Elle a été en première ligne de la lutte contre le sexisme et le harcèlement moral au sein des magasins ChronoDrive. Depuis le 6 mars, Rozenn Kevel*, étudiante de 19 ans, a été mise à pied, et est menacée de licenciement. Motif avancé par la direction : un tweet qui nuirait à l’image de l’entreprise. La section CGT Chronodrive y voit plutôt une discrimination syndicale.
C’était à son arrivée au travail, le 6 mars, deux jours avant la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. « Je n’ai même pas eu le temps de dire bonjour à mes collègues : le directeur m’a fait venir dans son bureau, et m’a dit : « tu es mise à pied », raconte Rozenn Kevel*, étudiante de 19 ans employée par le magasin ChronoDrive de Basso Cambo, à Toulouse. « Il m’a dit que ce n’était pas dû à la qualité de mon travail, mais à ma vie personnelle. Je ne comprenais pas ce que l’on pouvait reprocher à ma vie personnelle… » relate-t-elle.
En cause ? Un simple tweet. La jeune femme finit par le comprendre lundi 15 mars, lors d’une nouvelle convocation. Ce jour-là, elle se retrouve face au directeur régional et à un responsable du service juridique du siège lillois de ChronoDrive. Ces derniers lui reprochent un message posté sur Twitter le 25 février, dénonçant le greenwashing que pratique, selon elle, l’entreprise.
Mdr ça va les mitos ? Je travaille à #Chronodrive, je vous dis même pas combien d’aliments on nous force à jeter simplement parce que l’emballage est un peu abimé.
Et on peut même pas les récupérer sinon on est accusé de vol..
Très écolo Chronodrive dit donc 🤨 https://t.co/CAiEALTKDu— Rozenn Kevel (@KevelRozenn) February 24, 2021
Pour la direction, le contenu de ce tweet porte atteinte à l’image de l’entreprise auprès des clients. « Je leur ai dit que s’ils m’avaient reçu dès le lendemain, et expliqué le problème, je l’aurais retiré », assure Rozenn. « Mais là, j’ai été reçue un mois après ; et malgré leurs critiques, ils ne m’ont même pas demandé de le retirer ». Pour l’avocate Valérie Duez-Ruff, membre du Conseil National des Barreaux et spécialiste des discriminations et des risques psychosociaux au travail (dont le harcèlement), le motif avancé n’est pas valable. « De toute façon, cela relève de la liberté d’expression. Ensuite, lorsque vous dénoncez des faits, qu’il s’agisse de harcèlement ou d’autres pratiques, vous êtes un lanceur d’alerte. On a pas le droit de vous licencier pour cela, ou de faire quoi que ce soit qui ressemble à une sanction », martèle-t-elle.
Discrimination syndicale
Selon Rozenn, cette mise à pied, accompagnée d’une menace de licenciement, est un prétexte. Quelques mois après avoir monté, avec d’autres, une section CGT au sein de son magasin ChronoDrive en mai 2020, la jeune femme est devenue la figure de proue d’une mobilisation autour du sexisme dans l’entreprise. « En octobre, une collègue est venue me voir en me disant qu’elle était harcelée sexuellement depuis trois ans » se souvient-elle. « Elle a fait plusieurs dépressions, la direction n’a fait que la pousser à la démission ». Après l’avoir accompagnée dans ses démarches, Rozenn se retrouve, de fil en aiguille, réceptrice de plusieurs récits d’autres femmes employées à Basso Cambo et dans un second magasin. La section CGT décide alors de monter des vidéos « à destination de nos collègues de Lille et d’ailleurs ; puis de lancer une campagne de témoignages » raconte Rozenn. Malgré les alertes à la direction, et un entretien obtenu avec des responsables ressources humaines, « il n’en est rien sorti de conséquent », estime-t-elle.
Sa mise à pied relève, d’après elle, d’une discrimination syndicale, réprimant son activité autour de la dénonciation du sexisme et du harcèlement moral dans l’entreprise. Elle y voit également une manière de déstabiliser la section CGT, seule alternative existante au syndicat CFTC à Chronodrive. « J’avais aussi fait face à des sanctions disciplinaires, ou encore à des retards mis sur mes heures de travail de manière arbitraire », dénonce Rafaël Cherfy*, également employé de Chronodrive et à l’origine de la création de cette section CGT. Le 9 septembre 2020, au cours d’un entretien avec le directeur régional, celui-ci « avait voulu nous faire signer un document stipulant que nous avions fait des fautes syndicales, ce que l’inspection du travail a considéré comme abusif », poursuit-il. Il reste convaincu que la mise à pied de Rozenn s’inscrit dans cette « continuité » de répression, « d’autant que la politique de Chronodrive c’est de pousser à la démission plutôt que de licencier ».
Sollicité par Rapports de Force sur toutes ces questions, le directeur du magasin de Basso Cambo indique « ne pas être habilité » à nous répondre. Il a transmis notre demande d’interview à ses supérieurs, qui n’ont pour l’heure pas donné suite.
Grève et rassemblement de soutien le 27 mars
La jeune femme compte bien se défendre juridiquement, et porter ce dossier aux prud’hommes pour éviter le licenciement. « Elle est lanceuse d’alerte. Elle a toutes ses chances aux prud’hommes » assure Valérie Duez-Ruff. Rozenn compte également se faire rembourser le salaire perdu. Cette mise à pied la prive de tout revenu depuis maintenant douze jours. Et la direction dispose encore de trente jours avant de rendre une décision. Or, la jeune femme travaille, comme de nombreux autres jeunes, pour assurer ses études. « À 19 ans, je suis en train de me battre pour avoir un travail, alors que je ne devrais même pas travailler. Je dois me battre pour gagner 420 euros par mois, et pour ne pas subir de sexisme au travail… » résume-t-elle. Elle dénonce une direction « méprisante » envers ses salariés, perçus comme des travailleurs interchangeables : « je sais très bien que si je pars, il y a cinq étudiants qui viendront frapper à la porte… »
Une pétition de soutien a déjà recueilli plus 3 000 signatures. Le 27 mars, un rassemblement est prévu devant le magasin de Basso Cambo, à 15 heures. Un préavis de grève a d’ores et déjà été déposé pour cette date. « C’est par la mobilisation collective qu’on arrivera à leur mettre la pression », espère la jeune femme.
* le nom de famille a été modifié à la demande de la personne.
Crédit Photo : Révolution Permanente Toulouse
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.