Habituellement organisée en octobre, l’Existransinter, la manifestation annuelle pour les droits des personnes trans et intersexes aura lieu ce samedi 14 mai à Paris au départ de la place de l’Opéra. Face à la précarité croissante et au contexte réactionnaire, les organisateurs insistent sur la dimension vitale de leurs revendications. Le mot d’ordre de cette année : on veut l’autonomie, pas la survie.
Organisée depuis 1997 par le collectif du même nom l’Existrans, renommée Existransinter depuis 2019, se déroulait jusqu’à présent le 3e week-end d’octobre. La manifestation porte les revendications et défend les droits des personnes trans, c’est-à-dire celles dont l’identité de genre vécue ne correspond pas à celle assignée, ainsi que des personnes intersexes, dont les caractères sexuels (génitaux, hormonaux, gonadiques ou chromosomiques) ne correspondent pas aux définitions binaires des corps masculins ou féminins.
C’est, avec le Jour du Souvenir Trans, journée internationale le 20 novembre en mémoire des personnes assassinées par haine transphobe, la principale date de lutte trans et intersexe. Cette année, elle partira de la place de l’Opéra à 15h, avec à sa tête un cortège anti-raciste et en queue syndicats et partis.
Ce changement de date est politique. Son but : « se rapprocher du 17 mai, journée internationale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie (IDAHOT) », et de juin, le mois des Marches de Fiertés. Le collectif organisateur dénonce par ailleurs « l’invisibilisation » des luttes spécifiques des personnes trans est intersexes lors de ces marches. Mais ce changement de date a aussi été réfléchi comme s’inscrivant dans le calendrier électoral entre la présidentielle et les législatives, où les organisateurs s’attendaient à voir s’affronter des candidats menaçants leurs droits.
Réagir face à la réaction
La marche de cette année s’inscrit dans un contexte particulièrement hostile pour les personnes trans et intersexes. 600 militants LGBTI venus d’une centaine de pays ont dénoncé, lors d’une conférence internationale en Californie la semaine dernière, une vague d’hostilité mondiale à leur égard. « Un niveau très élevé de violence et de discrimination », auquel Julia Ehrt apporte des explications. Selon la directrice de l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexuées (ILGA World) ces dernières années ont été marquées par la résurgence de discours attaquant la dite « théorie du genre ». Pour la militante, ils visent à priver les LGBTQ « des droits humains qu’ils méritent » (AFP) et donnent lieu à des lois transphobes au Texas en Alabama ou encore en Floride.
En France, la candidate RN, qui représente un courant particulièrement hostile aux LGBTI, a fait un score historique de 41 % au second tour de la présidentielle. Mais le danger vient aussi de la majorité présidentielle. Le gouvernement Macron a compté parmi ses ministres plusieurs proches de la Manif pour Tous, ainsi que Jean-Michel Blanquer, à l’initiative d’un think tank voué à combattre le « wokisme ». Un combat que le docteur en sciences politiques Alex Mahoudeau décrit dans son récent ouvrage comme une « panique morale » participant de « l’offensive réactionnaire » à l’œuvre aujourd’hui en France comme aux États-Unis.
Un contexte difficile
Les associations se montrent également très critiques du bilan du premier quinquennat Macron. Notamment après le vote d’une loi bioéthique ne garantissant ni l’accès des personnes trans à leurs droits reproductifs (PMA, conservation des gamètes), ni l’interdiction des interventions médicales sur les enfants intersexes. Or cette pratique est qualifiée de « mutilation » par les militants et la France, qui la pratique, a déjà été mise en cause par diverses instituions nationales comme internationales, du Conseil d’État au Comité contre la torture de l’ONU.
Enfin, l’épidémie de COVID-19, ses conséquences économiques et sociales, ainsi que les mesures sanitaires prises pour y faire face ont aggravé nombre des problèmes qui les affectent les personnes trans et intersexes, comme les difficultés d’accès aux soins, la précarité, les violences intrafamiliales ou encore la possibilité d’obtenir des papiers correspondant à l’identité de genre.
Pour une autonomie matérielle, médicale et institutionnelle
Le mot d’ordre de cette édition de l’Existransinter est donc l’autonomie, face aux institutions étatique et médicale, mais aussi matérielle, face à la précarité.
Cette année encore, militantes et militants trans et intersexes revendiquent « la suppression de la mention dite de sexe » à l’état civil et sur l’ensemble des documents d’identité. Ou, à défaut, le changement de la mention dite « de sexe » à l’état civil libre et gratuit en mairie, sans évaluation juridique et ouvert aux mineurs. En effet comme le rappellent Arnaud Alessandrin et Karine Espineira dans leur enquête de référence Sociologie de la transphobie, « Ne pas avoir de papiers d’identité conformes à son genre revendiqué accroît évidemment les risques de situations de harcèlement, de discrimination et d’humiliation ».
Les co-organisateurs demandent aussi que soient déployés d’importants efforts de formation en direction de personnels administratifs et éducatifs, ainsi que des mesures concrètes de luttes contre les discriminations dans l’accès à l’éducation, la formation, l’emploi et aux aides sociales, qui conduisent à la marginalisation accrue des personnes trans et intersexes.
Pour accéder à l’autonomie sur le plan médical ils demandent une prise en charge par la Sécurité sociale des soins de transition, la formation de tous les personnels soignants et l’arrêt des interventions médicales non strictement nécessaires en l’absence du consentement éclairé des enfants intersexes. Mais aussi l’accès aux méthodes de PMA et de préservation de la fertilité déjà autorisées en France pour les personnes cisgenres (c’est-à-dire non trans). Ainsi que de véritables changements institutionnels, comme la « dépsychiatrisation », c’est-à-dire à la fin de la mainmise des psychiatres sur les parcours trans et de leur légitimation des mutilations intersexes .
Enfin, le collectif Existransinter porte aussi des revendications de régularisation des sans-papiers, de lutte contre le VIH et de défense des droits des malades et de dépénalisation du travail sexuel. La manifestation se veut accessible (traduction LSF, véhicules PMR,…) et le port du masque y sera obligatoire.
Après une édition 2020 annulée et une 2021 en distanciel, les militants trans et intersexes et leurs alliés retrouveront enfin les pavés parisiens samedi et feront de leur mieux pour se faire entendre de ceux qui décideront de leur quotidien pendant les cinq prochaines années.
Photo : CC Julie Cotinaud
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