C’est une nouvelle mobilisation importante : vendredi 25 mars, les salariés de la RATP (régie autonome des transports parisiens) seront en grève. Au coeur du conflit social : l’ouverture à la concurrence du réseau de bus en 2025. Cet horizon mobilise fortement les conducteurs de bus et de tramways. Il implique la dégradation programmée de leurs conditions de travail. L’enjeu des salaires viendra se greffer à la mobilisation, un mois après une grève très suivie sur le sujet.
La journée du 25 mars marquera « une grève historique chez les machinistes » (conducteurs de bus et tramways), prédit Jean-Christophe Delprat, secrétaire fédéral FO Transports et Logistique, en charge de la RATP. L’ensemble des organisations syndicales du réseau RATP (métros, bus et tramways) appellent à la grève ce vendredi. Les machinistes répondront en effet à l’appel : 30 % des lignes de bus seront complètement interrompues selon la RATP, et seul un bus sur deux circulera s’agissant des lignes ouvertes. De même, le trafic des tramways sera « fortement perturbé ».
Deux enjeux seront soulevés : les négociations salariales, et l’ouverture à la concurrence. Le premier sujet a déjà mobilisé largement, le 18 février. Dans le cadre des NAO (négociations annuelles obligatoires), les agents n’ont obtenu que 0,4 % d’augmentation – là où l’inflation a connu une hausse de 2,9 % sur un an. « On est dans un contexte où la RATP a dégagé plus de 200 millions d’euros de bénéfice net en 2021 » fustige Vincent Gautheron, secrétaire de l’union syndicale CGT RATP. Par ailleurs, les dix rémunérations les plus élevées de l’entreprise ont augmenté de près de 10,5 % entre 2018 et 2020 (voir page 40 du bilan financier 2020). « Donc il y a bien de la marge… mais pas pour tout le monde », pointe Vincent Gautheron.
Le second sujet est le principal enjeu de la grève du 25 mars. Il s’agit de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus, prévue au 31 décembre 2024. Si la question des salaires mobilisera assez faiblement vendredi (trafic « quasi normal » sur les RER et métro selon la RATP), celui de l’ouverture à la concurrence créé un fort mouvement de grève des salariés concernés. « C’est difficile de faire grève quand les collègues ne comprennent pas trop l’impact. Mais là, les restrictions et dégradations des conditions de travail commencent » décrit Jean-Christophe Delprat.
La RATP réduit les coûts au nom du positionnement face à la concurrence
Car la direction de la RATP n’a pas attendu pour se préparer à l’ouverture à la concurrence à l’horizon 2025. Fin 2021, elle a dénoncé les accords sur les conditions de travail des machinistes-receveurs (autrement dit, les conducteurs). Tout le réseau de surface, c’est-à-dire les bus et les tramways, est concerné. L’organisation et la rémunération du travail de ces salariés vont profondément changer.
Pour espérer remporter les futurs appels d’offres, il s’agit d’être le plus offrant… Donc, le moins-disant. « Dans le transport, 70 % du prix de production est composé de la masse salariale. Pour réduire les coûts, soit vous embauchez moins de monde, soit vous rémunérez moins, soit vous faites travailler plus… La RATP est en train de faire un cocktail des trois », expose Vincent Gautheron.
Un délai légal de 15 mois est prévu entre la dénonciation d’un accord, et la mise en place définitive d’un nouveau. D’ici là, le bras-de-fer est engagé. Et des transformations s’appliquent déjà.
Augmentation du temps de travail, perte de primes et de repos
Les dirigeants de la RATP s’orientent vers plusieurs changements. D’abord, « l’augmentation du temps de travail de 190 heures par an, et la perte de six jours de repos par an », résume Jean-Christophe Delprat. Mais aussi l’annualisation du temps de travail, qui fait craindre une perte sur le paiement des heures supplémentaires.
Ou encore, « l’augmentation de 30 % du nombre de services en deux fois en semaine, et leur mise en place le samedi » souligne le responsable FO. Les services en deux fois consiste à travailler le matin, avant de reprendre après une longue coupure, dans l’après-midi ou la soirée. Jusqu’ici, ils restaient très limités, en semaine. Et assortie d’une prime, liée au risques et à la pénibilité… Prime que la direction a décidé de supprimer.
L’idée que les machinistes disposeraient de conditions de travail trop confortables, alourdissant la compétitivité de la RATP, fait bondir Jean-Christophe Delprat. « La RATP a déjà du mal à recruter avec les conditions de travail actuelles… L’entreprise rappelle même des agents retraités ! Demain, avec des conditions de travail encore dégradées, ce sera une catastrophe ».
À la RATP comme à Transdev, droit vers la « catastrophe »
Ce qui est en train de se passer à la RATP rappelle l’ouverture à la concurrence du réseau de bus Optile de la grande couronne francilienne. Celle-ci a aussi entraîné une dégradation des conditions de travail en préparation des appels d’offres. De quoi déclencher d’importantes grèves, en particulier chez Transdev. « Ce qui attend demain les conducteurs du réseau historique de la RATP, c’est les mêmes conditions de travail et de rémunération que chez Transdev », estime Vincent Gautheron.
Le modèle de découpage en lots appliqué à Optile sera également reproduit. Le réseau historique de la RATP va être découpé en une douzaine de lots. Un appel d’offres régira chacun d’entre eux. Pour y répondre, la RATP compte créer des filiales privées, sortes de petites entreprises, pour chaque centre-bus.
C’est exactement ce qui s’est passé pour le réseau Optile. Et c’est la raison pour laquelle, au cours du conflit Transdev, les grévistes et leur direction négociaient lot par lot. « Il n’y aura plus du tout de conditions de travail harmonisées, quand bien même les futurs lots dépendront de la même convention collective », explique ainsi Vincent Gautheron.
Par exemple, la filiale RATP Cap Île-de-France a été créée dans ce but, début 2021. « Notre ambition est de conquérir de nouveaux marchés (…). RATP Cap Île-de-France entend offrir à Île-de-France Mobilités et aux voyageurs (…) des services de mobilité performants », décrit son président dans un dossier de presse du groupe RATP. Le tout, précise-t-il, en s’appuyant sur « la culture du dialogue social du groupe ».
« Double arnaque »
Dans ce conflit social, il y a « une double arnaque », remarque Jean-Christophe Delprat. D’abord, il faut s’attarder sur le CST, le contrat social territorialisé. Cet accord-socle fixe les futures conditions de travail et de transfert des agents. Publié par décret en avril 2021, il définit des règles communes à tous les opérateurs qui se partageront le réseau historique de la RATP en 2025. Mais voilà : « rien n’empêche la RATP, ou les futures entreprises qui obtiendront le marché, de viser de meilleures conditions de travail que le CST… L’employeur le présente comme un accord-cible. Or, c’est un socle de base qui peut être amélioré » martèle Jean-Christophe Delprat.
Par ailleurs, la direction de la RATP a remis en cause les accords sur les conditions de travail des tramways, pas seulement des bus, en 2021. Or, si les bus doivent s’ouvrir à la concurrence en 2025, ce n’est pas le cas des tramways. Ces derniers seront ouverts à la concurrence au 31 décembre 2029. « Les tramways n’ont aucune obligation de s’y plier aussi… », insiste le responsable syndical.
Un autre modèle était possible : le service public « de haute qualité »
De quoi faire dire aux syndicalistes que l’ouverture à la concurrence est, avant tout, un jeu de dés pipés. « Le transport n’est pas un business rentable. Il le devient encore moins avec l’augmentation du coût du carburant. Cette fausse concurrence n’a qu’un seul objectif : le dumping social », défend Jean-Christophe Delprat.
« L’ouverture à la concurrence n’a jamais été une obligation légale », ajoute Vincent Gautheron. « La loi autorisait à garder une sorte de monopole public. À condition de créer une entreprise ayant pour seule et unique mission de réaliser l’offre de service public, sans conquérir de nouveaux marchés extérieurs. » Or, cela n’a pas été le choix politique d’Ile-de-France Mobilités. « Ni de la RATP, dont les directions successives ont toujours oeuvré pour l’ouverture à la concurrence », juge le responsable CGT.
L’urgence écologique impliquerait un autre modèle, selon eux. « On aurait besoin de service public de haute qualité, dans le contexte de réchauffement climatique actuel. Or, on est en train de dégrader cela », souffle Jean-Christophe Delprat. « L’impact sur le service public de demain va être terrible ».
Photo : O Phil des Contrastes
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