Un accord de fin de conflit a été signé après dix jours de grève des conducteurs de l’entreprise de transport Keolis, filiale de la SNCF. Des augmentations de salaire ont été obtenues, après deux ans de pandémie durant lesquels celles-ci ont été gelées. Mais cette lutte s’inscrit dans un contexte de tension grandissante en Ile-de-France, où le réseau de bus, métros, transiliens et tramways est partout découpé en lots, soumis aux appels d’offres, avec une dégradation des conditions de travail en conséquence.
C’est la fin de plus de dix jours de grève : lundi 24 octobre, un accord de fin de conflit a été signé entre la direction de Keolis et les conducteurs de bus en grève dans le département de l’Essonne. La mobilisation avait été très suivie : les syndicats dénombraient 160 grévistes sur 270 salariés, avec un pic à 190 grévistes en fin de semaine dernière.
Ce mouvement avait été lancé en deux temps. D’abord, en s’appuyant sur la date interprofessionnelle du 29 septembre, Sud Solidaires avait lancé la grève sur le site de Montlhéry, exigeant 6 % d’augmentation salariale. Puis, le 13 octobre, une intersyndicale composé de l’UNSA, la CFTC et FO a étendu le mouvement à d’autres dépôts.
Les grévistes ont obtenu une hausse salariale de 3 % rétroactive à partir du mois de septembre. Mais aussi un minimum de départ de 3 % pour les NAO (négociations annuelles obligatoires) qui débuteront début janvier. Ou encore, l’abandon de l’assignation en justice pour blocage qui avait été intenté par la direction du groupe la semaine dernière.
« Pour nous c’est une réussite. On a réussi à se faire entendre par Keolis. Et ce malgré une direction très dure pendant les négociations », se félicite Anis Rafa, élu FO chez Keolis. Le ton est moins victorieux du côté d’autres syndicats : « entre les pertes occasionnées par ces dix jours de grève, et ce qu’on va récupérer avec cette hausse, on est largement perdants… », estime Sud Solidaires, interrogé par nos confrères d’Actu.fr. Avec une demande de 6 % d’augmentation immédiate, le syndicat avait de plus hautes exigences que l’intersyndicale.
Réorganisations des services et stagnation des salaires chez Keolis
Il faut dire que les salariés partaient de loin. À l’heure actuelle, leurs salaires sont plus bas que leurs collègues du métier travaillant pour d’autres entreprises voisines. « On a une base de 13,40 euros de l’heure. Or dans les entreprises aux alentours, ils sont entre 14 et 15 euros de l’heure. Par exemple, chez Transdev, ils sont à 15 euros de l’heure », déroule Anis Rafa.
Cet écart s’explique par plusieurs aspects. D’abord, il n’y a eu aucune avancée salariale chez Keolis pendant la pandémie. Pendant deux années de suite, au nom d’une situation fragilisant la santé économique du groupe selon la direction, « on a eu 0 % d’augmentation. Pour le bien de la société, on a accepté, on a touché la prime Macron et c’est tout », retrace Anis Rafa.
Or, « le bénéfice de la société n’a cessé d’augmenter, même en plein covid », dénonce aujourd’hui l’élu FO. Les salariés ont eu l’impression de s’être fait « baladés ». Les NAO de 2022 chez Keolis ont abouti à 2,2 % d’augmentation. Insuffisant, face à l’inflation galopante, ont jugé les syndicats porteurs de la grève à la rentrée.
En outre, ces dernières années, des réorganisations de service ont pesé sur les salaires. Par exemple, il existe pour les conducteurs ce que l’on appelle la coupure indemnisée. Il s’agit d’une pause de 20 minutes rémunérée au tarif plein dès lors qu’un conducteur arrive à un terminus. Aujourd’hui, Keolis a optimisé le maximum de coupures indemnisées. « Sur 1h50 de coupures indemnisées par jour, ils ont réorganisé les trajets et les horaires de façon à ce qu’une heure soit supprimée », explique Anis Rafa. De quoi abaisser les revenus mensuels, sans même avoir besoin de toucher aux accords d’entreprise.
« On change la forme, pour au fond dégrader les conditions salariales »
Ces changements s’inscrivent dans la perspective des appels d’offre en cours sur les différents lots de l’Essonne, dans une politique menée par la région, via Ile-de-France Mobilités. Pour les remporter, chaque entreprise a tout intérêt à diminuer son coût salarial.
Cela créé des écarts amenés à durer : « imaginons que Keolis gagne un appel d’offres et que des gens de Transdev se retrouvent à travailler à nos côtés, ils seraient payés 15 euros de l’heure et nous 13,40 », expose Anis Rafa. « On arrive avec son historique dans le cadre des fusions. Donc il peut y avoir des différences entre salariés », explique Christophe Le Comte, secrétaire de l’UD 91 FO.
Les situations des conducteurs de bus franciliens sont disparates, et les négociations se jouent dépôt par dépôt, alors qu’il n’y a que deux mastodontes en jeu : la SNCF et la RATP. Keolis est une filiale de la SNCF. Transdev est une filiale de la RATP. Avec le jeu des appels d’offres, « on a des dépôts Transdev qui passent aux mains de la RATP-CAP [ une filiale de la RATP officialisée en 2021, ndlr ]. Or, Transdev, c’est la RATP ! Donc via ce montage, le même groupe change de nom, mais c’est bidon… On change la forme, pour au fond dégrader les conditions salariales », décrypte Christophe Le Comte.
Crédit photo : FO UD 91.
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