[Témoignage] Comment la continuité pédagogique favorise la collecte des données


 

Quelques jours après l’annonce du confinement, l’application Klassroom est téléchargée massivement par les parents d’élèves. Jusqu’alors cahier de texte dématérialisé, il devient un véritable outil de continuité pédagogique. Pourtant, la collecte des données personnelles des enfants permise par l’application interroge. Un parent d’élève nous livre son témoignage.

 

 

Ce matin, 11h43. C’est déjà le deuxième courriel que m’envoie l’institutrice de mon fils qui est en CP. C’est pourtant la période des vacances scolaires dans la zone C. Les enfants ne font pas classe, exceptés quelques exercices ça et là. La maîtresse communique quand même, par email, avec les parents durant cette période afin de donner quelques petits devoirs, des suggestions d’activités, des idées de gâteaux à préparer, des encouragements. Au milieu de tout ça, une invitation à s’inscrire sur l’application Klassroom. Par principe lorsque l’on me parle d’applications ou « d’appli », je suis réticent, je freine des quatre fers.

Bien disposé, je télécharge toutefois l’application sur mon téléphone portable. Visiblement l’intérêt de cette application est de pouvoir personnaliser à distance, les relations entre les élèves et les professeurs, de communiquer, d’échanger des informations, des leçons, des devoirs avec les parents. L’équivalent du cahier de liaison, ou de l’échange verbal avec l’enseignant, mais dématérialisé. C’est évidemment plus pratique pour les professeurs qui sinon doivent reconnaître les élèves au travers des adresses mail, parfois insolites, de leurs parents : piloupiloupilou81@gmail.com est-ce le père du petit Timothée ou de Léa, la première de la classe ?

En tant que parents, on comprend évidemment l’attrait d’un tel dispositif et qui plus est, l’application a l’air bien faite, simple d’utilisation et ludique. Cependant, au moment de s’enregistrer, on constate qu’il existe des conditions d’utilisation à valider. Obligatoirement. Le genre de choses que l’on coche systématiquement sans y regarder de trop près. Ensuite, on doit rentrer son numéro de téléphone et enfin cocher une case concernant les données sensibles. Comme j’ignorais ce que pouvaient être des données sensibles, j’y ai jeté un œil distrait. Il s’agit en fait, et selon les mots utilisés par l’application, des données ayant trait à : « l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l’affiliation syndicale, les données génétiques, les données biométriques, les données sur la santé, la vie ou l’orientation sexuelle ».

En 2020, voir cela écrit en toutes lettres dans l’univers numérique n’effarouche plus que les rescapés du siècle précédent. Mais l’idée qu’une application collecte et centralise ce type de données fait quand même froid dans le dos. J’ai donc regardé les conditions d’utilisation en détail.
Premier impératif l’utilisateur doit garantir la mise à disposition du logiciel « des informations personnelles exactes, sincères et véritables » à savoir les nom, prénom, adresse email et date de naissance de l’enfant. Pas l’âge de l’enfant mais bien sa date de naissance. Étrange. De manière facultative, « le Parent a également la possibilité de renseigner les passions et les loisirs de l’Élève, ce qu’il n’aime pas, ses points forts, ses éventuelles difficultés ». Le but visé étant d’offrir le meilleur niveau d’information possible à l’enseignant.

D’un côté, on vous incite à divulguer un certain nombre d’informations relatives à votre enfant et de l’autre on vous rappelle que ce n’est pas obligatoire. Une injonction contradictoire ? Pas vraiment. Juste une mise en conformité avec le RGPD, le Règlement général sur la protection des données, qui permet d’ailleurs à l’application de satisfaire aux exigences de l’Éducation nationale. Un argument de poids pour des parents pressés.

 

 

De même lorsqu’il s’agit des données « sensibles », l’application recommande de ne pas les transmettre. Tout simplement. Elle donne, pour cela, l’exemple suivant : « si un parent prévient le professeur via Klassroom que son enfant sera absent parce qu’il a de la fièvre ou parce qu’il y a une fête religieuse, il s’agit d’une donnée considérée comme « sensible ». » C’est donc uniquement parce que les utilisateurs risquent de communiquer des données dites sensibles que l’application leur demande l’autorisation de les collecter. A défaut d’autorisation, il est impossible d’installer l’application.

Toutes les données collectées et quelle que soit leur nature sont conservées jusqu’à deux ans après la dernière connexion de l’utilisateur. On se demande bien pourquoi puisque l’application met en avant qu’elle «  ne vend, ne loue ni ne transmet les données à aucun autre destinataire. » Sans doute pour optimiser le fonctionnement de l’application. On peut quand même s’interroger sur ce que veut dire l’expression « les données » puisque ce n’est pas défini avec précision. Dans l’univers de la vente des données personnelles, il est rare, en particulier en Europe, que les sites ou les applications se vantent de vendre les informations personnelles collectées auprès des utilisateurs. C’est pourquoi, la plupart du temps, des analyses plus fines de ces données sont effectuées. Ce sont ces dernières qui sont vendues à d’autres parties. Autrement dit, l’application n’a ni vendu, ni loué, ni transmis les données et par là même respecté l’engagement pris vis à vis des parents et du corps enseignant. En accord avec le RGPD et avec le conseil de juristes.

Peut-on être sûr que l’application utilise les données à d’autres fins? Bien évidemment non ! Mais c’est une possibilité qu’il convient de ne pas balayer d’un revers de manche surtout quand on sait que le géant Amazon héberge une partie des serveurs.

En janvier 2020, 40 000 classes avaient été créées et l’application revendiquait 400 000 utilisateurs. Fin mars, dans le cadre du confinement entamé 15 jours auparavant, on en recensait déjà 650 000. Un avant-goût de l’école de demain ?

Au final, je n’ai pas installé l’application.