Coop des masques

Coop des masques Bretonne : reprendre un peu de pouvoir sur le capitalisme

Mars 2020, la France recherche désespérément des masques. En Bretagne, une initiative pour en produire localement, sous le statut de coopérative, s’immisce dans le débat public en avril, se concrétise en juin et se matérialise par un démarrage de la production en décembre 2020. Six mois plus tard, une délégation du collectif « Plus jamais ça » est venue soutenir et interroger l’expérience.

 

« Pour reprendre la main sur les choix productifs et l’organisation du travail, il faut multiplier les expériences de gestion directe des entreprises par les travailleur·euse·s et les collectivités (publiques ou associatives) concernées par leur activité » expliquait le collectif « Plus jamais ça », avant son déplacement ce jeudi à Grâces, près de Guingamp, dans les Côtes-d’Armor.

De la parole aux actes : une délégation du collectif, partie en train de Paris le matin même, a visité l’usine de la « Coop des masques, bretonne et solidaire », une de ces expériences dont la production a démarrée en fin d’année dernière. Fin mars 2020, en pleine pénurie de masques chirurgicaux et FFP2, Solidaires Côtes-d’Armor proposait la création d’une coopérative ou d’un EPIC sur les décombres de l’usine de masque de Plaintel en Bretagne, dont le propriétaire, le groupe Honeywell, avait mis la clef sous la porte en 2018. Et délocalisé les machines à l’étranger. Une bonne idée, au bon moment, qui avait rencontré un fort écho et avait fini par se concrétiser à l’issue d’une longue bataille.

La visite de ce jeudi a donc été l’occasion pour le collectif « Plus jamais ça » d’aller à la rencontre des salariés et des représentants des coopérants, un an après la victoire. S’il s’agit pour eux de montrer en exemple la création d’une coopérative (SCIC) associant salariés, clients, collectivités territoriales et citoyens, pour fabriquer localement une production socialement utile, ici 45 millions de masques chirurgicaux et FFP2 par an, la curiosité n’est pas absente des motivations du déplacement.

« Nous sommes intéressés de voir comment cela se passe concrètement, y compris d’en regarder les limites », expliquait Simon Duteil, un des porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, avant la visite. Tout en rappelant que son syndicat est « pour la fin du salariat », il n’en fait pas un horizon indépassable et souhaite valoriser une expérience « bien meilleure que des multinationales qui viennent et partent » à leur guise, en laissant des salariés sur le carreau, et sans tenir compte des besoins des populations. Pour une fois, « on ne se bat pas que contre des boites qui ferment et licencient », se satisfaisait le syndicaliste.

 

Reprendre du pouvoir

 

Pour autant, cette visite de l’usine de Grâces est également l’occasion pour les membres du collectif qui portent « l’enjeu démocratique de la place des travailleuses et travailleurs dans les entreprises » de regarder de plus près si la réalité est en phase avec la promesse d’une reprise en main de la production par les salariés. Et sur ce plan, la délégation a été plutôt enthousiaste.

« Les salariés nous ont tous dit que ce n’est pas comme travailler ailleurs. Ils voient ce qu’ils font, pourquoi ils le font et pour qui ils travaillent », rapporte Marie Buisson de la CGT qui insiste sur la question du sens du travail pour la vingtaine de personnes qui ont commencé à produire. Une appréciation partagée par Simon Duteil de Solidaires. « Ça respire le bien être pour l’instant », avance-t-il, relatant la parole des salariés interrogés : « c’est vraiment mieux que partout où on a travaillé jusqu’à présent ». Et ce malgré que le collège salarié de la SCIC ne pèse que pour 25 % des votes dans les décisions de l’entreprise.

 

D’autres batailles à mener pour la Coop des masques

 

Cependant, des difficultés persistent pour travailler avec un autre modèle économique, en produisant localement et en fonction de besoins. Première d’entre elles : « beaucoup de productions ont déjà été délocalisées. Ils n’arrivent donc pas à se fournir en matières premières en totalité comme ils le voudraient et sont obligés de travailler avec des importations », explique Marie Buisson. Mais ce n’est pas le seul problème. La question du prix des masques, et donc des possibilités d’écouler la production, pèse sur le développement de la coopérative, qui devrait pourtant recruter une douzaine de nouveaux salariés au mois de juillet.

Ici, les pouvoirs publics sont directement en cause, alors qu’en avril 2020, Emmanuel Macron avait assuré que l’État passerait commande si le projet de réouverture d’une usine de masques voyait le jour. Mais l’attribution des marchés publics reste principalement déterminée par les prix proposés par les entreprises, regrette Marie Buisson. « Les collectivités locales ne prennent pas en compte les coûts induits. Ils oublient que des masques produits localement c’est aussi de l’emploi local, des ressources locales exploitées, c’est un cercle vertueux. Si on calcule l’ensemble des coûts, les masques un peu plus chers sont plus rentables », argumente la syndicaliste CGT.

Une raison pour laquelle le collectif « Plus jamais ça » revendique « une véritable politique publique nationale et européenne de soutien aux initiatives de ce type, démocratiques, écologiques et solidaires ».

 

Photo : Solidaires