Montreuil

A Montreuil, des anarchistes révolutionnent la boulangerie


 

Dans l’est parisien, des militants d’extrême gauche ont crée une Scop pour mettre en pratique leurs idées. Leur objectif : produire du pain de qualité, accessible pour tous, en organisant la solidarité.

 

« La conquête du pain », boulangerie bio et autogérée. Un nom surprenant. En fait, un clin d’œil aux idées anarchistes de ses créateurs. Une référence au titre d’un livre d’un vieux barbu du XIXe siècle, Pierre Kropotkine, penseur d’un socialisme anti-autoritaire. Dans cette boulangerie, installée à Montreuil depuis 2010, un groupe de militants fait de la politique en produisant du pain. Passé la porte d’entrée, les portraits de Marx, Bakounine et Louise Michel trônent au-dessus d’un petit coin lecture. Un rayonnage de livres, des journaux et des tracts entourent un canapé. Pas de doute, ce n’est pas une boulangerie comme les autres.

« Du pain bio pour tous » pourrait être son slogan publicitaire. Les activistes de « La conquête du pain » veulent produire pour les besoins de la population. Une façon de répondre concrètement aux difficultés sociales grandissantes, en pleine période de crise économique. Pour Pierre, boulanger de métier, « le pain a une valeur symbolique, sociale ». C’est la base. A contre-pied de la plupart des boulangeries alternatives ne produisant que des pains de 500 grammes ou un kilo, ils s’adaptent à leur public. « Dans les cités, ils ne mangent pas de pain au levain, ils mangent des baguettes. ». Leur choix est assumé. « On a voulu faire tout ce que l’on trouve dans une boulangerie », pour fournir de la qualité aux classes populaires.

Dans ce quartier où se mêlent cités et zones pavillonnaires, les produits ont deux tarifs affichés. Un prix de crise côtoie le prix normal. La baguette passe de un à 0,75€. Il permet, même avec peu d’argent, l’accès à des produits bio. Autre dispositif anti-crise : « La récup ». Tous les soirs, les invendus sont donnés à celles et ceux dont les revenus ne permettent plus de payer. La boulangerie propose aussi la solidarité entre ses clients. La « baguette suspendue » est là pour cela. Son principe consiste à acheter une baguette supplémentaire, laissée à disposition, pour une personne sans ressources. Les marges bénéficiaires issues de la vente aux restaurants, aux biocoops et aux Amap, compensent cette solidarité. La boulangerie est viable économiquement.

Cela lui permet d’être solidaire de projets et de luttes, hors de ses mûrs. Depuis sa création, son pain a été livré gratuitement à des réfugiés, à des salariés en grève ou lors d’événements militants. L’implication sociale de « La conquête du pain » est d’abord tournée vers le quartier où elle produit. Pierre explique son « envie de contacts avec des gens non-militants » pour sortir d’une forme d’entre-soi. La boulangerie s’est insérée dans la vie locale en participant aux fêtes de quartiers et tissant des liens avec les nombreuses associations de Montreuil. Le lien s’est consolidé en formant des jeunes du quartier comme stagiaires ou apprentis.

 

« Nous ne lâcherons pas l’affaire »

 

L’aventure politico-sociale de Montreuil a pourtant failli prendre fin en 2015. Une crise interne secoue l’entreprise autogérée. Des coopérateurs de la Scop souhaitent se retirer, pour se tourner vers d’autres projets professionnels, créant le chaos. Les conflits et des départs en nombre conduisent à la décision de vendre, malgré quelques recrutements. Mais, les clients se mobilisent pour appeler la dizaine de salariés de « La conquête du pain » à ne pas fermer boutique. Les habitants du quartier lancent une pétition et obtiennent gain de cause.

Fin 2016, la boulangerie entame un passage de relais en interne avec une nouvelle équipe, issue principalement de ses rangs. Elle publie un tract, à destination des habitants, dans lequel elle conclue : « La boulangerie n’est plus à vendre, nous ne lâcherons pas l’affaire. » Arrivé en 2012, Rachid, la tête pleine de nouvelles idées, rêve d’ouvrir un nouveau fournil, plus spacieux, au cœur de la cité. Il veut fournir les établissements scolaires, faire des initiations à la boulangerie, créer des ateliers culinaires et impliquer la population du quartier dans le développement des activités. « Pour les gens du quartier, on est des barjots » s’amuse-t-il, notant pourtant un fort attachement à la boutique. Une souscription financière est ouverte pour investir dans la modernisation des machines en attendant la mise en œuvre de financements collaboratifs. Il y a encore du pain sur la planche !