Engagé en soutien d’une intérimaire ayant dénoncé du harcèlement sexuel, le cheminot Anthony Auguste, délégué Sud-Rail, vient d’être sanctionné par la SNCF. D’autres syndicalistes dénoncent une mauvaise prise en charge des violences sexistes et sexuelles au sein de l’entreprise, avec peu de protection voire un retournement de la charge contre celles et ceux qui osent parler.
Syndicaliste de Sud-Rail, Anthony Auguste a été sanctionné d’un jour de mise à pied avec sursis par la direction de la SNCF, le 14 mai. Engagé dans la dénonciation du harcèlement sexuel au sein de l’entreprise aux côtés d’une intérimaire qui a brisé le silence, Lou-Anne Rommel, le syndicaliste indique : « Je vais faire appel de cette décision au sein de la SNCF. L’inspection du travail m’encourage aussi vivement à déposer un dossier aux prud’hommes : ce que je vais faire prochainement ».
Le 10 avril, Rapports de force avait publié une enquête sur la situation de harcèlement sexuel dénoncé par Lou-Anne Rommel ainsi qu’une autre jeune femme, dans le secteur de Monsoult (Val d’Oise), où l’agent mis en cause, Laurent V., exerce toujours. Une enquête interne est en cours d’instruction, nous avait signifié la communication de la SNCF le 9 avril.
Il est reproché à Anthony Auguste d’avoir émis des « accusations graves et pressions » à l’encontre dudit agent mis en cause. Dans le document de mise à pied, la SNCF détaille les propos jugés problématiques : « Bonjour, je ne te connais pas, je t’ai vu 3 fois, mais j’entends trop parler de toi. Tu sais pourquoi on est là ? ». Et d’avoir usé du surnom « mon petit » à plusieurs reprises. L’entreprise soutient que de tels propos ont « porté atteinte aux intérêts de l’entreprise et à la santé du salarié qui s’est déclaré en accident du travail ».
Il est également reproché au syndicaliste d’avoir, lors d’un rassemblement de soutien à Lou-Anne Rommel organisé avec des collègues, lancé à un manager adjoint de secteur : « J’ai rdv à l’inspection du travail cet après-midi, ils vont entendre parler de toi ! Et t’inquiète on va revenir de toute façon ! » Ce manager adjoint est mis en cause dans notre enquête pour sa protection de l’agent harceleur.
Invitée à réagir à la mise à pied avec sursis d’Anthony Auguste, la SNCF indique simplement : « Chaque cas est particulier, les sanctions sont adaptées à chaque situation ».
La SNCF « ne veut pas reconnaître notre statut de lanceur d’alerte »
Cette histoire, « c’est ce que j’ai vécu il y a un an, pour des faits remontant au 2 mai 2023 », relate Régis, syndicaliste Sud Rail du côté de Strasbourg. Ce jour-là, sur le site de Haguenau, il est témoin direct d’une agression : « Un collègue a eu des gestes très déplacés, de nature attouchements sexuels, sur une collègue, Marion. Celle-ci s’est retournée et l’a giflé. » Ce n’était pas la première fois. « En tant que délégué je lui ai proposé mon aide, parce qu’elle voulait que ça s’arrête. J’ai prévenu mon directeur d’établissement, puis c’est monté au niveau de la région Grand Est, puis au niveau national : rien n’a été fait. »
À la suite d’une lettre écrite par l’agresseur, parvenue à la fédération syndicale ainsi qu’au comité éthique de la SNCF, une procédure disciplinaire a été ouverte par la SNCF contre… Régis. Un cabinet privé a été missionné, l’enquête a duré six mois. En avril 2024, Marion et lui sont convoqués en conseil de discipline. « De victime, elle est passée à agresseuse. Et moi, logiquement, je devenais menteur et coupable de dénonciation calomnieuse envers mon collègue. » Marion écope de cinq jours de mise à pied ferme. Régis, soutenu par une forte mobilisation, subit six jours de mise à pied, un déplacement disciplinaire d’office, et un dernier avertissement : « Cela signifie que s’il se reproduit des faits de même nature, je serai licencié sans autre forme de procès. »
Réseau de référents éthiques, de référents harcèlement sexuel, e-learning, campagne de sensibilisation… La SNCF affiche pourtant une politique « tolérance zéro » vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles. Celle-ci s’est traduite depuis 2021 par « 57 licenciements prononcés par l’entreprise pour des situations en lien avec des agissements et/ou propos sexistes ou sexuels », répète son service de communication, lorsque nous l’invitons à revenir sur le traitement par l’entreprise du dossier de Régis et Marion.
« Les femmes n’osent plus parler »
Les sanctions vis-à-vis de femmes victimes et de syndicalistes qui les soutiennent, « c’est une vraie politique menée par la SNCF », estime pour sa part Régis. « L’entreprise ne veut pas reconnaître notre statut de lanceur d’alerte. On se rend compte que ça vise principalement les délégués Sud et CGT, les plus virulents. »
La conséquence, c’est que « les femmes n’osent plus parler, quand elles savent que même un délégué syndical risque la radiation… On a des femmes qui viennent travailler la boule au ventre, qui n’osent plus rien dire », affirme-t-il.
Cette difficulté à faire reconnaître les cas de harcèlement au sein de la SNCF, Valéria Peix, cheminote et cofondatrice de l’association Stop harcèlement ferroviaire, la connaît bien. Elle même concernée par l’inertie de la SNCF pour faire reconnaître sa propre situation de harcèlement, elle aide les victimes depuis 2022. « Nous avons reçu une quarantaine de signalements depuis nos débuts. La SNCF veut donner l’image d’une entreprise très bienveillante et très respectueuse de ses salariés mais en coulisse c’est autre chose. Le harcèlement est dissimulé, les signalements à la direction de l’éthique mènent à des enquêtes à charge contre les victimes et très peu de dossiers gérés en interne finissent par punir les fautifs. Tout est très long, souvent au moins trois ans, et les organisations syndicales ne sont pas dimensionnées pour porter ces sujets sur ce temps long. C’est le pot de terre contre le pot de fer. Les trois quart du temps l’employeur est dans le déni et seule la justice permet d’obtenir réparation. » De fait, en avril 2023, la cour d’appel de Caen a condamné SNCF Réseau pour « harcèlement moral » envers Valeria Peix, ainsi que pour « des manquements commis suite à la dénonciation de faits de harcèlement sexuel », rappelle Médiapart.
« C’est beau de se taper son chef lol »
Du côté de la CGT Cheminots aussi, la colère monte sur ce sujet. Dans un communiqué des différentes branches parisiennes, le 27 février 2025, le syndicat constate que « ces derniers mois, plusieurs militants de la CGT des cheminots ont été victimes de sanctions abusives (…) simplement parce qu’ils ont exercé leurs missions de défense des cheminots, de lanceurs d’alertes et organisé des mobilisations ». Des pratiques « loin d’être isolées » qui selon le syndicat « révèlent une volonté de plus en plus claire de la direction de la SNCF de briser les résistances syndicales et de faire taire les voix dissidentes ».
Samy Charifi Alaoui fait partie de ces personnes récemment sanctionnées. Ce syndicaliste de la branche Paris-Est vient de recevoir, le 5 mai, une mise à pied de deux jours ainsi qu’un avertissement avant licenciement. Les motifs avancés concernent la dénonciation publique de certains faits, dont des faits de harcèlement. « J’étais déjà conscient de ce que j’encourais en faisant ce genre de démarches, mais j’étais déterminé à mettre en lumière l’inaction sur le sujet », retrace-t-il.
Son engagement sur les questions de violences sexistes et sexuelles a commencé début 2019. Samy Charifi Alaoui apprend alors par une collègue qu’une conductrice tram-train, S., est harcelée sexuellement par son supérieur hiérarchique. Les textos que nous avons consultés sont sans équivoque. Ce supérieur hiérarchique écrit à S. : « J’suis jaloux car tu veux pas m’offrir ton corps une heure », « c’est pas ma faute si t’es sexy », « c’est beau de se taper son chef lol ».
À plusieurs reprises dans les échanges, la jeune femme réitère son refus d’entrer dans ce genre de discussion : « Mais j’tai déjà dit non », « tu comprends pas », « je parle pas 36 langues ». Ce à quoi son supérieur répond : « Mdrrr », « ça tacle 🙂 ». Le supérieur hiérarchique va encore plus loin et finit par écrire : « Si tu m’invite pour l’apéro je pense que je te viole lol ».
« À chaque fois que je relis ces messages, ça me choque et ça me fait monter en pression. Je suis père de famille, j’ai une petite sœur », réagit Samy Charifi Alaoui. Avec son appui, la jeune femme est reçue le 29 mai 2019 tandis que le syndicaliste prévient le directeur des lignes concernés le 5 juin.
« Les femmes dans l’entreprise ne sont pas du tout protégées »
Ce n’est que deux ans plus tard, en 2021, que le harceleur écope de cinq jours de mise à pied. Dans l’intervalle, aucune mesure de protection efficace n’a été prise, ni pour protéger S., ni pour protéger les autres femmes sous l’autorité de ce cadre SNCF, selon Samy Charifi Alaloui. « J’étais révolté », se souvient-il. « Je passais des coups de fil et mails chaque jour : pour moi, chaque minute était importante pour cette jeune femme et pour les autres femmes que cet homme croisait. À tort ou à raison, je trouvais qu’il y avait une réelle urgence. Ça m’a vraiment bouffé. »
Invitée là encore à communiquer sur son action dans ce dossier et sur les délais de la procédure, la SNCF renvoie à ses éléments généraux sur sa prise en charge du harcèlement sexuel. À savoir, la présence d’un référent employeur au sein de chaque SA ainsi que deux référents salariés prévention de harcèlement sexuel, désignés par le CSE, « alors que la loi n’en prévoit qu’un », avance l’entreprise. « La SNCF se protège aux yeux de la loi en mettant des référents harcèlement, mais les femmes dans l’entreprise ne sont pas du tout protégées », estime de son côté Samy Charifi Alaoui.
Tout comme Régis et Anthony. Depuis que leur engagement a fait des remous au sein de l’entreprise, les trois syndicalistes indiquent avoir reçu quantités de témoignages de violences sexistes et sexuelles. Ils peinent désormais à les prendre en charge, depuis que les sanctions et avertissements agissent sur eux comme une épée de Damoclès.
Photo de Une : le syndicaliste Anthony Auguste lors de la grève contre la réforme des retraites en 2023. Crédit photo : Guillaume Bernard.
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