Une nouvelle salve de mesures de la réforme de l’assurance chômage va bientôt entrer en vigueur. Cinq mois après les changements liés à l’ouverture des droits, c’est cette fois le mode de calcul des allocations chômage qui va être modifié. Et ça va faire mal… en particulier pour les plus précaires. À quoi devez-vous vous attendre exactement ? Quelles sont les mesures déjà en vigueur ? Rapports de force fait le point pour vous.
Que va-t-il se passer à partir du 1er avril ?
Les personnes qui s’inscriront à Pôle emploi et qui auront alterné des périodes de travail et d’inactivité vont subir une baisse conséquente de leurs allocations chômage, en comparaison avec ce qu’elles auraient perçu sous l’ancienne convention.
Exemple
Lucie est saisonnière. Elle s’inscrit à Pôle emploi le 15 avril 2020.
Elle vient de terminer un CDD de huit mois dans une station de ski, rémunéré 1500 € brut.
Auparavant, dans son passé professionnel, elle avait eu un CDD de 4 mois dans une station balnéaire, entre juin 2018 et octobre 2018, également rémunéré 1500 € brut.
Sous l’ancienne convention, Lucie aurait perçu 925 € d’allocation chômage mensuelle.
Avec les nouvelles règles, elle n’en percevra plus que 613 €.
Pourquoi une telle différence ?
À partir du 1er avril, le salaire journalier de référence (SJR), sera calculé différemment. Le SJR est central : c’est lui qui détermine le montant de l’allocation chômage. Pour l’obtenir, Pôle emploi prend actuellement en compte tous les salaires bruts perçus par le demandeur d’emploi dans les douze mois précédant sa dernière fin de contrat de travail. Ce montant est ensuite divisé par le nombre de jours travaillés sur cette période. C’est sur ce point que va intervenir le premier changement fondamental de calcul.
À partir du 1er avril, la division se fera avec l’ensemble des jours de la période (les jours calendaires) qu’ils aient été travaillés ou non. De quoi faire sacrément baisser le SJR pour les personnes qui ont eu des périodes de travail fractionnées (des alternances entre chômage et emploi). Pire, ce ne seront plus les douze mois précédant la fin du dernier contrat qui seront pris en compte, mais une nouvelle période de référence « individualisée » qui pourra s’étaler sur 24 mois (et même 36 mois pour les plus de 53 ans).
En clair : Pôle emploi regardera dans le rétroviseur de votre passé professionnel et ira poser deux marqueurs. Le premier marqueur sera le premier contrat de travail identifié dans les 24 mois précédents. Il sera le début de votre période de référence. Le second marqueur (le dernier jour du dernier contrat) en sera la fin.
Reprenons le cas de Lucie : elle s’inscrit le 15 avril 2020. Que s’est-il passé pour elle ces 24 mois derniers mois, soit depuis le 15 avril 2018 ?
Dès juin 2018, elle a eu un contrat de travail. Son premier marqueur est donc posé : le CDD de 4 mois va être pris en compte. Son dernier contrat de huit mois s’achève lui en avril 2020. C’est le marqueur de fin. Au total, sa période de référence individualisée dure donc 22 mois, soit 669 jours au total (calendaires). La nouvelle période prise en compte (plus longue) ainsi que la division en jours calendaires et non plus uniquement travaillés fait s’effondrer le montant de l’allocation de Lucie.
Outre les saisonniers et intérimaires, cette nouvelle règle va aussi avoir un impact sur les nouveaux entrants sur le marché de travail.
Exemple
Antoine a obtenu son diplôme en septembre 2019. Après ses études, il a signé un CDD de six mois, plutôt bien rémunéré. Son contrat se termine en mai et il s’inscrit à Pôle emploi. Avec l’ancienne réglementation, seul le salaire issu de ce CDD aurait été pris en compte pour calculer son allocation chômage, car Antoine n’a pas eu d’autre emploi dans les 12 derniers mois. En revanche, il a eu un job étudiant de deux mois à l’été 2018. Avec la nouvelle réglementation, ce contrat étudiant devient donc le premier marqueur de sa période de référence individualisée. Et fait baisser le montant de son allocation chômage ! Par contre, la durée pendant laquelle il pourra utiliser ses droits est de fait considérablement allongée. Une allocation plus basse… pendant plus longtemps. Maigre consolation. Et outil de communication de l’exécutif qui vante une durée indemnisation rallongée.
Le 1er avril prochain, je serai déjà inscrit à Pôle emploi et indemnisé. Mon allocation va-t-elle subitement diminuer ?
Non, si vous avez déjà des droits ouverts, votre allocation chômage ne changera pas. Vous resterez, jusqu’à épuisement de vos droits, sous le régime de la convention d’assurance chômage 2017. Et donc, avec le même montant d’allocation chômage.
Les plus précaires seront-ils les premiers touchés par la réforme ?
Avec ce nouveau mode de calcul et ce changement de période de référence, ceux qui auront travaillé de façon continue avant de s’inscrire à Pôle emploi ne seront pas impactés. En revanche, les personnes qui alternent périodes de chômage et de travail verront effectivement leurs allocations fondre par rapport à ce qu’elles auraient perçu avant la réforme. Selon les projections de l’Unédic (voir tableau ci-dessous), le gestionnaire de l’assurance chômage, une personne qui a travaillé entre 25 % et 49 % du temps sur sa période de référence pourra voir son allocation diminuer… de moitié !
De la même manière, ces « permittents » auront plus de difficultés à cumuler des allocations chômage et un salaire, issu de l’activité réduite. Le mode de calcul pour déterminer le complément versé par l’assurance chômage ne changera pas. Il est le suivant : vous prenez 70 % de votre rémunération brute. Et vous retranchez le résultat à votre allocation chômage.
Comme le salaire journalier de référence baisse, il entraîne logiquement une baisse de l’allocation et donc… du montant versé en complément. Voire, empêche tout complément. C’est l’effet domino.
Exemple :
Avant la réforme
Patrice a droit à 500 € d’allocation chômage par mois. Il cherche du travail et on lui propose une mission, en intérim, rémunérée 400 €.
Faisons le calcul : 70 % de 400 € = 280.
Puis : 500 – 280 = 220
Patrice a donc droit à 220 € de complément, versé par Pôle emploi.
Au total, il percevra donc à la fin du mois 620 €. De quoi encourager la reprise d’une activité, même réduite. Patrice, grâce à cette mission, gagne légèrement plus que s’il n’avait pas du tout travaillé.
Après la réforme
Patrice a eu une activité fractionnée avant d’ouvrir des droits au chômage. Comme on l’a vu précédemment, cela a un impact direct sur le calcul de son salaire journalier de référence (SJR) et donc, sur le montant de son allocation. Patrice a désormais droit à 250 € d’allocation mensuelle. Il cherche du travail et on lui propose une mission, en intérim, rémunérée 400 €.
Faisons le calcul : 70 % de 400 € = 280.
Comme il perçoit seulement 250 € d’allocation, Patrice n’a plus droit à un complément.
Parlons des premières mesures de la réforme, en vigueur depuis le 1er novembre. Qu’est-ce qui a changé ?
Depuis cette date, il faut avoir travaillé plus longtemps pour ouvrir des droits au chômage. Précisément 6 mois sur une période de référence de 24 mois. Auparavant, 4 mois de travail (sur une période de 28 mois) étaient suffisants. Cela concerne donc tous les contrats de travail qui se terminent après le 1er novembre 2019.
Quelles sont les conséquences de cette réforme sur les demandeurs d’emploi ?
Exemple : Camille a signé un CDD de 5 mois le 15 octobre 2019. Ce contrat se terminera le 15 mars 2020. Elle ne pourra pas ouvrir de droits, car elle n’aura pas atteint les 6 mois nécessaires depuis le 1er novembre. Sa demande d’allocation sera donc rejetée.
Mes droits arrivent bientôt à épuisement, comment vais-je pouvoir les recharger ?
Auparavant, un mois de travail (150 heures) suffisait pour recharger de nouveaux droits. Depuis le 1er novembre, il faut également justifier d’une affiliation au moins égale à 6 mois pour en bénéficier.
Exemple
Camille était en fin de droit. Elle a trouvé un CDD de 5 mois le 30 août. Le contrat se termine le 30 janvier et elle demande le rechargement de ses droits. Or, depuis le 1er novembre, elle n’a pas travaillé 6 mois, mais près de 3 mois. Son rechargement est donc impossible. Si son contrat s’était achevé le 30 octobre, elle y aurait eu droit.
Quelles sont les conséquences de cette réforme sur les demandeurs d’emploi ?
L’étude d’impact menée par l’Unédic est saisissante. Entre novembre 2019 et octobre 2020, le gestionnaire de l’assurance chômage estime que :
– Environ 710 000 personnes seront concernées par la réforme des conditions d’ouverture de droit, soit 27 % des ouvertures de droit sur cette période.
– 200 000 personnes n’ouvriront plus de droit au cours de la 1 ère année, car elles n’atteindront pas les 6 mois de travail nécessaires pour ouvrir un droit
– 210 000 ouvriront un droit, mais plus tard (avec un retard de 5 mois en moyenne).
– 300 000 verront la durée de leur droit diminuer.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.