En 2020, deux mois d’un confinement très strict avaient écrasé la circulation du Covid-19 à l’approche de l’été. Et ainsi permis aux Français de souffler pendant les vacances. Cette année, rien de tel ne se dessine. Au contraire, la volonté du président de la République de lever précocement les restrictions fait peser le risque d’un plateau haut ou d’une quatrième vague pour la période estivale.
Quelles sont les conditions qui permettraient d’envisager un répit lors des prochaines vacances d’été ? A minima, celle de voir les indicateurs épidémiologiques repasser au vert à l’approche de cette période. Comme après le 11 mai 2020, à l’issue de deux mois de confinement strict. Cela reviendrait à retrouver un taux d’incidence faible, nettement inférieur à 50 cas pour 100 000 habitants, synonyme de circulation virale modérée. A contrario, en considérant la contagiosité accrue du variant britannique, dominant aujourd’hui, une forte présence du virus au sein de la population implique un risque d’emballement rapide de l’épidémie. Et des hôpitaux à nouveau sous tension. Un R zéro significativement inférieur à 1 est également souhaitable pour limiter la rapidité de sa progression. En effet, dès qu’il est supérieur à ce chiffre, une personne infectée en contamine plus d’une. Et ainsi, l’épidémie repart à la hausse.
Évidemment, l’application stricte des gestes barrières, dont le port systématique du masque et de la distanciation sociale limitant le nombre de personnes rencontrées, pourrait être un autre critère permettant d’éviter une reprise épidémique. Mais outre la lassitude à les observer, ils riment mal avec pause estivale, déplacement sur son lieu de vacances, relâchement et sérénité. Des ingrédients pourtant indispensables pour recharger les batteries et regonfler le moral. Enfin, une vaccination de très large ampleur serait une autre condition permettant de placer la circulation du virus sous contrôle.
Les feux ne sont clairement pas au vert
Sommes-nous à l’aube de pouvoir remplir tout ou partie de ses critères ? Assurément, non ! Le chef de l’État en porte-t-il la responsabilité ? En grande partie, oui ! À titre d’élément de comparaison, le 28 mai 2020, deux semaines après la fin du premier confinement, le taux d’incidence était mesuré à 6,14 cas pour 100 000 habitants. Un niveau de circulation du virus très bas qui avait permis des vacances d’été presque normales, malgré une hausse progressive à partir de juillet. En effet, le taux d’incidence était multiplié par 6 en deux mois et demi pour remonter à 39,2 cas pour 100 000 habitants la semaine du 17 au 23 août 2020. Avec quelques pointes supérieures à 100 cas dans les Bouches-du-Rhône ou les Alpes-Maritimes. À cette époque, le seuil de vigilance était fixé à 10 cas et celui d’alerte à 50 cas.
Un an plus tard et trois semaines après l’annonce, par Emmanuel Macron, de nouvelles mesures de freinage de l’épidémie le 31 mars 2021, le taux d’incidence reste extrêmement élevé. Il était encore lundi 19 avril de 342,19 cas pour 100 000 habitants, après un pic à 413,3 le 1er avril. Et le nombre de nouveau cas par jour dépasse toujours le chiffre de 32 000, malgré une baisse de 18,6 % du nombre de dépistages la semaine dernière. Même si la croissance exponentielle de l’épidémie a été stoppée en ajoutant la fermeture des écoles, de certains commerces, et en limitant les déplacements de plus de 10 km, la décrue reste encore assez marginale. De même, le R zéro oscille autour de 1 (0,98 le 20 avril). La décrue devrait encore se poursuivre. Mais pour combien de temps ? Et jusqu’à quel point ?
Des restrictions qui ne cassent pas la courbe
Fermer le plus tard possible, le moins possible, et ouvrir au plus tôt. C’est le choix du chef de l’État, perceptible dès la seconde vague, à l’automne 2020, et clairement assumé depuis janvier, au moment où Emmanuel Macron rejette les préconisations du conseil scientifique, qui prévoyait une nouvelle vague liée au variant britannique mi-mars. Aujourd’hui, c’est encore la même doctrine qui préside.
Emmanuel Macron devrait s’adresser aux Français à la fin du mois d’avril, mais il a déjà annoncé la couleur par deux fois. D’abord le 6 avril, en expliquant à des collégiens, en visioconférence pour un cours en distanciel, que le calendrier de réouverture des écoles le 26 avril et des collèges et lycées le 3 mai ne dépendra pas des indicateurs sanitaires. Ensuite, dimanche 18 avril, sur la chaîne américaine CBS. Là, le chef de l’État a annoncé qu’il allait « progressivement lever les restrictions début mai » et s’est avancé en affirmant que les touristes américains pourront venir en France cet été grâce à la vaccination. Une annonce livrée en primeur à CBS et qui relève plus du vœu pieux que de la réalité. À moins qu’il n’évoquât la vaccination de l’autre côté de l’Atlantique.
Emmanuel Macron a réuni ce mercredi 21 avril un nouveau conseil de défense. Mais le calendrier de levée des restrictions est déjà sur les rails. Les écoles ouvriront à coup sûr dans cinq jours. Les collèges et lycées dans 12 jours. Douze millions d’élèves et un million d’enseignants sont concernés. De probables annonces sur un énième nouveau protocole dans l’Éducation nationale ne cacheront pas la récurrence d’une absence de moyens pour son application. En tout cas, ce sera une des mesures de freinage de l’épidémie qui disparaîtra. Par ailleurs, le scénario de la fin de la limitation sur tout le territoire des déplacements au-delà de 10 km ou 30 km tient la corde pour le 3 mai, aux dires de sources gouvernementales recueillies par BFM-TV ce mercredi matin. Et une seconde mesure de freinage qui saute dans 12 jours.
« A priori, toutes les raisons laissent à penser que cette dynamique de baisse ne nous permettra pas d’atteindre mi-mai les 10 000 cas par jour, comme c’était à la sortie de la seconde vague », expliquait hier à Libération Renaud Piarroux, épidémiologiste et chef du service de parasitologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Et à fortiori la barre des moins de 5000 cas par jour, fixée initialement par Emmanuel Macron, mais jamais atteinte, pour le second déconfinement en fin d’année dernière. Avec les conséquences que l’on connaît : un « plateau haut » de contamination, d’hospitalisation et de décès, laissant peu de marge de manœuvre.
Mais tant pis pour l’exécutif qui ne semble guère intéressé par une stratégie à faible circulation virale. Malgré l’absence pour le moment de décrue significative, en dépit de l’inconnue que représente l’ouverture des classes et la fin des limites de déplacement, l’étape suivante est déjà sur les rails. Avec une date avancée, le 17 mai, pour une réouverture, sous condition de jauge, des commerces, des lieux de culture et même des terrasses.
Une vaccination insuffisante pour passer un été tranquille
Ainsi, d’ici trois semaines, les mesures de freinage de l’épidémie seront inférieures à ce qu’elles étaient avant le 31 mars. Et ce, sans que le nombre des contaminations par jour soit redescendu à un niveau permettant d’envisager une maîtrise quelque peu durable des flambées de Covid-19. Et sans que la situation dans les hôpitaux, dont de nombreuses opérations sont toujours déprogrammées, ne se soit vraiment améliorée. Ce qui hypothèque la stratégie avancée par Emmanuel Macron le 6 avril lors de sa visioconférence avec des collégiens : « prendre le virus en tenaille entre les mesures de freinage et la vaccination ».
Le gouvernement a beau communiquer et mettre en avant les progrès de sa campagne vaccinale, cette dernière sera sans grands effets avant plusieurs mois pour réduire la propagation de l’épidémie. À ce jour, seuls 4,8 millions de Français sont vaccinés avec deux doses de vaccin. Soit un peu plus de 7 % de la population. Par ailleurs, près de 13 millions ont reçu au moins une dose. Soit 19 % des Français. Le nombre de personnes vaccinées devrait passer à 20 millions à la mi-mai, s’il n’y a aucun couac. Ce qui pourrait représenter 29 % de la population et 38 % des adultes. Très loin de l’immunité collective estimée par l’Institut Pasteur autour de 90 % de la population adulte et 70 % de la totalité de la population totalement vaccinée.
À ce jour, seul Israël s’en approche en ayant injecté deux doses à plus de la moitié de sa population et une dose à 80 % de sa population adulte. Ce qui lui évite à ce jour un rebond de l’épidémie depuis la fin de son confinement. Les impacts de la vaccination sur la circulation du virus sont moins notables dans les quatre autres pays ayant le plus vacciné au monde : la Grande-Bretagne, le Chili, les États-Unis et Bahreïn. Le nombre de cas s’est certes écroulé en Angleterre, mais à cause de longs mois d’un confinement strict. Et pour leur déconfinement récent, ils ont attendu d’avoir près de 50 % des Britanniques ayant reçu au moins une dose de vaccin.
La situation au Bahreïn n’est guère brillante, bien que 37 % de sa population ait déjà reçu une dose. Celle du Chili (40 %), non plus. Le pays a dû se reconfiner le 27 mars, après avoir réduit ses restrictions en février. Quant aux États-Unis, malgré l’injection d’au moins une dose à plus de 50 % des plus de 18 ans (32,5 % ont reçu deux doses), le nombre de contaminations par jour repart à la hausse (+8 % ces deux dernières semaines), à la faveur d’un relâchement de la vigilance.
Un été sous le signe du Covid ?
Un relâchement qui guette aussi la France, avec une parole et des actes politiques qui tendent à l’optimisme, voire à l’aveuglement. Sans même que le nombre de personnes vaccinées en France n’approche celui des États-Unis aujourd’hui. Un niveau qui pourrait être atteint au mieux vers la mi-juin. Selon les projections optimistes du gouvernement, 30 millions de personnes devraient avoir été alors vaccinées. Et l’exécutif avance que tous les Français de plus de 18 ans qui le souhaitent seront vaccinés fin août. Au mieux, les prémices d’une immunité collective. Soit de toute façon après les vacances d’été.
Mais en attendant, avec la levée imminente des mesures de freinage, le risque est élevé d’être confronté à une quatrième vague ou de subir un « plateau haut » cet été. Même si une forte vaccination des plus de 50 ans pourrait en limiter en partie l’effet. Cependant la faute reste, contrairement à l’an dernier, de ne pas avoir écrasé la courbe des contaminations ce printemps. Un goût de déjà vu, comme à la fin de l’année 2020. Quitte à gâcher toute possibilité d’une politique à faible circulation virale. Et de lui préférer la formule trompeuse de « Vivre avec le Covid », même si, pour plus de 100 000 personnes en France, elle s’est apparentée en fait à mourir à cause du Covid.
Et encore, c’est sans compter sur de toujours possibles déconvenues liées à un variant. Qu’il soit brésilien, indien, ou à venir. Un risque non négligeable, au rythme auquel l’épidémie continue de se propager à travers le monde, faute de vaccins en nombre suffisant.
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