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Plan d’urgence : la grève des enseignants s’ancre dans le 93


Depuis trois semaines, les enseignants du 93 sont mobilisés et en grève pour obtenir un plan d’urgence. Depuis le 26 février dernier, le mot d’ordre « en février, le 93 ne fait pas sa rentrée » est devenu réalité. Ce jeudi, des marches parties de différentes villes de Seine-Saint-Denis vont converger vers la Direction des services départementaux de l’éducation (DSDEN), avant une journée « écoles, collèges et lycées déserts » demain, appelée par les parents d’élèves mobilisés.

 

« Les collègues ne veulent pas juste bloquer une réforme, ils veulent gagner des choses », explique Maud Valegeas, enseignante dans le secondaire à Saint-Denis et co-secrétaire fédérale de SUD éducation. Depuis des semaines, les enseignants réclament un plan d’urgence pour leur département qu’ils ont chiffré à 358 millions d’euros, à l’issue d’une enquête menée dans les établissements en fin d’année dernière par l’intersyndicale éducation du 93 (FSU, CGT, SUD et CNT). Un plan d’urgence qui se décline par la demande de 5200 postes d’enseignants, 175 postes de CPE, 650 postes d’AED, 320 postes d’assistants pédagogiques et 2200 postes d’AESH. Ainsi que par des revendications sur le bâti, pour avoir des conditions de travail décentes et des établissements qui restent à taille humaine.

Pourquoi une telle demande ? « Parce que l’école est en état d’urgence en Seine-Saint-Denis », explique Grégory Thuizat. Pour ce co-secrétaire du SNES-FSU 93, c’est simplement « une correction des inégalités qui a lieu actuellement dans le service public d’éducation. La Seine-Saint-Denis est déjà le territoire le plus jeune et le plus pauvre de l’hexagone. Il subit une relégation en étant sous-doté et va prendre, en plus, dans la figure le “choc des savoirs” » dénoncé par l’ensemble des syndicats comme un tri social qui n’apportera aucun bénéfice.

A contre-pied des coupes budgétaires du ministère de l’Éducation nationale, inscrites dans le décret du 21 février 2024, les enseignants mobilisés réclament des crédits. « En septembre dernier, Clément Beaune le ministre des Transports a trouvé 800 millions pour la région pour l’enveloppe transport en prévision des Jeux olympiques. Les JO c’est 15 jours, nous on se bat pour une scolarité de 15 ans, pour les 325 000 élèves du département », argumente Louise Paternoster, institutrice et co-secrétaire de la CGT éducation 93.

 

La mobilisation pour le plan d’urgence gagne en densité

 

La mobilisation dure, mais ne faiblit pas. Au contraire, assurent les syndicalistes enseignants, qui ont observé un rebond de la grève à l’occasion de la journée du 7 mars, où une manifestation dans la capitale s’est dirigée vers le ministère de l’Éducation nationale. Selon la FSU, le taux de grévistes ce jour-là était de 45 % dans le primaire et de 60 % dans le second degré. En progression dans le secondaire comme dans les écoles « qui sont entrées dans le mouvement », explique Louise Paternoster.

« Nous étions 4500 en manifestation et il y a 26 000 personnels sur le département de Seine-Saint-Denis. Cela fait quasiment un enseignant sur 5 en manifestation. C’est beaucoup en termes de ratio », note Maud Velegeas, qui assure observer « du relais dans la grève qui motive celles et ceux qui l’ont démarré dès le début ». En plus des enseignants, les parents d’élèves sont entrés dans le mouvement dans de nombreuses communes. Ils réclament eux aussi un plan d’urgence. « Il y a eu une concentration de la grève dans le centre du département sur un arc qui va de Bagnolet à Tremblay-en-France en passant par Aulnay et Sevran qui sont l’épicentre de la mobilisation. C’est en train de s’élargir et de s’amplifier dans les villes du département, avec des réunions publiques qui ont connu une participation totalement inédite », remarque Grégory Thuizat.

Cette fin de semaine, deux nouvelles dates fortes sont programmées. Ce jeudi 14 mars, des marches partiront des quatre coins du département, traverseront un grand nombre de communes pour se diriger vers la DSDEN. Avant de partir ensemble en manifestation à 14h en direction de la préfecture. Le lendemain, la FCPE et d’autres associations de parents d’élèves, nombreuses en Seine-Saint-Denis, appellent à des écoles, collèges et lycées déserts. D’ores et déjà, l’assemblée générale départementale a décidé que la prochaine grande échéance de mobilisation tombera le jour de la grève dans la fonction publique, le mardi 19 mars. Celle-ci sera suivie d’un appel à reconduire le reste de la semaine. A moins que le ministère, qui jusque-là n’a pas souhaité recevoir l’intersyndicale du 93, n’ouvre sérieusement la porte des négociations. Et par la même occasion le porte monnaie, une option qui n’est pas totalement à exclure.

Depuis une semaine, une certaine confusion règne du côté de l’exécutif. Jeudi dernier, la ministre Nicole Belloubet ouvrait la porte à des classes de niveaux qui pourraient devenir des groupes de besoin, sous la responsabilité des chefs d’établissement. Avant de se dédire, après le recadrage de Gabriel Attal le lendemain pour réaffirmer le déploiement du « choc des savoirs ». Pour autant, cette semaine, la ministre a pour la première fois évoqué des moyens particuliers pour le 93, à l’occasion d’une intervention en séance publique à l’Assemblée nationale. Une certaine fébrilité confirmée par la participation très inédite du Premier ministre à une visioconférence aujourd’hui avec les chefs d’établissement du département.

 

Des assemblées générales au centre de la mobilisation

 

Quoi qu’il en soit, pour le moment, la mobilisation pour le plan d’urgence se poursuit et ne montre aucun signe d’affaiblissement. « Il y a des réunions publiques partout, des distributions de tracts, c’est foisonnant. A Aulnay, il y avait une centaine de personnes à la réunion publique. Les parents s’impliquent et se déplacent le soir », décrit Maud Valegeas de SUD éducation. « Il y a une détermination très forte qui montre que l’on est dans un vrai mouvement », confirme Louise Paternoster. « Les AG sont de plus en plus nombreuses. On est passé d’une centaine de personnes à la première AG le 1er février à 450 dans la grande salle de la Bourse du travail de Paris le 7 mars », renchérit Zoé Butzbach, co-secrétaire de la CGT 93.

La participation des grévistes et des parents d’élèves dans les espaces collectifs d’animation du mouvement semble être une des particularités de la mobilisation. « Les AG de villes sont plus nombreuses et plus régulières, avec une très grande force démocratique. Il y a vraiment de la concertation et du consensus qui se construit au fur et à mesure des AG », continue Zoé Butzbach. Une réussite que la syndicaliste met au crédit du long travail réalisé par l’intersyndicale depuis septembre et à la façon dont le mouvement a été lancé le 26 février.

« Le mot d’ordre “pas de moyens, pas de rentrée” a énormément parlé. Ce n’était pas une grève perlée. A partir de là, tout était à organiser. Cela a décidé beaucoup de collègues à entrer dans la lutte et à s’y mettre ». Autre clef de la réussite pour elle : « l’unité syndicale fonctionne bien et dans la durée. C’est une des forces de la mobilisation », poursuit la syndicaliste. Mais peut-être et surtout : « l’échelle, ni trop locale, ni trop nationale, joue aussi favorablement. On a un pouvoir d’action renforcé parce que ce sont nos propres revendications qui sont portées. Les particularités du 93 font le reste : un fort attachement au territoire, un grand sentiment d’appartenance et d’identité symbolique et affective ».