Sept militants basques sont convoqués au tribunal le 28 janvier 2025 pour aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière. Le couperet est tombé sept mois après la course traditionnelle du pays basque, la Korrika, au cours de laquelle une douzaine d’organisations avaient coordonné le passage de personnes exilées parmi les coureurs.
Une action de désobéissance civile assumée et joyeuse : tel était le mot d’ordre régnant cette année sur la Korrika, cette course traditionnelle en faveur de la langue basque qui a relié, en mars, les villes d’Irun (côté espagnol) et de Bayonne (côté français). Une vingtaine d’organisations a revendiqué le passage de la frontière par 36 exilés, ce jour-là, parmi les coureurs. Une vidéo rendue publique retrace même le déroulé de cette action.
Le couperet tombe sept mois plus tard. Mercredi 2 octobre au matin, sept personnes ont été convoquées au commissariat de Bayonne. Elles en sont ressorties l’après-midi, après une garde-à-vue de plusieurs heures… Et une convocation au tribunal de Bayonne le 28 janvier 2025 dans le cadre d’une enquête pour « aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière », en « bande organisée ». Ces militants sont issus du syndicat LAB, de la Bidasoa Etorkinekin, fédération d’associations d’aide aux migrants ; mais aussi des partis politiques EH Bai (gauche basque) et La France Insoumise.
« Toutes les questions que l’on nous a posées, pour le moment, ont porté sur cette vidéo rendue publique », raconte Eñaut Aramendi, l’un des sept inculpés, coordinateur du syndicat LAB. Près de 80 organisations ont apporté leur soutien aux sept inculpés, et organisé une manifestation le 30 septembre avant le rendez-vous au commissariat. « Ce ne sont pas sept personnes qu’on va juger, mais sept militants d’une vingtaine de structures et donc, à travers eux, ce sont des milliers de personnes – adhérents, militants de ces structures – qui seront incriminées », souligne Eñaut Aramendi.
Car ici, dans le Pays basque, « nos militants ne se cachent pas d’aider les migrants. Ni les nôtres, ni ceux d’autres organisations. Quand on voit des personnes perdues sur les bords de route, on est beaucoup à les amener au centre Pausa », un centre d’accueil d’urgence pour exilés dans le centre de Bayonne, explique Amaia Fontang, porte-parole de la fédération d’associations Etorkinekin.
« Moi, je n’ai vu que des gens courir »
L’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers constituent bien un délit dans la loi française, selon le CESEDA (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Mais s’il n’y a pas de « contrepartie directe ou indirecte » ou que l’aide est apportée « dans un but exclusivement humanitaire », aucune poursuite ne peut être engagée. C’était tout l’objet du débat public autour du « délit de solidarité » ouvert en France en 2017 par l’agriculteur solidaire des exilés Cédric Herrou.
« Moi, ce jour-là, je n’ai vu que des gens qui couraient ensemble. Juste des gens courir ! », insiste Eñaut Aramendi. « Mais le militant solidaire qui apporte son aide à une personne vulnérable, d’où qu’elle vienne, où qu’elle aille, qui qu’elle soit, ça a l’air de gêner l’État, le parquet, la préfecture… », dénonce-t-il.
Dans leur communiqué du 28 mars revendiquant l’action, la vingtaine d’organisations avait épinglé « la politique migratoire répressive de l’Europe forteresse qui fragilise les exilé.e.s » et qui les « pousse vers de nombreux réseaux mafieux d’exploitation et de traite d’êtres humains ». Les organisations y exigeaient « l’ouverture définitive des frontières et notamment l’ouverture de tous les ponts comme celui-ci, entre Irun et Hendaye, afin de garantir une libre circulation pour toutes et tous ».
Ouvrir le débat public contre la criminalisation de l’aide aux migrants dans le Pays basque
Au niveau du pont Santiago, qui marque le passage de la frontière administrative, « nous dénonçons depuis des années des contrôles au faciès. Ce sont des délits. Mais ces délits n’ont l’air de choquer personne. Il y a une justice à deux vitesses », observe Eñaut Aramendi.
Aujourd’hui, ces contrôles de police au faciès se sont déplacés un peu plus loin dans la ville, aux arrêts de bus ou sur le chemin vers le centre d’accueil d’urgence Pausa. « On doit s’interroger, en tant que société : est-ce que l’on est d’accord avec ce que l’on vit et que l’on observe au quotidien ? Si c’est au tribunal de Bayonne qu’il faut aller pour porter ces problématiques dans le débat public, et bien, nous irons ».
L’annonce de ce procès intervient, suite à la nomination de Bruno Retailleau à l’Intérieur, « dans un contexte politique très inquiétant pour tous les défenseurs des droits fondamentaux des migrants. La politique d’extrême-droite menée par le gouvernement sur la question migratoire nous inquiète. Ces convocations entrent tout à fait dans cette logique-là », estime Amaia Fontang.
Pour les militants solidaires du pays basque, comme ceux d’autres zones frontalières, « ce n’est que le début des procédures malheureusement », croit la porte-parole de la fédération Etorkinekin. « Mais on sera plus que jamais soudés et solidaires des migrantes et migrants ».
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