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Chômage : pourquoi la nouvelle réforme n’a aucune justification financière


Le gouvernement a annoncé de nouvelles règles pour l’assurance chômage à compter du 1er juillet 2024. Si en 2019, le déficit de l’Unédic et sa dette avaient servi d’argument à une réduction drastique des droits des privés d’emploi, en 2024, le retour des excédents s’accompagnera d’économies supplémentaires par de nouveaux reculs de droits. Au passage, l’État n’hésite pas à piocher dans les caisses.

 

Lors des périodes de croissance, « le régime d’assurance chômage doit accélérer son désendettement » pour assumer dans le futur sa fonction assurantielle et « afin qu’il retrouve des marges de manœuvre financière pour jouer son rôle de protection en cas de crise ». Lors de la réforme particulièrement destructrice des droits des chômeurs de 2019 – appliquée entièrement fin 2021 – le gouvernement n’hésitait pas à mobiliser cet argument financier et cet effort de désendettement, pour exiger dans sa lettre de cadrage aux organisations syndicales et patronales cogestionnaires de l’assurance chômage, près de 4 milliards d’économies en 3 ans. Des économies qu’il avait fini par décider unilatéralement, faute d’accord, à l’issue de plusieurs mois de négociations.

L’argument budgétaire pour réduire les droits des chômeurs était alors facile à présenter à l’opinion publique. L’Unédic [l’association chargée par délégation de service public de la gestion de l’assurance chômage, ndlr] était déficitaire de 2,6 milliards d’euros en 2018 et cumulait une dette de 35 milliards. Cependant, déjà, la communication de l’exécutif était assez sélective. Elle faisait l’impasse sur les projections financières de l’Unédic qui prévoyaient un retour rapide des excédents : +1,6 milliard dès l’année suivante, en 2020, et +3,6 milliards en 2021. Avec à la clef, une résorption partielle de sa dette à hauteur de 5,2 milliards d’euros.

 

Des comptes du chômage durablement dans le vert

 

Qu’en est-il cinq ans plus tard ? Cette fois-ci, impossible de justifier d’une nouvelle baisse des droits des privés d’emploi par des difficultés financières. Les comptes de l’association gestionnaire de l’assurance chômage sont solidement repassés au vert en 2022, après deux années de déficit exceptionnel en 2020 et 2021, lié aux surcoûts des mesures d’urgence décidées par le gouvernement – financement du chômage partiel notamment – pendant la pandémie de Covid-19 et supportés par l’Unédic (19,2 milliards d’euros en deux ans).

Ainsi, en 2022, les comptes deviennent excédentaires de 4,3 milliards d’euros. Une première depuis la crise financière de 2008. L’effondrement du système financier et bancaire et la crise économique qui s’en est suivie avaient dégradé ses comptes, sous le double effet d’une augmentation du nombre d’allocataires – davantage de chômeurs à indemniser – et d’une baisse du volume des cotisations sur les salaires – moins d’emplois créés. Les bons résultats de 2022 sont en grande partie dus au rebond économique post-pandémie et aux nombreuses créations d’emploi qui l’accompagnent. L’embellie budgétaire se confirme en 2023. Le solde positif semble plus faible, avec 1,6 milliard d’euros de recettes, mais il est imputable au fait que l’État a soustrait 2 milliards d’euros aux caisses de l’Unédic pour financer sa politique de l’emploi (via un arrêté publié au Journal officiel le 28 décembre 2023). Sans ce coup de rabot, le surplus aurait atteint 3,6 milliards d’euros.

 

 

Cette tendance vertueuse n’est pas prête de s’inverser. Les prévisions financières de l’Unédic prévoient 20,6 milliards d’euros d’excédents pour la période 2024-2027. Dans le détail : 1,1 milliard en 2024, 3 milliards en 2025 et 5,3 milliards en 2026, sous l’effet d’un retour à la hausse des créations d’emploi à partir de 2025 et de la montée en charge progressive des réformes du chômage de 2021 et 2023. Avec même un résultat historique de +11,2 milliards d’euros en 2027, hors prélèvements de l’État, le gouvernement n’ayant pas encore inscrit dans un projet de loi de finances ce qu’il envisage de piocher dans les caisses de l’Unédic.

Ce sont six années consécutives de solde positif entre 2022 et 2027 qui s’annoncent donc. Du jamais vu au cours des 30 dernières années ! Et ce, malgré le non-versement par l’État de 10 milliards d’euros de compensation d’exonération de cotisations employeur sur les bas salaires sur la période 2024-2026.

 

L’État freine le désendettement de l’Unédic

 

L’argument de 2019 sur la nécessité d’accélérer le désendettement de l’Unédic, pour retrouver des marges de manœuvre en cas de crise, a vite été oublié par le gouvernement. Et plutôt deux fois qu’une. Pendant la crise sanitaire, le gestionnaire de l’assurance chômage a supporté un tiers du coût total de la mise en activité partielle des salariés, décidée par l’exécutif, qui a concerné jusqu’à 8,3 millions de personnes indemnisées, au mois d’avril 2020. Ensuite, les droits des demandeurs d’emploi ont été prolongés exceptionnellement pendant les périodes de confinement. Avec pour résultat attendu, de voir la dette de l’Unédic s’aggraver : 63,6 milliards fin 2021, contre 36,8 milliards fin 2019, mais tout en réussissant à faire face à une crise sans précédent et à éviter une explosion de la pauvreté, des licenciements et des faillites.

Désormais, avec des comptes solidement passés au vert, l’Unédic pourrait se désendetter rapidement pour anticiper une éventuelle future crise, ou améliorer l’indemnisation des chômeurs. Le gouvernement s’y refuse : prenant le contre-pied de ce qu’il professait en 2019, il a décidé d’orienter une partie des excédents, non vers la couverture du risque de la perte de travail ou le désendettement, mais vers sa politique de l’emploi, notamment aux entreprises. Ainsi, il a inscrit dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale 2023 une réduction des recettes de l’assurance chômage. Sur la période 2023-2026, l’État n’allouera pas à l’Unédic les 12 milliards de compensations d’exonération de cotisations sociales sur les bas salaires, mais les versera à France Travail et surtout à France Compétences, dont la plus grande part des dépenses est consacrée à l’apprentissage, notamment sous la forme de subventions aux entreprises (6000 euros par apprenti la première année). Cela aura pour conséquence d’augmenter les intérêts que paie l’Unédic pour sa dette de près d’un milliard entre 2023 et 2027.

Ainsi, la réduction des dettes de l’Unédic sera plus lente. Selon Jean-Eudes Tesson (Medef), qui occupe la présidence de l’organisme paritaire, et Patricia Ferrand (CFDT), sa vice-présidente, le cumul de l’effort national pour lequel l’Unédic a été mis à contribution depuis la crise sanitaire, s’élève à 31 milliards d’euros. De quoi largement relativiser son niveau d’endettement : 38,6 milliards d’euros fin 2027, selon les projections financières de l’association gestionnaire en date de février 2024. Bref, ce n’est pas l’assurance chômage qui contribue au creusement du déficit public, bien au contraire.