A Grandpuits, c’est une concrétisation de l’alliance entre « fin du mois » et « fin du monde ». Encore impensable il y a quelques années, associations écologistes et salariés d’une industrie polluante en grève pour sauver leurs emplois ont travaillé ensemble contre un ennemi commun : Total.
Le vendredi 8 janvier, la CGT de la raffinerie de Grandpuits, Greenpeace, Les Amis de la terre, Attac et la Confédération paysanne se mettent autour d’une table. Objectif de la réunion : décortiquer le contenu du projet Galaxie de reconversion du site qui prévoit la fin des activités de raffinage à Grandpuits pour fin 2023. Cela fait quatre jours que les salariés sont en grève pour dénoncer « la suppression de 700 emplois », par la direction de Total. Mardi 26 janvier, les associations ont publié le fruit de leur travail : un document de 12 pages intitulé « Reconversion de la raffinerie de Grandpuits, pourquoi le projet de Total n’est ni écolo ni juste ».
Greewhasing or not greenwashing
« Avec la reconversion industrielle de la raffinerie de Grandpuits en une plateforme zéro pétrole tournée vers des énergies d’avenir dans le domaine de la biomasse et de l’économie circulaire, Total démontre son engagement dans la transition énergétique et réaffirme l’ambition du Groupe d’atteindre la neutralité carbone en Europe d’ici 2050 », expliquait Bernard Pinatel, le directeur général de la branche Raffinage-Chimie de Total, en septembre 2020. Le groupe pétrolier annonçait alors la fin des activités de raffinage à Grandpuits pour la fin 2023. À la place, Total y produira des biocarburants et du bioplastique, recyclera du plastique et installera deux centrales solaires photovoltaïques.
Une « transition verte » contestée par les associations écologistes. « Les agrocarburants ne sont pas une solution viable pour décarboner le secteur des transports », affirment-elles, s’appuyant sur une étude commanditée par la Commission européenne datant de 2016. Celle-ci indique même que « les agrocarburants de première génération émettent plus de gaz à effet de serre que des carburants fossiles ». Rien à attendre de ce côté-là pour lutter contre le réchauffement climatique. Au contraire, puisque cela induirait une déforestation ravageuse : « 7 millions d’hectares de forêts, dont 3,6 millions sur des sols tourbeux très riches en carbone ».
Plastique un jour, pétrole toujours
Le projet de Total de produire à Grandpuits 400 kilotonnes d’agrocarburants par an, majoritairement pour le secteur aérien, est loin de rassurer Greenpeace et ses partenaires. Mêmes craintes pour la production de bioplastiques. Pour eux, sa fabrication à partir d’acides lactiques (notamment avec de la canne à sucre ou des betteraves) n’est, contrairement à ce qu’avance Total, ni totalement recyclable ni biodégradable. Pas plus qu’elle ne favorise l’économie circulaire.
S’appuyant sur une publication de l’association spécialisée Zéro Waste, les soutiens écologistes aux raffineurs en grève depuis quatre semaines affirment que les biomasses utilisées dans la production de bioplastiques entraînent une pression sur les surfaces agricoles. Et ce, aux dépens des productions alimentaires. De plus, ils rappellent que la monoculture de betterave sucrière est « responsable de l’utilisation massive de néonicotinoïdes, ces pesticides “tueurs d’abeille” ». De même qu’elle a « des impacts majeurs sur la qualité de nos sols, notre eau et la biodiversité ».
Autre problème, ces bioplastiques nécessitent un « compostage industriel », dont disposent rarement une partie des pays dans lesquels ces plastiques sont consommés. Et de conclure que « le meilleur plastique reste celui que l’on ne produit pas », en soulignant que sur ce point Total n’oublie pas de faire du lobbying au niveau européen « pour bloquer toute législation contraignante visant à réduire la consommation de plastiques ». Du coup, la partie recyclage du projet Galaxie ne trouve pas plus grâce à leurs yeux. Les associations y voient même le moyen pour Total de continuer à vendre plus de produits pétroliers. En effet, le recyclage nécessite des polymères vierges, pour que le plastique conserve toutes ses propriétés.
Finalement : il reste un plan social
Sans arguments écologiques solides, que reste-t-il du projet Galaxie ? Peut-être le refus d’investir 600 millions d’euros dans le remplacement de son pipeline vétuste, reliant le port du Havre à Grandpuits. Celui-ci a subi plusieurs fuites importantes en 2014 et 2019. Peut-être des projets pétroliers et gaziers en expansion, mais plus loin et plus profitables, en Ouganda ou au Mozambique. Mais assurément pour les raffineurs : moins 200 emplois sur le site de Grandpuits, et moins 500 autres chez les sous-traitants qui en dépendent.
C’est ce que dénonce l’intersyndicale CGT, FO, CFDT de Grandpuits depuis l’automne, ainsi que les salariés en grève depuis le 4 janvier. Mardi 26 janvier, ces derniers ont manifesté devant le siège de Total à La Défense, pendant que des militants venus en soutien repeignaient en vert l’entrée du bâtiment. Probablement la partie la plus verte de l’activité du groupe pétrolier à ce jour.
Photo : Adrien Cornet
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