Après six mois de grève, les travailleurs sans-papiers de DPD, filiale de La Poste, ont été reçus au ministère du Travail aujourd’hui. Ils continuent d’exiger leur régularisation, après un rapport de l’inspection du travail accablant. Mais la préfecture traîne sur les dossiers, et leur employeur direct, Derichebourg, brouille la communication.
Les travailleurs du centre de tri DPD à Le Coudray-Montceaux (Essonne) se sont rendus, ce mardi, jusqu’au coeur de Paris, devant le ministère du Travail. Tous sont sans-papiers. 63 d’entre eux ont été embauchés par Derichebourg Interim au profit de DPD, filiale de La Poste, affirme un rapport de l’inspection du travail conclu en janvier. Vendredi, cela fera six mois que leur grève a commencé. Depuis le début, ils n’exigent qu’une chose : leur régularisation.
Grâce à la manifestation de ce jour, une délégation de six personnes a pu être reçue au ministère du Travail. Un geste positif, pour les représentants des DPD. « C’est le signe que l’on est bien dans un conflit collectif de travail. Donc, comme dans n’importe quelle grève, il faut discuter des revendications », appuie Eddy Talbot, de Sud PTT. Un directeur de cabinet adjoint de la ministre Elisabeth Borne a accueilli la délégation. « Nous lui avons expliqué la situation, en particulier ce qui se passe avec la préfecture de l’Essonne. Même si les préfectures relèvent de l’Intérieur, ça les regarde en matière de droit du travail », poursuit le syndicaliste.
La préfecture de l’Essonne tient « la clé de la résolution du conflit entre ses mains », expose Giorgio Stassi, de Sud Poste 91. C’est elle qui pourra faire aboutir les demandes de régularisation. Or, ces dernières semaines, les rebondissements se multiplient. Mi-février, la préfecture évoquait vingt dossiers sur lesquels une procédure de régularisation allait être lancée. Un chiffre alors insuffisant aux yeux des grévistes, puisque le rapport de l’inspection du travail mentionne 63 cas. Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là.
Quand l’employeur communique à la place de la préfecture
Le 28 février, la préfecture de l’Essonne ne parle déjà plus que de huit dossiers. Le 21 mars, à l’issue d’une manifestation, les représentants des grévistes sont à nouveau reçus en préfecture. « Ça a duré trente secondes », rapporte Giorgi Stassi. On leur indique alors que six dossiers vont être régularisés. « Ce n’était plus vingt, ce n’était plus huit. Pourquoi ? Pas d’explications », écrivent dans un communiqué commun Solidaires, Sud et le CTSPV (collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine).
La communication est chaotique. Surtout, elle prend une tournure étrange. C’est Derichebourg qui informe et donne les consignes sur l’avancée des dossiers… Et non plus la préfecture elle-même. Le lendemain de l’entrevue du 21 mars, les représentants des grévistes reçoivent un mail surprenant de la DRH de Derichebourg, consulté par Rapports de Force. Celle-ci convoque six grévistes à des entretiens le 11 avril… en préfecture.
« Cette façon de faire n’a rien à voir avec la réglementation en vigueur pour le dépôt des dossiers de régularisation. (…) Là, c’est Derichebourg qui décide de quelles personnes devront se rendre aux guichets de la préfecture sans même que ces dernières soient au courant des discussions entre Derichebourg et le Corps préfectoral », résument les représentants des grévistes.
« Notre lutte, ce n’est pas contre Derichebourg, c’est face à l’État qui couvre Derichebourg »
« C’est hallucinant, vous avez un rapport de l’inspection du travail qui pointe clairement les responsabilités. Or les seuls contacts que semble avoir la préfecture, c’est avec l’employeur, et pas les personnes exploitées », s’indigne le responsable syndical. « Notre lutte, ce n’est pas contre Derichebourg, c’est face à l’État qui couvre Derichebourg », complète Falikou Kourouma, travailleur gréviste du centre de tri DPD.
Parmi les six personnes convoquées, trois font partie des grévistes actuels. Les autres ont quitté depuis plusieurs mois le piquet de grève, et les contacts ont été perdus. À ce jour, assurent nos interlocuteurs, aucune n’a reçu de convocation officielle de la part de la préfecture. Personne n’a donc pris le risque de s’y rendre. Par crainte, notamment, de se voir notifier une OQTF (obligation de quitter le territoire français), précise Giorgio Stassi.
De son côté, la préfecture de l’Essonne nous assure : « les intéressés étaient effectivement convoqués hier mais ne se sont pas présentés. Sans en connaître la cause, nous allons néanmoins renvoyer des convocations ». Interrogée sur sa façon de déterminer le nombre de personnes à régulariser, elle répond : « en droit, le premier critère de prise en compte des demandes est le lieu de résidence déclaré, soit 7 pour l’Essonne à ce jour. Au-delà de cette éligibilité, une étude au cas par cas au titre de la régularisation par le travail sera effectuée ». Il ne serait donc plus question de six, mais de sept dossiers…
Sollicité également, Derichebourg Interim n’a pas donné suite à notre demande d’interview.
Le rapport de l’inspection du travail, « c’est ce qui nous donne un peu de force »
Aujourd’hui, les espoirs des grévistes reposent sur le rapport de l’inspection du travail de mi-janvier. Celui-ci établit la liste nominative de 63 personnes embauchées par Derichebourg. Parmi elles, 43 ont travaillé sous un nom d’emprunt, et ont droit à un certificat de concordance pour pouvoir être régularisées comme les autres. L’inspecteur du travail épingle aussi des atteintes au droit du travail, et a saisi le Procureur de la République de ces faits.
« Ce rapport de l’inspecteur, c’est une vérité qui est là. La preuve que l’on a pas menti », insiste Falikou Kourouma. « C’est ce qui nous motive, nous donne un peu de force ». Au fil des semaines de grève, son indignation a grandi. « Si l’Etat ne soutenait pas les patrons voyous, il devrait régulariser les 63 personnes. Or aujourd’hui ce n’est pas le cas », fustige-t-il.
En ne discutant, du moins en apparence, qu’avec Derichebourg, la préfecture de l’Essonne pose un autre problème. « Tout est fait pour concentrer la grève entre Derichebourg, nous et la préfecture. Or, il y a aussi DPD, et le groupe La Poste ! » rappelle Giorgi Stassi. De fait, Derichebourg n’est qu’une agence d’interim, qui a recruté les travailleurs pour le compte de DPD, filiale de La Poste.
Ce montage, basé sur la sous-traitance, est au coeur des enjeux. Comme chez les Chronopost d’Alfortville. « La préfecture protège ainsi le donneur d’ordre », estiment les représentants des grévistes. La Poste « sort du champ des discussions alors même que c’est elle qui a construit, pour le tri du colis, ce système de surexploitation de travailleurs sans-papiers en grande banlieue ».
La mairie restreint les actions des grévistes sans-papiers de DPD
Les grévistes avaient prévu une manifestation dans le centre-ville du Coudray-Montceaux, le 5 avril. Mais celle-ci n’a pas pu avoir lieu. Et pour cause : le 1er avril, un arrêté municipal a interdit temporairement toute mobilisation de leur part en ville. Aurélie Gros, maire LR du Coudray-Montceaux et vice-présidente de Grand Paris Sud, en est la signataire. Parmi les motifs, on peut lire : « la question des sans- papiers suscite un vif débat au sein de la société, exacerbé dans la période électorale en cours, le vote des citoyens coudraysiens pourrait en être influencé ».
Le 8 avril, les grévistes ont pu, malgré tout, se faire entendre. Une manifestation s’est tenue en direction du siège de la communauté d’agglomération. « On a eu au téléphone un membre du cabinet du président de la communauté d’agglomération. Ils doivent revenir vers nous cette semaine », indique Giorgio Stassi.
Cette semaine, les grévistes ont de nouveau déclaré la tenue de leur piquet. Le matin, de 10h à 13h, devant le centre de tri de DPD. L’après midi, de 13h à 17h, devant le bureau de poste en centre-ville.
Mais les obstacles recommencent. Dimanche 10 avril, à 20h10, soit « dix minutes après les résultats du premier tour » précise Giorgi Stassi, un nouvel arrêté tombe. Celui-ci interdit le piquet de grève du centre-ville pour la journée du lundi 11.
Les grévistes peinent à comprendre la posture de l’équipe municipale. Si le piquet de grève en centre-ville a été interdit, lundi, celui devant l’entreprise a été autorisé. La municipalité a parfois été à l’écoute, souvent répressive. Quoi qu’il en soit, ces nouveaux arrêtés tombent la veille pour le lendemain. Et restreignent, au jour le jour, la présence des grévistes. Dans ces délais, difficile d’entamer une procédure en référé. « Je pense que le but, c’est de compliquer tout recours », soupire Giorgio Stassi.
« On va tenir. Jusqu’à notre régularisation »
Falikou Kourouma, qui figure dans le rapport de l’inspection du travail, a exercé sous son vrai nom. « J’ai cotisé à mon nom », souligne-t-il. Comme les autres, pourtant, sa situation administrative le précarise au quotidien. « Aujourd’hui, c’est moi qui paie tous mes médicaments », souffle celui qui est atteint de diabète. La régularisation lui permettrait, entre autres, d’accéder au remboursement des soins.
Du fait de leur situation administrative et économique fragile, certains travailleurs se sont découragés. Six mois de grève, « c’est 6 mois sans travail, sans salaire », rappelle Falikou Kourouma. Or, il faut payer les loyers. Les transports aussi, ne serait-ce que pour tenir le piquet de grève. « Les syndicats nous ont aidé à payer nos pass navigo. Ce geste de solidarité nous a un peu encouragé », précise le gréviste. D’autres comptent aussi sur le soutien de leurs familles.
Reste qu’après six mois de lutte, pas question de lâcher prise. « On ne peut pas abandonner maintenant », résume simplement Falikou Kourouma. Il assure que ses collègues sont en grande majorité dans le même état d’esprit. « On est motivé à 100%. On va tenir. Jusqu’à notre régularisation. »
Photo : Solidaires 91
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