Dans la capitale, certaines rues pourraient bientôt être encombrées de déchets. La grève reconductible des éboueurs de Paris, habilement coordonnée à celle des salariés des incinérateurs de déchets, a provoqué l’arrêt des 3 incinérateurs. Et le mouvement ne semble pas prêt de finir.
« Les manifs, c’est bien, l’action, c’est mieux ». En se réchauffant auprès d’un brasero improvisé, Vincent explique à qui veut l’entendre ses rêves d’un autre monde, et surtout sa colère. « Ils ont du mépris pour nous, mais nous les méprisons aussi », assure-t-il, plein de rancunes envers le gouvernement.
Face à lui, les cheminées de l’incinérateur de déchets d’Ivry-sur-Seine diffusent un parfum de victoire. Ce mardi 7 mars, il n’est que 9 heures du matin et les salariés de la filière déchets ont déjà engrangé un premier succès. Depuis la veille au soir, l’incinérateur est à l’arrêt. Les ouvriers y ont planté le piquet de grève. La journée ne fait que commencer et les premiers échos de ce blocage commencent à parvenir aux oreilles de ceux, nombreux, qui iront manifester l’après-midi.
Une grève commencée dès le 6 mars
Sur le site, on compte une trentaine de salariés à cette heure plutôt matinale. Des éboueurs de la ville de Paris, des salariés d’entreprises de l’énergie, normalement chargés de piloter cet incinérateur, et même des égoutiers, sont venus en renfort. Les éboueurs de Paris, eux, ont commencé leur grève le lundi matin. « Il n’y a pas de collecte le dimanche à Paris », souligne François Livartowski, secrétaire fédéral de la CGT Services Publics. Le lundi est donc une journée clé pour le ramassage des déchets, ce qui a motivé les salariés à entamer leur grève une journée plus tôt que la date annoncée par l’intersyndicale.
Christophe Farinet, secrétaire général adjoint de la fédération CGT du nettoyage de la ville de Paris (FTDNEEA) égrène le résultat de la veille : « 70 tonnes de déchets sont restés sur les trottoirs dans le 6e arrondissement, 84 tonnes dans le 14e, 180 tonnes dans le 17e et 170 tonnes dans le 20e ». Ce bilan partiel ne concerne que la moitié des arrondissements parisiens : ceux sous régie publique. Le reste des déchets sont collectés par des entreprises privées. Dans la partie publique, 60 % des salariés se sont mis en grève. Avec 3 000 tonnes de déchets collectés par jour, les rues de Paris peuvent rapidement être encombrées de déchets, ce qui poussera, espèrent les salariés, le gouvernement à abandonner sa réforme. « Dans le 6e où je travaille, c’est majoritairement des restaurants donc ça a un impact important », s’amuse Yoann, un éboueur.
« Que la grève dure le plus longtemps possible »
Peu mobilisés jusqu’à maintenant, les salariés de la filière déchets ont cette fois réussi un grand coup. Deux des trois incinérateurs de la petite couronne parisienne sont actuellement bloqués. Le troisième ne fonctionne pas non plus car il est en maintenance. Et la grève des éboueurs de Paris ne devrait pas s’arrêter de sitôt. Pour Christophe Farinet, la perspective est claire : « la grève reconductible ».
Un mot d’ordre qui ne sonne pas creux tant les grévistes ont œuvré à mettre en place les conditions propices à leur victoire. « Tout a été brûlé parmi les déchets présents sur le site, et il n’y a donc plus de combustible, explique François Livartowski. Or, il faut deux jours pour redémarrer les fours. Tout a été fait pour que la grève dure le plus longtemps possible ».
Plusieurs fédérations de la CGT coordonnées
Pour ces salariés, lutter contre la réforme des retraites est presque une question de survie. « Deux ans de plus, c’est pas possible. Un éboueur, il meurt sept ans après la retraite. Alors avec deux ans de plus, il ne va vivre que cinq ans à la retraite. Et avec des problèmes ! », souligne Vincent. « Rien que moi, je suis cassé à 42 ans », se désespère Yoann. L’enjeu est ainsi de taille et a permis au mouvement de se lancer, malgré les difficultés. « Pour certains, c’est difficile financièrement. Et d’autres habitent loin donc ne peuvent pas venir sur les piquets de grève », explique Vincent.
Pour structurer la bataille, une assemblée générale a eu lieu la veille. Elle a réuni 150 personnes. L’enjeu est assurément collectif. Au total, trois fédérations CGT, très fortes à Paris, ont participé à cette mobilisation. La CGT Transport et la CGT Services Publics ont appelé à la grève reconductible, respectivement chez les éboueurs du privé et du public. La CGT Énergie a, elle, mobilisé les salariés des incinérateurs. Et de nouvelles passerelles sont, sans cesse, en création. « On fait des actions avec les salariés de GRDF. On fait des alliances, on essaye de lier les combats », explique Vincent. Une démarche visible sur ce piquet de grève des éboueurs de Paris, puisque des personnes n’ayant pas de lien avec la filière des déchets sont venus en soutien.
Des alliances larges
Aux alentours du brasero, on croise ainsi deux étudiants. L’un d’eux, étudiant en sociologie, explique : « je suis étudiant à Sorbonne Nouvelle, mais je vais souvent à l’Inalco [ndlr : l’Institut national des langues et civilisations orientales] qui est à dix minutes d’ici. Donc, je suis venu hier et je reviens aujourd’hui ». Quelques mètres plus loin, deux professeurs de collèges à Ivry-sur-Seine, sont également venus soutenir ces salariés. « Je suis en grève toute la semaine, explique Simon, qui enseigne la musique. On a diffé des tracts et on essaye de construire la grève au sein de notre collège ». La mobilisation peine à avancer dans son établissement, seule une dizaine de professeurs sur quarante sont en grève ce mardi, mais le jeune professeur évalue la situation au-delà de son seul secteur. « Une AG interprofessionnelle a lieu à 11 h à Ivry », nous explique-t-il.
Le soutien dont bénéficie les salariés de la filière déchet, s’étend même à des horizons insoupçonnés. Sans directement mentionner les éboueurs, Anne Hidalgo, la maire de la Ville de Paris, affiche son soutien au mouvement social. Mais elle n’appelle pas pour autant ses agents à faire grève.
Les éboueurs ont bien conscience que la ville de Paris n’est pas une alliée. « On se bat aussi, depuis 2017, pour une revalorisation de notre grille indiciaire. D’ailleurs, plus nos grilles sont importantes, plus il y a de cotisations pour alimenter la caisse de retraite », souligne Christophe Farinet. Un double combat, contre l’État et la ville de Paris, que les salariés espèrent remporter.
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