Dans le cadre des ordonnances réformant le Code du travail, les Comités d’hygiène et sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les Comités d’entreprise et les délégués du personnel doivent disparaître au profit d’une nouvelle instance unique : le Comité social d’entreprise (CSE). Complexes, mal connues et parfois considérées comme lointaines par les salariés, la suppression de ces instances représentatives du personnel (IRP) inquiète syndicalistes et professionnels du droit du travail. Retour sur un entretien avec Pascal D*, expert agréé auprès des CHSCT et des CE qui a choisi de garder l’anonymat.
« La situation est inquiétante, l’employeur a désormais les mains libres ». C’est en ces termes que Pascal D., expert auprès des instances représentatives du personnel, analyse la mise en œuvre des ordonnances Macron. Une opinion qui semble partagée par certaines organisations syndicales. Une tribune dénonçant la fin des CHSCT, signée entre autres par des membres de Solidaires, de la FSU et de la CGT a été publiée sur Mediapart le 19 octobre. Force ouvrière vient, à son tour, de faire paraître un communiqué de presse au titre évocateur : comité social et économique (CSE) : le compte n’y est pas ! ».
La création du CSE au niveau des entreprises est l’une des grandes nouveautés des ordonnances voulues par Emmanuel Macron. Dans les faits, il s’agit essentiellement de fusionner les instances représentatives au sein d’une délégation unique du personnel. Concrètement, les mandats du CE et du CHSCT y seront réunis. Cette disposition a été amorcée par la loi Rebsamen en août 2015, mais uniquement pour les entreprises de moins de 300 salariés. De prime abord, la concentration des mandats autour d’une délégation unique apparaît comme un moyen simple de réduire les coûts. En baissant tout d’abord drastiquement le nombre d’élus, mais aussi en dotant le CSE d’une seule personnalité morale et d’un seul budget, à l’image des CE. Désormais, en cas de recours à une expertise, 20 % de la dépense seront ponctionnés sur le budget du CSE. Jusqu’alors, cette charge incombait uniquement à l’entreprise.
Casser un contre-pouvoir ?
Actuellement, le budget d’un CE est divisé en deux lignes comptables, une pour le fonctionnement, l’autre pour les activités sociales et culturelles. Au niveau du CSE, cela fonctionnera à l’identique, sauf qu’il sera maintenant possible de faire passer l’excédent d’un budget vers l’autre. Ainsi, si un CSE paie pour la formation de ses membres ou diligente une expertise, c’est autant d’argent de moins à reverser vers le budget social de l’entreprise en fin d’exercice. « Il existe beaucoup de CE “comité des fêtes” qui se focalisent surtout sur la mission sociale et culturelle et non sur la prérogative principale du CE, à savoir contrôler la bonne conduite de l’entreprise », rappelle Pascal D. Ainsi, il sera aisé pour un patron de décrédibiliser l’action des représentants du personnel en expliquant aux salariés qu’ils auraient pu percevoir 100 euros de chèques cadeaux en lieu et place des 50 habituels.
Pourtant, ces nouvelles dispositions vont au-delà du simple aspect financier. Il s’agit, selon Pascal D., d’établir une distance de plus en plus importante entre les élus et le personnel. Il y entrevoit un risque de professionnalisation des élus. Or, pour lui, « il ne faut pas perdre contact avec les salariés, ne pas se déconnecter de la réalité ». Au vu de l’ampleur du nouveau mandat CSE, les représentants du personnel ne seront plus en situation de travail avec le reste des travailleurs. Ils deviendront des syndicalistes de métier qui devront acquérir des compétences variées, techniques et rhétoriques, sur des sujets qui ne sont pas corrélés. En effet, les missions des CHSCT et des CE sont fondamentalement différentes. L’un se concentrant sur les conditions de travail, l’autre sur les questions économiques et sociales.
Les représentants du personnel ne sont, par nature, ni des sociologues ni des ergonomes. Pourtant, on leur demande de se prononcer sur l’innocuité de tel ou tel projet. Or, le rôle de l’expert est essentiellement « d’aider les élus à rendre un avis éclairé » sur les questions qui leur sont soumises. Et Pascal D. de s’inquiéter : « Si le recours à l’expertise est rendu plus difficile, les élus n’auront plus de support technique. Comment embrasser le projet pour les élus quand les patrons sont incapables de le faire ? » Dans ces conditions, il s’agit simplement « d’entraver l’action des représentants du personnel » puisque, comme le constate l’expert, « le processus de décision appartient toujours à l’employeur ».
Enfin, pour mettre fin à un débat éculé, Pascal D. fait un rappel à ceux qui critiquent la complexité du Code du travail. Celui consacré à la fiscalité ou au droit du commerce est infiniment plus compliqué. À tel point d’ailleurs qu’un recours à un expert-comptable est obligatoire. Aussi il s’interroge : « A quand un expert social ? »
* Pour intervenir dans les entreprises, les cabinets d’expertise doivent bénéficier d’un agrément de la part du ministère. Le perdre peut menacer la survie d’un cabinet. C’est la raison pour laquelle Pascal D. a opté pour l’anonymat.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.