Boom de l’IA en France : 260 000 microtravailleurs à 21 € par mois en moyenne

 

Plus invisibles que les livreurs de Déliveroo, moins payés que les chauffeurs de VTC, les travailleurs du clic sont pourtant plus nombreux. Ce sont eux qui permettent notamment à l’intelligence artificielle (IA) d’être intelligente à défaut d’être artificielle. Avec le développement de cette dernière, de nombreuses plateformes proposent du travail à la tâche payé de quelques centimes à quelques euros.

 

« Alexa, quel temps fera-t-il demain ? » La réponse de l’enceinte connectée d’Amazon ne relève pas de la magie. Pas plus que celle du moteur de recherche de Google lorsque vous lui demandez de vous montrer des images de votre prochain achat. Derrière l’intelligence artificielle, les algorithmes et l’apprentissage machine, des millions de travailleurs à travers le monde. Ici, pour valider la pertinence des réponses, là pour indiquer aux machines ce qu’elles doivent retenir comme informations.

Du travail – en fait du microtravail – le plus souvent rémunéré à la tâche par des plateformes internet faisant office d’interface entre des entreprises du secteur des technologies et des microtravailleurs. « Et si vous aviez 50 000 personnes prêtes à vous aider, qu’en feriez-vous ? » demande sur son site internet Foule Factory, la plus connue des plateformes françaises. Un message à destination de ses clients potentiels. La plateforme se charge ensuite de proposer des microtâches, par exemple identifier un objet sur une image. Ce modèle commence aux États-Unis au milieu des années 2000, avec le lancement d’Amazon Mechanical Turk, la première plateforme de microtravail. Depuis, des dizaines se sont créées employant un nombre considérable de microtravailleurs à travers le monde. Jusqu’à 100 millions selon certaines estimations.

Et en France, combien sont-ils ? En tout : 260 000, selon l’étude publiée en 2019 par le DiPLaB, un projet de recherche lancée par Télécom Paris Tech et le CNRS. Si certains d’entre eux sont des microtravailleurs occasionnels, 50 000 utilisent les plateformes dédiées au moins une fois par mois et 15 000 se connectent au minimum une fois par semaine. Ces travailleuses – 56 % sont des femmes – et ces travailleurs ont le plus souvent pour tout contrat de travail, que l’acceptation des conditions générales d’utilisation des plateformes actives sur le marché hexagonal : 14 françaises et 9 domiciliées aux États-Unis, en Allemagne, en Chine, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Australie.

 

Des GAFA libres dans un web de travailleurs du clic libres

 

Liberté de choisir ses horaires, liberté de travailler de chez soi. À les écouter, les plateformes de microtravail libéreraient le travail. En réalité, elles libèrent surtout les entreprises technologiques de la contrainte d’établir des contrats de travail pour faire exécuter certaines de leurs activités et de payer des cotisations sociales. De leur côté, les plateformes se libèrent de la contrainte de verser des salaires. Foule Factory préfère le terme « récompense » pour nommer la rémunération de travailleurs appelés « fouleurs » plutôt que salariés. Argument massue de ces entreprises construites sur le modèle des start-up : il s’agit d’un complément de revenu et non d’un travail à part entière.

Ce n’est pas totalement faux si l’on considère le revenu moyen des microtravailleurs : 21 € par mois pour un temps de travail réduit. Mais dans son étude, le DiPLaB détaille la réalité des 260 000 personnes qui participent à cette économie du clic. Et là, sans surprise, c’est le besoin d’argent qui arrive en tête des raisons invoquées les poussant à rejoindre les plateformes : 44,93 % en première raison, 17,51 % en seconde raison et 23,68 % en troisième lieu, soit un total cumulé de 86 %. Pas tout à fait un loisir ou un tue l’ennui. De plus, pour 24 % des femmes et 20 % des hommes les revenus du microtravail sont utilisés dans le paiement du loyer ou de la nourriture. Autre donnée qui relativise considérablement la liberté des microtravailleurs : 27,9 % des 25-54 ans, et 61,4 % des 55-64 ans n’ont pas d’autres activités.

Enfin, 22 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 8 % dans la totalité de la population. Pour tous ceux-là, la chasse aux microtâches est essentielle, même mal payée. D’ailleurs, les plus actifs sur les plateformes sont aussi ceux qui effectuent les tâches les moins rémunératrices : celles répétitives, effectuées en masse pour quelques centimes. Une réalité pas vraiment émancipatrice, d’autant qu’une des caractéristiques de ce travail est un morcellement extrême du travail et une perte de son sens. La plupart des microtravailleurs ne savent rien de la finalité des tâches qu’ils exécutent, et ne connaissent pas l’entreprise pour laquelle ils les effectuent.

Enfin, même pour celles et ceux qui parviennent à travailler le plus et atteignent exceptionnellement un revenu approchant les 2000 € par mois, au prix de semaines de 50 ou 60 heures, il n’y a aucune protection sociale. Pas de droits au chômage, à la retraite ou à l’assurance maladie. Et ça pour les employeurs, c’est magique.