En promulguant la loi sur les retraites quelques heures après sa validation par le Conseil constitutionnel, puis en s’adressant aux Français dès ce lundi soir, Emmanuel Macron souhaite liquider la mobilisation contre sa réforme. Mais tourner la page semble impossible quand 64 % des Français disent souhaiter la poursuite du mouvement. Des actions, des grèves et des manifestations continuent en attendant un 1er mai dont la force déterminera en grande partie la suite de la contestation.
« Ce n’est pas fini », titrait le communiqué de l’intersyndicale, au soir de la validation par le Conseil constitutionnel de la loi sur les retraites. Au même moment, des manifestations spontanées démarraient dans la plupart des grandes métropoles et dans quelques villes de plus petite taille, certaines s’étirant jusque tard dans la nuit. Le lendemain, près de 2 000 personnes manifestaient de nouveau à Rennes. Quelques centaines d’autres défilaient dans le 19e arrondissement de Paris ou à Lyon en soirée. Ce lundi matin, les blocages aux entrées des sites de la filière déchet parisienne étaient toujours en place, alors que la CGT doit décider demain des suites de la grève dans ce secteur. Dans le même temps, c’est la rocade qui était bloquée à Charleville-Mézières, montrant que ce n’est pas fini.
En guise de confirmation, ce lundi soir, rendez-vous est donné dans des dizaines de villes pour des rassemblements devant les mairies, casseroles en main, pendant l’allocution d’Emmanuel Macron à 20 h. Demain soir, la CGT44 appelle à une nouvelle manifestation à Nantes. Puis, jeudi 20 avril, les quatre fédérations syndicales représentatives à la SNCF appellent à une journée de grève forte dans le rail, alors que la direction confédérale de la CGT souhaitent faire de cette date et de celle du 28 avril des moments de rassemblement et d’actions. Et ce, avant « une journée de mobilisation exceptionnelle et populaire » le 1er mai, à l’appel de l’intersyndicale.
Un tournant pour la contestation de la réforme des retraites
L’ensemble de ces actions confirme la colère persistante, le refus de tourner la page des retraites et l’ampleur de ce qu’a été la mobilisation depuis trois mois. Une mobilisation qui ne peut pas s’arrêter d’un claquement d’allocution télévisuelle. Pour autant, elles ne résolvent pas la question centrale que se posent les opposants à la réforme : comment faire reculer le gouvernement, après treize journées de mobilisation nationale ayant réuni des millions de salariés, alors que le chef de l’État a promulgué la loi vendredi soir ? D’autant qu’avec son discours depuis l’Élysée ce soir, rien n’indique son intention de revenir en arrière.
C’est tout le paradoxe de la situation. La promulgation de loi signe une sorte de victoire du gouvernement, mais la réforme reste rejetée par 69 % des Français, selon un sondage Elabe publié ce lundi 17 avril. Surtout, bien que la participation aux grèves et aux manifestations soit en baisse depuis le 6 avril (tout en restant d’un niveau très honorable), 64 % des Français souhaitent la poursuite du mouvement. 45 % désirent même son durcissement, malgré que la séquence des grèves reconductibles, après l’appel à mettre la France à l’arrêt le 7 mars, ait commencé à se rétrécir dans la dernière semaine du mois de mars. Elle ne subsiste que partiellement ou marginalement dans les industries électriques et gazières, à la SNCF et dans la filière déchet.
De ce point de vue, l’invocation de l’exemple du Contrat première embauche (CPE), lorsque Jacques Chirac avait suspendu une loi pourtant promulguée, n’a que peu d’utilité. Le miracle du CPE, dans un contexte de rivalité entre Sarkozy et Villepin pour la présidentielle qui devait se tenir un an plus tard, n’est pas automatiquement reproductible. D’autant que la mobilisation de la jeunesse n’est pas du même niveau que celle de 2006. Les rapports de force sont donc différents. D’où les propos de Laurent Berger ce matin sur France 2 : « faire croire qu’on pourrait faire revenir en arrière le président, ce serait mentir aux gens ». Le leader de la CFDT semble déjà, avant que l’intersyndicale se réunisse ce soir, ne compter que sur le second référendum d’initiative partagée pour poursuivre la mobilisation dans l’objectif de gagner. Sans celui-ci, qui sera examiné le 3 mai par le Conseil constitutionnel, la « période de décence » évoquée par Laurent Berger, avant que la CFDT discute d’autres dossiers avec le gouvernent, pourrait prendre fin le 4 mai.
Un 1er mai très massif pour se redonner de l’oxygène
À moins d’un 1er mai exceptionnel, auquel appelle l’intersyndicale. « Un raz de marée populaire, une mobilisation historique, massive, familiale et festive » : c’est ce qu’espère Sophie Binet ce jour-là, avec comme objectif toujours affiché : obtenir le retrait de la réforme. En tout cas, contrairement au RIP qui est dans les mains des « Sages », la date du 1er mai est dans les mains des salariés. En y participant extrêmement massivement, ils peuvent décider de modifier à nouveau la réalité sociale. Et l’avenir du mouvement.
En effet, après le chiffre de 380 000 manifestants le 13 avril dans tout le pays, annoncé par la police, le retour à plus d’un million de personnes comptabilisées par les autorités dans la rue créerait une situation inédite, à posteriori d’une promulgation de loi. Cela rendrait bien moins « inéluctable » la fin du mouvement à court terme. Et obligerait probablement l’ensemble des huit syndicats de l’intersyndicale à rester ensemble pour trouver des suites à l’expression de la colère.
Si dans la foulée, le Conseil constitutionnel validait le RIP, une nouvelle séquence longue s’ouvrirait et le gouvernent serait dans l’impossibilité de passer à autre chose. Cela ne garantit évidemment pas une victoire, mais ouvrirait à nouveau des possibles pour les neuf prochains mois pendant lesquels les opposants à la réforme des retraites pourront récolter les 4,8 millions de signatures nécessaires au RIP. En cas de rejet par le Conseil constitutionnel, la situation sera plus confuse et la suite du mouvement plus incertaine.
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