Bosch, SAM : filière diesel, des emplois condamnés ?


 

Une série de manifestations agitent l’Aveyron depuis début mars, en particulier autour des usines Bosch et Jinjiang SAM. Bosch France prévoit la suppression de 750 postes en Aveyron, tandis que le repreneur de la SAM vise 214 postes de moins, sur les 357 existants. De quelles perspectives disposent les salariés de la filière diesel ? Ces mobilisations dans le département en annoncent d’autres, et posent des questions d’envergure nationale sur la sauvegarde des emplois dans ce secteur.

 

Ce 24 mars, une assemblée générale du personnel se tient au sein de l’usine Bosch de Rodez (Aveyron). « On espère réussir à tenir en intersyndicale, pour obliger la direction à nous apporter des réponses » relate Matthieu Waymel, délégué du personnel CFE-CGC, élu CSE, et titulaire au sein du comité européen du groupe Bosch. « Pour le moment, la direction joue la montre… » Cela fait près de vingt jours que celle-ci a annoncé son souhait de supprimer 750 postes sur 1250, pour atteindre un seuil de 500 salariés sur le site aveyronnais en 2025. Déjà, avec son plan de pré-retraite établi l’an passé, elle tablait sur 1100 salariés fin 2021. S’il est question de « mesures socialement acceptables » selon la direction, les organisations syndicales craignent, elles, une série de départs contraints.

Vendredi 19 mars, une importante manifestation a eu lieu à Rodez autour de la venue d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie. « Le gouvernement est aussi fautif : en ne soutenant pas la filière diesel, il va massivement supprimer de l’emploi » dénonce Matthieu Waymel. Les organisations syndicales de Bosch ont rencontré les élus locaux et régionaux suite à cette visite. Mais pour l’heure, pas d’annonces en vue, ni de garanties.

Ce jour-là, près de 2 000 manifestants étaient rassemblés. Une mobilisation importante, du fait que Bosch demeure l’un des premiers employeurs privés du département. Parmi ces manifestants, plusieurs grévistes provenaient de la fonderie automobile SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) de Viviez-Decazeville. Le repreneur unique de cette société, d’abord rachetée par le groupe chinois Jinjiang en 2017 avant d’être placée en redressement judiciaire en 2019, prévoit la suppression de 214 postes sur 357.

 

Une lutte globale pour les sous-traitants de l’industrie automobile ? 

 

Les ouvriers de la SAM, comme ceux de Bosch, produisent pour l’industrie automobile. Dans l’Aveyron, la jonction entre ces deux luttes se fait par l’intermédiaire de la CGT, seule organisation syndicale présente à la SAM. « Ce qui se passe actuellement pour ces deux sites, c’est la même chose que pour la fonderie de Bretagne, ou celle du Poitou… » va jusqu’à affirmer Stéphane Flégeau, secrétaire général adjoint de la FTM-CGT.

Ces problématiques touchent de fait d’autres territoires, à commencer par les autres sites de Bosch. Sur les usines Elm Leblanc (marque appartenant à la branche Thermotechnologies du groupe Bosch) de Drancy et Saint-Thégonnec, les salariés se mobilisent depuis le 11 février. Une lutte interne : « on fabrique un tiers de ce qui est prévu » raconte Muriel Burri, déléguée syndicale centrale CFE-CGC. Cette mobilisation est advenue suite à des annonces de la direction prévoyant une baisse des effectifs : 42 emplois en moins sur les 131 que compte le site de Drancy, 17 sur 204 pour Saint-Thégonnec. « Et ce n’est qu’un début : ils nous annoncent un transfert de la production vers des pays à bas coût, essentiellement la Turquie » ajoute Muriel Burri.

Entre Bosch et la SAM, « nous ne sommes pas tout à fait sur les mêmes dossiers », tient à nuancer, de son côté, Matthieu Waymel. « À la SAM, il va y avoir des départs contraints. Tandis qu’à Bosch, nous ne nous mettrons à la table des négociations que si l’on nous garantit qu’il n’y en aura pas ». Zéro départ contraint : tel est donc le credo des organisations syndicales, du côté de Bosch. « On veut aussi connaître le modèle industriel derrière ces 500 emplois en 2025 » ajoute Matthieu Waymel,« or la direction est incapable de nous répondre ».

 

Des volontés de diversification peu entendues

 

Ceci étant, l’enjeu de la diversification réunit toutes ces luttes. Muriel Burri fait ainsi le parallèle avec Rodez : « eux aussi demandaient, depuis plusieurs années, des produits d’avenir… À Drancy et Saint-Thégonnec, on fait des chaudières murales à gaz : on sait très bien que l’avenir n’est pas là. » Leurs propositions de se tourner vers la production de chauffe-eaux thermo-dynamiques ou de pompes à chaleur sont pourtant restées lettre morte, depuis des années. « À chaque fois on nous dit non : la pompe à chaleur vient de Suède, le chauffe-eau du Portugal… » soupire Muriel Burri. Une nouvelle réunion de négociation est prévue le 30 mars avec la direction de Elm Leblanc.

Cette question de la diversification se pose, plus que jamais, pour la filière diesel. « On alerte depuis 2017 sur le fait que le gouvernement se retire du diesel, et que cela va poser un problème à terme » soutient Matthieu Waymel. En 2012, près de 72 % des voitures neuves étaient vendues avec un moteur diesel, contre 58 % aujourd’hui. « Rodez n’est que la partie émergée de l’iceberg » selon le responsable syndical. Les mobilisations dans l’Aveyron ne seraient qu’une des premières étapes dans une séquence où l’on verra se succéder « toutes les difficultés que vont avoir nos clients automobiles », juge-t-il.

C’est aussi l’avis de Stéphane Flégeau : « les donneurs d’ordre estiment qu’il y a trop de fonderies en France. Sous couvert de la crise du diesel et la crise sanitaire, ils sont en train de faire des regroupements de fonderies pour être plus compétitifs ». Une logique de rentabilité court-termiste, selon lui – et un non-sens environnemental : « ils continuent de produire du diesel… Mais pas en France ». La solution, bénéfique socialement et écologiquement, réside pour lui dans la relocalisation de l’activité en France, et dans le maintien des emplois aujourd’hui menacés.

« On a toujours été demandeurs de diversifier, que ce soit le portefeuille client ou les activités ; mais à chaque fois, ça a été des fins de non-recevoir  », résume le responsable syndical. En parallèle, les directions d’entreprise ont bénéficié d’argent public, au travers des dispositifs de chômage partiel et du plan de relance, durant la crise sanitaire : « mais pour quelles retombées sur le maintien des emplois et la diversification ? » s’interroge-t-il.

 

Une demande de table ronde au ministère

 

Difficile de faire entendre ces enjeux de long terme. Dès 2014, « nous savions que ça allait basculer tôt ou tard » se souvient Mathieu Waymel. Mais « nous n’avons plus de dirigeants stratégiques : ce ne sont plus que des comptables, pour qui seul le bilan financier à la fin de l’année compte ». En 2020, Bosch réalisait un bénéfice opérationnel de près de deux milliards d’euros. « Le reste, c’est bien trop loin pour eux » juge-t-il – y compris la question du devenir des milliers de salariés de la filière.

D’ici là, les syndicats ont demandé au ministère de l’Économie l’organisation d’une table ronde autour des fonderies, et plus largement de l’industrie automobile. L’idée, pour la FTM-CGT, est de ne pas traiter les dossiers au cas par cas : « plusieurs fonderies se retrouvent dans des situations compliquées, alors on essaie de conglomérer ces luttes-là afin d’amplifier la mobilisation au niveau national » conclut Stéphane Flégeau. Pour l’heure, le ministère n’a pas donné suite à cette demande.

 

Crédit photo : CFE-CGC