Depuis janvier 2018, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) a baissé de 24,5 %. Mais d’autres outils sont à disposition des employeurs pour réduire leurs effectifs. Outre les plans de départs dits volontaires, les chefs d’entreprise jouissent depuis le 23 décembre 2017 d’un nouvel outil : la rupture conventionnelle collective (RCC). Lundi, le ministère du Travail a dévoilé quelques chiffres d’un bilan portant sur les six premiers mois d’application de cette nouvelle mesure.
La rupture conventionnelle collective, c’est en quelque sorte lorsqu’un patron décide de supprimer des postes de travail, et qu’à la fin, ce sont des salariés qui « choisissent volontairement de partir ». Un tour de passe-passe tout droit sorti du nouveau monde pour cette mesure adoptée par ordonnance l’an dernier lors de la réforme du Code du travail. Car, contrairement à la rupture conventionnelle individuelle, la RCC est exclusivement à l’initiative de l’employeur qui fixe seul le nombre de postes concernés. En langage de l’ancien monde : des licenciements. La RCC présente également l’avantage pour les employeurs de s’exonérer de motifs économiques pour supprimer du personnel et de comporter moins d’obligations de reclassement des salariés. Seule contrainte : signer un accord majoritaire avec les représentants du personnel.
Depuis le début de l’année, le ministère du Travail a comptabilisé 66 ouvertures de dossier de rupture conventionnelle collective. En tout, 40 ont été homologués, 17 sont en attente, un a été rejeté par la Direccte et 11 ont échoué, dont celui de Pimkie transformé en plan de départs volontaires faute d’accord avec la majorité des syndicats. Dans le même temps, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi est passé de 370 à 280. S’agit-il d’un transfert pur et simple d’un dispositif à l’autre ? Les RCC sont-elles des plans de licenciement au rabais permettant aux entreprises d’échapper aux PSE comme le dénonçaient les syndicats de salariés au moment de l’adoption du dispositif ? Du côté du ministère du Travail, aucune conclusion n’est formulée pour le moment. Celles-ci sont renvoyées à une évaluation ultérieure confiée à France stratégie, l’organisme chargé des expertises rattaché au cabinet du Premier ministre.
Pourtant le caractère avantageux pour l’employeur de la rupture conventionnelle comparée au plan de sauvegarde de l’emploi est évident. La procédure est bien plus rapide. Deux à trois mois en moyenne, négociations obligatoires et homologation par la Direccte incluses. Elle est également plus simple et surtout moins susceptible d’ouvrir un contentieux au tribunal. Une sécurisation pour les employeurs. L’absence d’obligation de motivations économiques et son coût moindre en mesures de reclassement en font un dispositif plus que séduisant. La baisse du nombre de PSE n’est donc pas vraiment surprenante, même s’il n’est pas encore formellement établi qu’elle intervienne au bénéfice des RCC.
Une aubaine pour les grandes entreprises ?
Par contre, son utilisation est surtout le fait de grands groupes. Le ministère n’a pas communiqué le nom des 40 entreprises ayant validé leur RCC sur les 66 ayant engagé la procédure. Pour autant, nombre d’entre elles sont connues. L’enseigne Pimkie, appartenant au groupe Mulliez, et le groupe PSA ont inauguré le nouveau dispositif dès la publication de son décret d’application fin décembre 2017. Si aucun accord n’a été trouvé chez Pimkie, les syndicats de PSA ont validé la suppression de 1300 postes, à l’exception de la CGT. Le Figaro, détenu par le groupe Dassault et les Inrock propriété de Mathieu Pigasse (banque Lazard) ont réduit leurs effectifs respectivement de 40 et 25 salariés en début d’année.
Autre dégraissage massif : la Société Générale avec 2135 départs. Là, ce sont la CFE-CGC, la CFTC et la CGT qui ont validé la RCC pendant que la CFDT et FO refusaient de signer. D’autres multinationales se sont engouffrées dans l’alternative aux PSE. Cette année, IBM a supprimé 94 emplois, Dunlop 88 dans son usine de Montluçon, l’équipementier automobile coréen Hanon Systems 54 dans son usine de Charleville-Mézières. De son côté, l’américain Carlson Wagonlit Travel s’est séparé de 62 salariés pendant qu’Odo BHF supprimait 50 postes en intégrant en son sein Natixis. Le groupe Total n’est pas en reste en se délestant de 16 personnes dans sa filiale toulousaine Sunpower alors que Teleperformance a supprimé 226 emplois. Seules entreprises de taille plus modeste bien qu’implantées à l’international à figurer dans la liste : Photonis et Alès Groupe qui comptent chacune un millier de salariés.
Exception à la règle, sur les 14 sociétés répertoriées, le groupe d’assurance Aon à Angoulême, une entreprise de moins de 200 salariés. Elle a sollicité 38 départs volontaires. À Teleperformance, le nombre de « candidats au départ » a été plus important que celui fixé par l’entreprise. Un des partants, Wahab a témoigné pour Libération. Avec sept années passées chez Teleperformance, il décrit « des années de pure survie », des conditions de travail dégradées, des horaires changeant en permanence et des objectifs inatteignables. Presque un « autolicenciement volontaire » en langage du nouveau monde.
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