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Asile : pourquoi réduire le délai d’examen d’une demande à six mois limite l’accès au droit d’asile

 

Le projet de loi « asile et immigration » arrive en débat en séance à l’Assemblée nationale le 16 avril. Le ministre de l’Intérieur souhaite réduire le temps d’étude d’une demande d’asile à 6 mois, appel inclus. Il est de 11 mois en moyenne aujourd’hui. Un temps jugé essentiel par les associations qui voient dans cette mesure une volonté d’écarter du droit d’asile le plus de migrants possible. Sophie Mazas, avocate spécialisée en droit des étrangers, répond à nos questions sur l’importance des délais pour formuler sa demande d’asile.

 

 

Rapports de force : Comment se déroule une procédure de demande d’asile ?

Sophie Mazas : Il faut d’abord aller sur la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile afin de prendre un rendez-vous en préfecture au guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA). Lors de ce rendez-vous, les empreintes du demandeur sont prises pour éventuellement lancer une procédure Dublin. Si ce n’est pas le cas, la préfecture enregistre la demande et donne le dossier à remplir de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ensuite, le demandeur passe devant l’Office français de l’intégration et de l’immigration pour évaluer s’il a besoin d’être hébergé. À partir du moment où le demandeur a reçu son dossier, il a 21 jours pour le compléter et le rendre. De là, si la personne passe en procédure accélérée, la convocation pour un rendez-vous à l’OFPRA ne prend que quelques semaines, comme l’appel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), en cas de refus. En procédure normale, ces délais peuvent prendre quelques mois.

 

Rapports de force : En quoi consiste ce dossier, puis le rendez-vous à l’OFPRA ?

Sophie Mazas : En plus des renseignements et des pièces administratives telles que des photos d’identité ou l’attestation de demande d’asile remise par la préfecture, il faut expliquer pourquoi on demande l’asile. C’est ce qu’on appelle le récit. La personne explique pourquoi elle a fui son pays et pourquoi elle demande l’asile. Si elle a des preuves, il faut les joindre.

 

Rapports de force : Pourquoi le délai avant la convocation à l’OFPRA est-il important ?

Sophie Mazas : Tout le travail consiste à utiliser le temps entre la saisine de l’OFPRA et la convocation pour étayer le récit. Il peut s’agir d’obtenir un rendez-vous avec le service de médecine légale pour faire constater les violences subies (morceau de balle dans le corps, cicatrices ou lésions, etc.). Pour les femmes victimes de violences, il faut du temps pour établir un rapport de confiance et entamer le récit. Pour les fillettes victimes d’excision par exemple, il faut prouver que la pratique existe dans la zone d’où elles arrivent, qu’elles font partie d’une ethnie ou d’un groupe social qui la pratique et que leurs parents ne peuvent pas les protéger. Il faut à la fois creuser et documenter le récit. Ce n’est pas toujours facile. Pour les homosexuels venant de pays où l’homosexualité est réprimée, il faut expliquer qu’en France ce n’est pas une pratique condamnée et qu’on peut aborder ces questions ouvertement, sans jugement moral. L’OFPRA va lui poser des questions très intrusives et intimes sur sa vie privée.

 

Rapports de force : L’accompagnement est-il essentiel ?

Sophie Mazas : Avant la convocation à l’OFPRA, les demandeurs d’asile voient rarement un avocat. En général, ce sont des travailleurs sociaux, dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), qui aident les gens à faire leur récit. Quand les personnes sont placées dans des structures d’hébergement d’urgence faute de place en CADA, le travailleur social n’est souvent pas là, et l’accompagnement n’est pas fait. Il y a plus d’hébergements qu’avant, ce qui est bien, mais le niveau du travail social baisse. Quand les services sont débordés, ce sont des bénévoles de la Cimade qui pallient parfois au manque. Il y a aussi des problèmes de langue. Si le demandeur d’asile n’est pas en CADA, il doit payer son interprète ou se débrouiller. Les interprètes ne sont pas toujours fiables. Quand je reçois une Nigériane qui est dans un réseau de prostitution et qui vient avec une femme de 40 ans ou un homme, c’est compliqué. Est-ce que l’information est bien retransmise ? L’accès à un vrai interprète n’a lieu que le jour de l’audience à l’OFPRA à Paris. C’est souvent après un rejet de leur demande par l’OFPRA, au moment de l’appel devant la CNDA, que les demandeurs d’asile sollicitent un avocat.

 

Rapports de force : La question de la preuve est-elle importante ?

Sophie Mazas : Il y a une suspicion généralisée où les magistrats instructeurs partent du principe que les gens mentent. Nous avons un gros travail de recherche, car selon le pays d’où l’on vient, on n’arrive pas avec un sac rempli de preuves. Par exemple pour un Kurde de Turquie qui a participé à la confrérie Gülen, il faut prouver que quelqu’un de proche a été arrêté et est en détention pour cette raison. Il faut récupérer des copies des courriers et enveloppes envoyés à la famille, des coupures de presse relatant l’arrestation, des fiches de paie s’il était salarié de la confrérie. Éventuellement, demander le jugement validé par la cour d’appel en Turquie qui le condamne. Mais comme c’est l’appareil d’État qui opprime, cela peut mettre les familles en danger et les avocats ne veulent plus le faire parce que 1200 d’entre eux sont poursuivis ou en détention. Il faut trouver un interlocuteur sur place pour se faire envoyer les documents et garder les enveloppes pour avoir une traçabilité. Enfin, il faut prouver que c’est un ami. Le délai sert à tout cela.

 

Rapports de force : Les recours devant la CNDA ne sont-ils pas vidés de leur substance dans le projet de loi ?

Sophie Mazas : Les délais pour faire appel doivent être réduits d’un mois à 15 jours et ne seront plus suspensifs de la décision de l’OFPRA. Pendant ces 15 jours, le demandeur d’asile doit prendre rendez-vous chez l’avocat. De notre côté, il faut recevoir la personne, éventuellement trouver un interprète, reprendre le compte rendu de l’audience de l’OFPRA et critiquer sadécision. Éventuellement, retravailler le récit et amener des éléments nouveaux. En réalité, en l’espace de deux ans, nous avons tout perdu : la collégialité de la décision de la CNDA et le caractère suspensif des recours.

 

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