Erreur de Pôle emploi en votre défaveur : garder des nerfs d’acier


 

C’est une histoire invraisemblable, comme Pôle emploi en produit parfois. Celle d’un trop-perçu réclamé avec force à un demandeur d’emploi…qui en réalité ne devait rien. C’est l’histoire de son combat acharné face à l’institution. Une bataille qui en dit long sur la difficulté à prouver son intégrité, alors que les droits des chômeurs vont encore être diminués par la réforme de l’assurance chômage, le 1er novembre prochain.

 

Paul* a gagné son combat mais ne s’estime pas heureux pour autant. Il reste sidéré par la violence avec laquelle « le rouleau compresseur Pôle emploi » l’a écrasé. « On a remis en cause mon honnêteté et mes droits. C’est insupportable » raconte-t-il, encore secoué par ce qu’il a vécu tout récemment. « Pendant deux mois, le directeur de mon agence et le service des fraudes se sont acharnés sur moi alors que je leur apportais des preuves de ma bonne foi. J’étais dans une impasse. »

L’histoire de cet improbable trop-perçu commence par un drame, en 2015. Paul perd son frère, tué dans les attentats de novembre à Paris. « Cet accident violent de vie a tout bouleversé » confie-t-il pudiquement. « J’ai tout envoyé balader. J’ai décidé de mettre un terme à mon auto-entreprise, ouverte en juillet 2013. Ça n’avait pas marché. J’avais d’ailleurs repris une activité salariée au milieu de l’année 2014. » Depuis, la société était une coquille vide que Paul voulait voir disparaître pour de bon. « A la chambre de commerce et d’industrie (CCI) mon interlocutrice m’a gentiment proposé une fermeture administrative anticipée. Pour me faciliter la tâche. En clair : faire comme si l’entreprise avait cessé d’exister le jour de sa création. Ça m’allait bien. Je voulais faire table rase du passé. » Paul ne le savait pas encore, mais un redoutable engrenage venait de s’actionner.

 

Malgré les preuves, Pôle emploi s’entête

 

Trois ans et demi plus tard, au printemps 2019, Paul refait surface après une période difficile. Il décide de reprendre sa vie en main. « Je cherche des béquilles pour me relever et mes béquilles financières, ce sont des droits au chômage que j’ai obtenus en travaillant. » C’est là que le couperet tombe. Quand il se réinscrit à Pôle emploi, on lui notifie par courrier un trop-perçu de 9246€. Motif « vous avez reçu un paiement qui ne vous était pas dû ». Paniqué, Paul se renseigne et découvre l’origine de cette prétendue dette. En 2013 puis début 2014, il avait perçu, au total, plus de 9000€ d’ARCE, aide à la reprise ou à la création d’entreprise. L’aide remplace les classiques allocations chômage. Elle est versée en deux fois et couvre une large période. Problème : selon le document de la CCI, l’entreprise n’a jamais existé. D’où le raisonnement de Pôle emploi qui considère que l’allocation a été versée à tort. Toute forme de logique s’arrête là.

« S’ils avaient pris la peine de regarder mon dossier, ils auraient eu des indices » détaille Paul. « Pour percevoir le deuxième versement de l’ARCE, j’avais fourni une attestation de la chambre de commerce…six mois après l’ouverture de l’entreprise. Ça prouvait bien qu’elle n’avait pas immédiatement été fermée ! » Paul engage un recours gracieux et fournit des documents du RSI (régime social des indépendants) datés de 2014. De quoi démontrer que l’entreprise a existé. Et pourtant…Pôle emploi s’entête. Le 22 mai, son recours est rejeté. Pôle emploi s’en tient aux premiers arguments et maintient : « vous avez fourni un document de la CCI stipulant que votre activité avait cessé le jour de sa création ».

Atterré par l’aveuglement de l’organisme, Paul se tourne vers la CCI. Coup de chance, il retrouve son interlocutrice de 2015. « Elle était vraiment embêtée d’être à l’origine de mes problèmes avec Pôle emploi. Elle a fait le nécessaire pour que tout s’arrange, en éditant un nouveau certificat avec la bonne date de cessation d’activité et en demandant l’annulation du précédent**.» Le 24 mai, Paul transmet ce document au directeur de son agence. Il est convaincu que cette fois, le cauchemar va s’arrêter.

 

« Je suis horriblement fatigué, je ne vis plus »

 

La situation, au contraire, empire. Le 6 juin, il reçoit une menaçante « mise en demeure avant poursuites en justice ». Il a désormais un mois pour payer, faute de quoi Pôle emploi émettra une contrainte. « Ils faisaient semblant de ne pas comprendre » commente Paul qui tente une dernière médiation avec le Défenseur local des droits. En vain. La mise en demeure plane au-dessus de sa tête. Et le temps passe. L’échéance se rapproche. Trois jours avant l’ultimatum, Paul envoie un e-mail inquiétant à Rose-Marie Pechallat, de l’association Recours radiation. Ils sont en contact depuis mi-juin. Elle essaie tant bien que mal de l’aider. « Je suis horriblement fatigué. Je ne vis plus, je ne dors plus. Je vais entamer une grève de la faim. » Il écrit aussi au Médiateur régional de Pôle emploi. Ce dernier lui propose un rendez-vous… la semaine suivante.

Las, Paul s’installe devant son agence Pôle emploi, muni d’une pancarte : « Grève de la faim, pour ne plus avaler de couleuvres ». Nous sommes le 5 juillet 2019. Il est 9h du matin. A 9h50, Rose-Marie Pechallat écrit à son tour au Médiateur pour lui dire l’urgence de la situation. En parallèle, voyant Paul assis devant ses locaux, le directeur de l’agence appelle d’abord… la police ! « Finalement, je reste à condition de ne pas causer de troubles » se souvient Paul. « Peu de temps après, un directeur territorial arrive. On me fait entrer et vers 11h, on m’annonce que le trop-perçu est annulé. ». Dans la foulée, un courrier automatique et laconique est édité : « A ce jour, le solde de votre dette s’élève à 0,00 euros ».

C’est terminé. En moins d’une matinée, tout est réglé. « Sans aucune explication » tempête Paul. « Le plus incroyable, c’est qu’ils ont fait le vide dans mon dossier. Pour solder leur soit disant dette, ils font comme si je n’avais jamais touché l’ARCE ! Résultat : ils me rendent mes anciens droits. Ceux que j’ai pourtant utilisés en percevant cette aide ! » Paul a aujourd’hui l’impression d’être un pantin, que l’institution peut manipuler à sa guise. « C’est comme s’ils me faisaient une gigantesque fleur. Prends les droits et tais toi ! Si j’étais dénué de morale, je regarderais ailleurs. Ça me dépasse totalement » s’énerve- t-il. Paul veut comprendre comment la machine a pu s’emballer à ce point. Il veut qu’on lui dise pourquoi Pôle emploi s’est acharné. « Et des excuses, aussi. Ça serait bien » finit-il par concéder.

Paul a gagné son combat mais ne s’estime pas heureux pour autant. « Il a fallu que je menace d’attenter à ma santé et ma vie pour que l’on m’écoute. Ce n’est pas normal d’en arriver là. » Cette expérience lui a appris « qu’il faut toujours se battre. A condition d’en avoir la force. ». Il pense à tous ceux qui se font « broyer ». Il n’a plus confiance. Il avait imaginé que sa probité serait rapidement reconnue. Que Pôle emploi allait admettre son erreur. Il n’imaginait pas vivre deux mois d’enfer, de stress et de panique. Oui, Paul a gagné son combat. Mais à quel prix.

 

* A sa demande, le prénom a été modifié et aucune indication géographique n’est mentionnée.
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