Des activistes du mouvement climat, des membres de la Confédération Paysanne et des militants autonomes marcheront ensemble, les 9 et 10 octobre, en Île-de-France, contre l’agro-industrie. Cette nouvelle étape de la campagne des Soulèvements de la Terre marquera une convergence nationale vers les lieux de pouvoir parisiens. Elle fait suite à une action de blocage contre les méga-bassines, du côté de Niort, les 22 et 23 septembre. Habitants en lutte, paysans et activistes du climat tentent, à chaque fois, de peser ensemble dans le rapport de forces.
Ils étaient près de 500 à débouler sur le chantier de la méga-bassine de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 22 septembre, selon les organisateurs. Un mélange d’habitants du collectif Bassines Non Merci, d’activistes pour le climat, de membres de la Confédération Paysanne, ou encore de personnes se revendiquant de mouvances autonomes. Une vingtaine de tracteurs étaient sur site. Cette nouvelle action des Soulèvements de la Terre, une campagne nationale pour rendre visibles des luttes écologistes locales, a démontré la diversité des militants qu’elle regroupe.
C’est le collectif Bassines Non Merci qui a demandé le soutien des Soulèvements de la Terre. Engagés contre le projet de construction de 16 méga-bassines dans les Deux-Sèvres, ces habitants dénoncent l’exploitation de l’eau par l’agro-industrie. « Les Soulèvements ont vocation à être sollicités par des collectifs d’habitants en lutte, dans des moments critiques, pour voir ce que la dynamique nationale peut apporter au rapport de forces local », rappelle Dimitile*, éleveur de vaches du côté de Nantes. Membre d’une coopérative paysanne et artisanale, ce dernier se revendique plutôt d’une mouvance autonome. Le 21 septembre, il est parti avec d’autres paysans d’une ferme de Saint-Colomban (Loire-Atlantique), commune où s’est tenue la dernière action des Soulèvements contre l’extraction de sable.
Le lendemain, tous ont rejoint un rassemblement place de la Brêche à Niort, avant d’occuper le chantier de Mauzé-sur-le-Mignon. « Il s’agit du premier chantier qui a démarré dans le cadre du projet de Sèvres Bassines. Pour les autres, des décisions vont être prises prochainement » explique Léna Lazare, membre du groupe de suivi des Soulèvements de la Terre et activiste de Youth for Climate. Le timing du blocage n’a donc pas été choisi au hasard. « Le démarrage des travaux marque une étape irréversible. Soit la mobilisation des citoyens locaux et des paysans parvient à entraver physiquement les travaux, soit elle va être perdante » estime Dimitile. Dans le même temps avait lieu le congrès national de la FNSEA. La mobilisation a imposé le sujet au sein même du congrès ; et obligé le ministre de l’agriculture Julien Denormandie à se positionner publiquement.
« On a vraiment réussi à embarquer la Conf Paysanne avec nous »
Alors que la saison 1 des Soulèvements de la Terre visait le bétonnage et l’accaparement des terres, la saison 2, commencée à Niort, se centre sur la lutte contre l’agro-industrie. Quatre marches en Ile-de-France, ce week-end, feront le lien entre les deux saisons. Le 9 octobre, des groupes partiront de Gonesse, Saclay, Thoiry et Val-Bréon, autant d’endroits où se concrétisent des projets d’artificialisation des terres et d’exploitation agro-industrielle. Le 10 octobre, tous convergeront vers Matignon. Objectif : « obtenir un moratoire immédiat sur la destruction des terres nourricières », indique le communiqué.
Les actions à venir en Ile-de-France, dans le Tarn, le Var ou le Jura seront « construites avec les paysans du coin à chaque fois », promet Léna Lazare. Pour cette saison 2, « on a vraiment réussi à embarquer la Conf Paysanne avec nous. Tandis que pour la saison 1, il s’agissait plutôt de contacts interpersonnels. Il y avait un lien de confiance à installer », reconnaît l’activiste. Par exemple, à Niort, « c’était tendu de faire cela en même temps que le congrès FNSEA : la Conf Paysanne ne pouvait pas attaquer de front, sinon la guerre aurait été déclarée entre syndicats… On s’est donc posé des questions que l’on ne se pose pas d’habitude ».
Organisation des assemblées, questionnements autour de la non-violence, du rapport aux institutions… De fait, les divergences sont nombreuses. « Beaucoup de pratiques ont été questionnées. Il faut que l’on soit inclusif : on ne peut pas imposer notre manière de faire » insiste Léna Lazare. La nécessité d’avancer ensemble domine. Chaque force en présence, au sein des Soulèvements, « est un peu en crise. Les habitants en lutte gagne une fois sur dix ; le syndicalisme paysan est, comme tous les syndicats, un peu défait ; le mouvement autonome a atteint un paroxysme avec les Gilets Jaunes mais n’a presque rien gagné… » observe Dimitile. « Chacune de ces forces a conscience que seule, elle ne peut pas peser significativement ».
Reprise des terres, dérèglement climatique : même timing
Chacune a aussi conscience de partager une urgence commune. Du côté des paysans, « on a un créneau pour mettre à mal la main-mise de l’agro-industrie. Dans les 5 à 10 ans à venir, toute une génération d’agriculteurs va partir à la retraite. C’est un moment déterminant pour arracher ces terres à l’agro-industrie, par des moyens légaux ou des occupations », expose Dimitile. « Ce timing correspond au timing climatique ».
Pour avancer malgré les différences, les Soulèvements de la Terre parie donc sur un calendrier d’actions très concrètes. Jusqu’ici, leur apport aux collectifs locaux est positif. « La plupart nous ont dit qu’ils avaient été hyper aidés par la campagne », assure Léna Lazare. Mais l’impact dépend de l’intensité des mobilisations locales. Pour les collectifs les plus anciens, comme La tête dans le sable, à Saint-Colomban, la lutte durera avec encore plus de force. Pour les plus récents, comme en Haute-Loire face à un contournement routier, c’est moins sûr. « Ça a été un coup de pouce : les gens étaient contents car un collectif venait de se lancer… Mais ça va être dur de gagner face à Laurent Wauquiez », réélu à la présidence de la région en juillet.
En attendant, les collectifs maintiennent les contacts pris les uns avec les autres. Certains prévoient de retourner sur des terrains, comme les chantiers des méga-bassines, en fonction de l’évolution du bras-de-fer local. Comme en Ile-de-France ce week-end, des actions phares visent à rassembler un maximum de monde. Le 5 mars 2022, les Soulèvements prévoient « d’assiéger » le siège social de Bayer-Monsanto à Lyon. Un géant de l’industrie chimique, au coeur de l’agro-industrie. Et Dimitile y croit : « poser ce geste offensif, à deux mois des présidentielles, aura vraiment un retentissement national ».
Crédits photo : Les Soulèvements de la Terre
*Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat de l’interlocuteur.
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