Retraites

Retraites : un conclave pour le meilleur ou pour le pire ?

Ce jeudi, les syndicats de salariés et le patronat se retrouvent avenue de Ségur à Paris pour le lancement de négociations sur les retraites qui doivent durer trois mois. Ce qui semblait être une concession, faite par François Bayrou aux opposants à la réforme des retraites se transforme depuis quelques semaines en un concours Lépine des propositions de nouvelles régressions sociale. Explications.

C’est un sacré retournement de situation. Le 14 janvier, François Bayrou annonçait devant l’Assemblée nationale – à l’occasion de son discours de politique générale – qu’il était prêt à une révision de la réforme des retraites, pour obtenir « des voies de progrès » et « une réforme plus juste ». Il affirmait que « toutes les questions peuvent être posées », y compris celle de l’âge légal de départ, avec pour seule contrainte de ne pas dégrader l’équilibre financier.

Mais depuis quelques semaines – et surtout depuis que la Cour des comptes a rendu son rapport sur la trajectoire financière du système de retraite – une autre petite musique monte, poussée par le patronat, des personnalités politiques de droite ou par la majorité et ses relais médiatiques. Ainsi, au lieu d’une « réforme plus juste », il devient question de travailler plus longtemps ou d’instaurer une dose de capitalisation dans le système de retraite.

Les négociations commenceront donc jeudi après-midi. Elles réuniront de façon certaine les organisations de salariés CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC et les représentants patronaux du Medef, de la CPME et de l’U2P. Des discussions sont encore en cours à l’heure où nous écrivons pour déterminer si l’UNSA et la FSU seront autour de la table, côté salarié, et si la FNSEA, côté patronal, sera associée aux réunions qui doivent se tenir tous les jeudis pendant trois mois.

Quoi qu’il en soit, syndicats et patronat auront pour « boussole » le rapport de la Cour des comptes demandé par François Bayrou afin d’évaluer la situation financière des régimes de retraite et d’avoir selon lui « un constat et des chiffres indiscutables ». Si la mission flash de la Cour des comptes confirme les multiples projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) – que l’exécutif cherche à évincer depuis que son ancien président a contredit le gouvernement sur l’urgence à réformer les retraites en 2023 – elle invalide en revanche les affirmations fantaisistes du Premier ministre sur un déficit caché supposé de 55 milliards d’euros par an (relire notre débunkage).

Mais que dit le rapport ? D’abord que le système de retraite est excédentaire de 8,5 milliards d’euros en 2023 et que la France consacre 14 % de son PIB (2 803 Md€) aux dépenses de retraite (388,4 Md€). Un niveau de dépenses stable. Ensuite que le solde financier se dégrade avec un déficit de 6 milliards en 2025. Stable jusqu’en 2030, le déficit se creuse pour atteindre près de 15 milliards en 2035, puis 30 milliards en 2045. Une détérioration qui concerne avant tout le régime général des salariés.

« Ce déficit sans mettre en danger ni le système ni les finances publiques est de l’ordre de 0,5 point de PIB autour de 2035 » explique l’économiste Michael Zemmour, dans une note de blog sur Alternatives économiques. En 2045, le déficit de 30 milliards, pronostiqué par la Cour des comptes, représenterait environ 0,9 % du PIB de 2045, en conservant les prévisions d’une croissance molle du PIB de 0,7 % par an. A l’inverse, le patronat met l’accent sur les déficits à venir, quitte à reprendre, comme le patron du Medef, le chiffre apparemment effrayant d’un déficit cumulé sur 20 ans pour le régime général de 350 milliards à l’horizon 2045. Évidemment, sans mettre en parallèle le montant du PIB cumulé sur la même période qui devrait avoisiner les 60 000 milliards d’euros. Toujours dans la dramatisation, le président de la CPME a déclaré que le système par répartition « va droit dans le mur ».

Si le diagnostic de la Cour des comptes sur l’état des finances du régime de retraite ne fera pas l’objet d’une guerre de tranchée entre syndicat et patronat, il en ira tout autrement pour les modifications à apporter ou non à la réforme de 2023. De même sur les propositions pour équilibrer financièrement le système.

Côté syndical, l’ensemble des organisations de salariés souhaite revenir sur le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. Mais des nuances existent. A ce stade, il n’y a pas de position commune sur la table des huit syndicats qui composaient l’intersyndicale en 2023. Si certaines réclament toujours l’abrogation pure et simple de la réforme, d’autres pourraient s’accommoder d’un âge de départ ramené à 63 ans, assorti de mesures sur la pénibilité ou en faveur des femmes, dont les pensions sont nettement inférieures à celles des hommes. Pour parvenir à leurs fins, en respectant l’exigence gouvernementale de ne pas augmenter les déficits, elles ne manquent pas de propositions.

« On a des propositions de financement, mais il faut les faire avaler au patronat », assure Denis Gravouil, l’un des négociateurs de la CGT. Dans sa besace : « l’augmentation des salaires, l’égalité femmes-hommes qui pourrait rapporter 6 milliards d’euros, la fin des exonérations de cotisations sur l’intéressement qui pourrait générer 4 Md€, une lutte plus efficace contre le travail illégal que l’État chiffre lui-même entre 6 et 8 Md€, la mise à contribution du capital en augmentant le forfait de cotisation sur les dividendes dont l’estimation varie entre 10 et 24 Md ». Soit assez de ressources nouvelles pour rendre les régimes de retraites excédentaires.

Des propositions que les organisations patronales n’entendent pas se laisser imposer. De façon préventive, elles ont profité de la remise du rapport de la Cour des comptes au Premier ministre pour reprendre l’initiative et faire bouger le débat public en leur faveur. « A minima, préservons l’âge légal de départ à 64 ans. Si l’on était réaliste, il faudrait peut-être même le pousser un peu plus loin », s’aventurait Patrick Martin, le président du Medef, dans la dernière édition du Journal du Dimanche, titre racheté par Bolloré. Le nouveau président de la CPME, Amir Reza-Tofighi, explique lui aussi qu’il « faut absolument qu’on travaille plus ». Mais il se dit prêt à envisager de baisser l’âge légal de départ à 63 en contrepartie de l’introduction d’une dose de capitalisation dans le système de retraite. Un rêve patronal de longue date et une façon de balayer à la fois le retour aux 62 ans et la réintroduction des critères de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron en 2017.

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Nouvel allongement de la durée de travail, capitalisation, non-indexation des pensions… les thèmes chers au patronat trouvent des relais dans la classe politique. La ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet expliquait cette semaine sur France Info qu’elle pensait qu’il fallait travailler plus longtemps. Tout en affirmant que c’était aux partenaires sociaux de négocier, elle déclarait que rien n’était tabou, y compris la question d’une dose de capitalisation. Son collègue de la Justice, Gérald Darmanin qui se rêve en présidentiable imagine remplacer « une partie de la retraite par répartition par de la capitalisation ». Son ancien Premier ministre, Gabriel Attal, qui partage des rêves identiques pour 2027, ne dit pas autre chose. Derrière eux, nombre de responsables politiques de droite ou de la majorité y vont de leur couplet sur la même musique depuis une semaine.

Ainsi, les trois mois de négociations entre les syndicats et le patronat promettent de ne pas être un long fleuve tranquille. « On est convaincu qu’il ne faut pas faire une négociation à froid », explique Denis Gravouil de la CGT. S’il concède qu’il n’est pas simple de trouver des leviers de mobilisation, il estime qu’il faut que les salariés s’emparent du débat. D’où la proposition de Sophie Binet d’ajouter la question des retraites, en plus de l’égalité salariale femmes-hommes, dans les revendication des mobilisations féministes du 8 mars.