Deliveroo

Chez Deliveroo, vite embauché, vite accidenté, vite viré !


 

Au moment de sa reprise d’activité après un accident de travail, Ahmet, un coursier à vélo strasbourgeois a eu la surprise de recevoir par mail la rupture de son partenariat avec l’entreprise Deliveroo. Faute de griefs clairement énoncés par l’entreprise, il s’interroge toujours sur les motifs réels de son éviction. Un cas loin d’être isolé, selon le Collectif des livreurs à vélo parisien (CLAP).

 

C’est par un recommandé électronique qu’Ahmet a découvert son licenciement par la plateforme de livraison de repas à domicile. En réalité, chez Deliveroo, le mot licenciement n’existe pas, il est remplacé par rupture du contrat de partenariat. En effet, pour être embauché, chaque livreur à vélo doit se déclarer en micro-entrepreneur et n’est donc pas salarié. C’est ce qu’a fait Ahmet, 20 ans, avant de signer avec Deliveroo un contrat de prestation de service le 21 août. Son projet : gagner de l’argent pour pouvoir se rendre à Paris pour ses études. Il est motivé et porte alors un regard plutôt positif sur l’activité de livreur et sur les plateformes : « j’apprécie le principe d’être autonome, libre de travailler comme je veux, selon mon emploi du temps ».

Mais le 8 septembre, il est victime d’un accident à vélo pendant son « shift ». Un autre livreur, témoin de la scène, appelle les urgences, puis le numéro d’assistance de Deliveroo pour prévenir l’entreprise. Au téléphone, l’opératrice interroge rapidement Ahmet sur son état, puis passe à l’essentiel : « dans quel état est la commande, est-ce qu’elle peut encore être livrée ? » Le second biker est chargé d’acheminer la livraison et l’opératrice raccroche. Ahmet n’aura pour seule nouvelle de la plateforme qu’un mail lui indiquant où trouver les documents en ligne permettant sa déclaration d’accident à la complémentaire santé obligatoire prise en charge par Deliveroo et gérée par Axa.

Ahmet a une fracture de la clavicule. « Aujourd’hui, je trouve cela révoltant, mais sur le coup j’étais sonné », admet le livreur strasbourgeois. Pour gérer la douleur, des médicaments à base de morphine lui sont prescrits. Impossible donc de travailler. Le régime de sécurité sociale des indépendants ne prend pas en compte son arrêt de travail, au motif réglementaire qu’il n’y est pas affilié depuis un an révolu. Ahmet touche tout de même 650 € de la complémentaire santé, obligatoire depuis septembre 2017 pour tous les livreurs. Parallèlement, il soustraite auprès d’un ami de confiance des livraisons, comme l’y autorise son contrat avec Deliveroo. Ainsi, sa micro-entreprise embauche un livreur lui-même micro-entrepreneur et prend sa part de la rémunération, reproduisant en cascade le modèle des plateformes de la foodtech. Mais il a besoin de plus d’argent pour préparer son départ à Paris.

 

Le plus dur c’est pas la chute, c’est l’atterrissage !

 

Il anticipe donc la fin de son arrêt de travail et reprend son vélo le 18 octobre. Le lendemain, il reçoit un mail de Deliveroo. « Nous vous notifions par la présente la résiliation de votre contrat de prestation de service souscrit le 21 août », indique le courriel qui évoque l’application de l’article 10 du contrat et fixe un préavis de sept jours. Sans autres explications. L’article invoqué est celui lié à la confidentialité des informations clients, fournisseurs ou employés de Deliveroo. Pour Ahmet, c’est la surprise : « je ne me rappelle pas avoir divulgué la moindre information sur un client, je ne comprends pas trop ».

Le jour même, le jeune livreur demande poliment des explications par mail. Il indique que ni lui ni son sous-traitant n’ont commis de manquements à leurs obligations de confidentialité. Par ailleurs, il signale que les statistiques de son compte ont baissé de façon inexpliquée entre le moment de son accident et celui du début de la reprise des livraisons par son ami. La réponse de la plateforme est rapide, mais son contenu reste général et ne précise pas les faits reprochés au coursier. Par contre, elle confirme la rupture du contrat. Malgré une relance d’Ahmet, toujours le 19 octobre, pour enfin connaître la réalité des faits qui lui sont reprochés, la plateforme ne répond plus. Nos questions n’ont pas rencontré plus de succès.

Avec un groupe de livreurs communiquant entre-eux sur la messagerie Telegram, Ahmet fait le tour des possibles fautes qu’il aurait pu commettre. Sans trouver. « Je veux bien respecter leur décision, mais au moins qu’ils fassent preuve de franchise et de professionnalisme », avance Ahmet, qui considère avoir à faire à une forme de licenciement abusif. Maintenant remonté contre la plateforme, il suggère que son accident et la mobilisation de la complémentaire santé moins d’un mois après son embauche pourraient être la raison cachée de son éviction de chez Deliveroo. Mais il n’a aucun élément de preuve pour corroborer cette option.

« Quand ils veulent se débarrasser de quelqu’un, c’est comme cela qu’ils font. Lorsque le motif n’est pas énoncé, c’est que Deliveroo n’est pas super clair », assure Jérôme Pimot du Collectif des livreurs à vélo parisien (CLAP). Avec les membres de son collectif, ils sont sollicités plusieurs fois par semaine par des livreurs dont le compte a été supprimé ou le contrat rompu unilatéralement par la plateforme, sans motif explicite. Sur les contrats de prestation de service de Deliveroo, l’article 11 relatif à la résiliation prévoit en effet pour chacune des parties la possibilité de mettre fin au contrat « à tout moment et pour n’importe quel motif ». La plateforme ne s’en prive pas. « Personne n’approfondit, parce que cela voudrait dire entrer dans un combat juridique qui prendrait des mois et des années », explique Jérôme Pimot. Ahmet, lui, cherche déjà un nouvel emploi.

 

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