent des documents expliquant le droit de grève. Dans plusieurs départements, des contacts se tissent avec les unions locales ou départementales de structures syndicales.

 

Pas de stratégie unique

 

Pas question pour autant de se ranger derrière les syndicats. La plupart des gilets jaunes veulent conserver leur autonomie. Si certains imaginent un travail commun pour organiser des assemblées générales à la base dans les entreprises ou à l’échelle territoriale pour mettre en œuvre la grève reconductible, d’autres entrevoient des actions parallèles plus radicales pour paralyser le pays. Ceux-là craignent que les syndicats ne se contentent de quelques reculs du gouvernement pour mettre fin au mouvement, alors que beaucoup de gilets jaunes aspirent clairement à une rupture avec le système économique et politique, même si tous ne la conçoivent pas de la même manière.

En effet, si la confrontation avec le pouvoir d’Emmanuel Macron forge une identité commune pour les gilets jaunes, les moyens proposés pour changer le système sont parfois très éloignés, chacun cherchant « le bon chemin ». À côté des batailles sociales de cette fin d’année, les actions d’entraide et de solidarité envers la population, les discussions sur comment produire et faire vivre différemment une démocratie orientent une partie des gilets jaunes vers la tentation de créer une contre-société dès maintenant. À l’inverse, les débats autour des élections municipales ramènent une partie du mouvement dans le jeu politique. Là, les propositions font le grand écart : participation à des listes pour les uns, création d’assemblées citoyennes parallèles pour contrôler le pouvoir municipal pour d’autres, ou encore refus catégorique de toute participation au jeu institutionnel.

De grandes orientations que cette quatrième ADA n’a pas été en mesure de trancher, les références politiques ou les cultures militantes des gilets jaunes restant toujours très diverses après un an d’existence. Toutes ces questions feront probablement encore débat pour la cinquième ADA qui devrait se dérouler à Toulouse en fin d’hiver. Un débat sur comment sortir du capitalisme y est déjà programmé.

 

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