Calais

Grève de la faim à Calais : « c’est le seul moyen qu’il nous reste »

Le décompte se poursuit : c’est le neuvième jour de grève de la faim à Calais, pour trois bénévoles soutenant les exilés. Par ce moyen de lutte radical, le trio met en lumière les violences exercées par la force publique sur ceux qui survivent là, le long du littoral. Leurs revendications sont simples, mais le contexte dans lequel s’inscrit cette lutte, plus que jamais difficile. 

 

Arrivés en février 2021 à Calais, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein comptaient repartir fin septembre. Mais depuis neuf jours, ces deux militants associatifs ont entamé une grève de la faim, en soutien aux personnes exilées. « On va donc rester encore un peu de temps… », glisse Anaïs, la voix calme. Philippe Demeestère, aumônier au Secours Catholique, septuagénaire, est à leurs côtés. Depuis lundi 11 octobre ces trois grévistes de la faim ne boivent que de l’eau salée et des tisanes. Jour et nuit, ils demeurent dans l’église Saint-Pierre de Calais — « au niveau de la chambre mortuaire » ; précise Ludovic : « c’est un peu ironique ».

Jusqu’ici, Anaïs et Ludovic animaient, au sein de l’association Shanti, des ateliers artistiques à destination des Calaisiens et des personnes exilées. Ils y ont mené des projets communs avec Philippe Demeestère, et d’autres citoyens de la commune. Une œuvre collective de gravure sur bois, en mémoire des exilés décédés durant leur traversée de la Manche, est née de ces rencontres. Mais entre-temps, le couple de trentenaires a changé ses plans, et opéré un basculement. D’abord, il y a eu le décès de Yasser, fin septembre. Ce jeune homme soudanais est mort percuté par un camion dans lequel il cherchait à monter. Le vendredi 8 octobre, au moins 200 personnes lui ont rendu hommage à Calais. Ce fut un déclic, pour Anaïs et Ludovic. « C’est une grève de la faim d’urgence, qui répond à une détresse réelle des personnes exilées », résume Ludovic.

Et puis, « il nous fallait faire face à l’État qui s’est radicalisé », ajoute Anaïs. Au cours des dernières semaines, les bénévoles ont constaté « le démantèlement d’un grand lieu de vie où se trouvaient 1000 personnes ; le fait que les distributions de nourriture ne peuvent plus se faire nulle part ; l’augmentation du nombre de gens à l’hôpital suite à des violences policières… », liste Anaïs. S’agissant des distributions de nourriture, un arrêté préfectoral les interdit dans plusieurs endroits de la ville, depuis septembre 2020. Il vient d’être prolongé pour la quatorzième fois. À chaque fois, la zone géographique concernée s’étend un peu plus. « Dès que l’on trouve un nouveau lieu, ils nous en empêchent », décrit Anaïs.

Quant aux violences policières, elles se sont intensifiées, assure la bénévole. La faute, selon elle, à un contexte politique national qui les débride. « On approche des élections présidentielles ; Zemmour est partout… Pour les responsables politiques, l’immigration est un sujet facile pour créer des clivages », regrette-t-elle. Le 7 octobre, un rapport de Human Rights Watch au titre éloquent, « Infliger la détresse », décrypte les stratégies de violence infligées aux exilés par les pouvoirs publics au nord de la France. L’ONG y écrit que la réponse aux besoins primaires est devenue « un combat quotidien».

Dans un tel contexte, la grève de la faim est aux yeux du trio « le seul moyen qu’il nous reste pour nous exprimer », estime Ludovic. « À Calais, on ne peut plus rien faire : les voies légales n’aboutissent jamais, les manifestations ne marchent pas… On voulait une action forte, et qui dure »

 

Une grève de la faim radicale, pour des revendications « faibles »

 

Au-delà des associatifs, « énormément de Calaisiens viennent nous soutenir, et cela fait chaud au cœur », assure Ludovic. Il y a ceux qui venaient aux divers ateliers proposés par l’association Shanti. Mais aussi des Calaisiens qui « viennent à l’église ; ou d’autres qu’aucune association n’avait jamais vus avant ». Certains leur assurent qu’ils n’avaient pas conscience que la situation était aussi critique pour les personnes migrantes. Quant aux exilés eux-mêmes, « beaucoup nous remercient ; d’autres se sentent coupables que l’on fasse cela pour eux… Mais généralement, les personnes sont contentes de voir qu’elles ne sont pas toutes seules » indique Ludovic.

Le trio parvient aussi à toucher l’opinion publique plus largement. La couverture médiatique de leur action, jusqu’à la presse nationale, est réussie. Sans doute parce qu’il y a « un rapport au corps, et à la violence que l’on fait à nos corps, qui interroge », songe Ludovic. De nombreux visiteurs se sont émus auprès des grévistes de leurs « revendications très faibles, par rapport au moyen de lutte », relate le jeune homme. Ce à quoi il répond : « je suis bien d’accord… On ne demande pas la fin des accords du Touquet, ou l’ouverture des frontières : on demande des choses qui ne devraient même pas se discuter… ».

Les grévistes ont choisi de se concentrer sur trois revendications faciles à concrétiser. D’abord, la suspension des expulsions quotidiennes durant la trêve hivernale. Ensuite, l’arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels, durant cette même période. En 2020, 1058 expulsions de lieux de vie informels ont eu lieu à Calais et à Grande-Synthe, recensait le rapport annuel de Human Rights Observers. Au cours de ces démantèlements, près de 5 000 tentes et bâches, et plus de 1150 sacs de couchage, ont été saisis par les forces de l’ordre. Ce matériel est régulièrement détruit, de même que les vêtements, téléphones portables, documents administratifs… Enfin, les grévistes exigent « l’ouverture d’un dialogue citoyen raisonné entre autorités publiques et associations non mandatées par l’État».

Pour l’heure, seule la sous-préfète s’est déplacée pour rencontrer les grévistes. Un premier pas bienvenu, selon eux. Mais qui n’augurent pas de suite positive. « Elle est venue dans l’esprit de négocier, en nous disant que ce que l’on demandait était à relativiser, et qu’il fallait trouver un terrain d’entente », raconte Ludovic. « Or pour nous, on ne peut pas négocier ces choses-là. Il s’agit juste de faire en sorte que les gens ne se retrouvent pas à dormir sous la pluie, à même le sol… »

Du fait de la simplicité de leurs revendications, Anaïs et Ludovic n’ont pas fixé de limites à leur grève de la faim. « C’est la première fois que nous faisons cela, et nous savons quelles peuvent en être les conséquences… Mais nos revendications sont tellement basses que je n’ose pas imaginer qu’à un moment, les choses ne bougent pas » insiste Ludovic. En attendant, tous deux assurent qu’ils vont bien. Du moins, mieux que ce qu’ils auraient imaginé il y a encore quinze jours. Leur fatigue est profonde ; et les réveils, très difficiles. Mais le trio peut encore se mouvoir, marcher, et s’exprimer avec détermination. Chaque matin et soir, deux équipes médicales viennent à l’église, afin de surveiller leur état de santé. 

 

Photo : Human Rights Observers