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Grenelle des violences conjugales : le gouvernement répond aux féminicides par l’aumône


 

Édouard Philippe a annoncé 10 mesures d’urgence en ouverture du Grenelle des violences conjugales mardi 3 septembre. Pour les financer, le gouvernement met sur la table 6 millions d’euros à côté des 79 millions qui y sont déjà consacrés. Pourtant, le rapport 2018 publié par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes estime les besoins financiers à 1,1 milliard d’euros.

 

Toutes ne sont pas assassinées, mais toutes sont en danger. Chaque année, autour de 100 000 plaintes pour violences conjugales sont déposées auprès des services de police ou de gendarmerie. Le nombre de victimes est lui estimé à 225 000 par an, de nombreuses femmes n’entamant pas de démarches pour révéler les faits. Des violences qui depuis le début de l’année ont eu pour conséquences la mort de 101 femmes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Ainsi, le décompte macabre des féminicides est passé à un tous les deux jours depuis le début de l’année contre un tous les trois jours en 2018.

Confrontée à une mobilisation croissante des familles de victimes et de l’opinion, la secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a annoncé début juillet le lancement d’un Grenelle des violences conjugales le 3 septembre. Ainsi, mardi en début d’après-midi, Édouard Philippe a ouvert la séance par une allocution attendue par les associations, celles invitées comme celles laissées à la porte de Matignon. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles n’ont pas été convaincues. « On est venues, on a vu, on est déçues », déclarait Caroline De Hass à l’issue du discours du Premier ministre. Et pour cause. La pierre angulaire d’une politique réellement volontariste pour lutter contre les violences conjugales fait cruellement défaut. Les moyens financiers pour la conduire sont absents.

 

Une volonté politique à interroger

 

Un million d’euros ont été annoncés pour les associations qui accompagnent les femmes et cinq millions pour la création en 2020 de 1000 places d’accueil supplémentaires : 250 en hébergements d’urgence et 750 en logements temporaires. Le million accordé aux associations est dérisoire. Cela représente tout au plus l’équivalent de 30 emplois de travailleurs sociaux sur l’ensemble du territoire. Une goutte d’eau dans un océan de souffrances. À titre de comparaison, la maison des femmes de Sains-Denis où travaillent des professionnels et des bénévoles fonctionne avec un budget d’un million d’euros par an. Pour ce qui est de l’hébergement, cinq millions ne représentent pas grand-chose et semblent même sous-dimensionnés. Les 250 places d’hébergement d’urgence représentent à elles seules un coût de 3,9 millions sur la base d’un coût annuel moyen par place de 15 658 € selon une étude de Psytel. Ce qui ne laisserait pas grand-chose pour les 750 places de logement temporaires prévues.

Pour le seul poste de dépense des hébergements, le rapport « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes » préconise un budget oscillant de 193 à 449 millions, selon que soit retenu le nombre de plaintes déposées chaque année ou l’estimation du nombre des victimes. Le budget actuel n’est que de 40 millions. Or, selon le rapport, auquel ont participé plusieurs organismes institutionnels comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ou le Conseil économique et social, 17 % des femmes victimes de violences auraient besoin d’avoir accès à un centre d’hébergement d’urgence. Et ce pour une durée moyenne de 9 mois. Ainsi, 17 000 à 38 250 femmes pourraient y prétendre chaque année. Du coup, les 5000 places existantes, même avec les 250 supplémentaires annoncées mardi, sont loin de répondre aux besoins. Il en va d’ailleurs de même pour les autres catégories de populations concernées par l’hébergement d’urgence.

 

Pourquoi 1,1 milliard est nécessaire

 

Les annonces d’Édouard Philippe donnent une impression de méconnaissance des enjeux ou d’absence de volonté politique de réellement s’attaquer à la question. À ce titre, la mesure d’urgence consistant à lancer un audit dans 400 commissariats sur la façon dont les femmes sont accueillies est affligeante, tant les insuffisances en la matière ont déjà été relatées dans la presse. Sur l’accueil, le rapport « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes » estime les coûts recouvrant les besoins de formation à 13 millions d’euros : 6,47 pour les policiers et gendarmes et 6,61 pour les personnels de santé. À cela devraient s’ajouter selon les rédacteurs 20 millions pour l’embauche d’intervenant sociaux dans les services de police et gendarmerie. En tout, les montants nécessaires à l’accompagnement de la révélation des faits et à l’accès aux droits devraient s’élever à 450 millions.

Avec les besoins d’hébergement, nous atteignons déjà la somme de 899 millions. À cela s’ajoute divers dispositifs tels que l’alerte téléphonique « grave danger », mais aussi la phase judiciaire et son accompagnement estimé à 2,18 millions, l’accès aux soins dans une approche globale et spécialisée pour 56,25 millions, un volet information pour 10 millions, et des investissements dans la recherche et le développement de politiques innovantes comptabilisés à 10 % du budget global. L’ensemble atteint 1,1 milliard d’euros, très éloigné du budget actuel de 79 millions, même en y ajoutant les 6 millions promis par le Premier ministre.

« Est-ce vraiment de l’argent supplémentaire et non des vases communiquant avec d’autres lignes budgétaires », s’interroge Carine Favier, membre et ancienne présidente du Planning familial. « Notre financement pour faire de l’information était pris dans le budget de la cohésion sociale. Il a été transféré sur celui du droit des femmes. Ce n’est pas de l’argent en plus, ce sont juste pas les mêmes qui donnent », se méfie-t-elle un peu échaudée. Finalement, ce Grenelle, dont les travaux seront rendus au moment de la journée contre les violences faites aux femmes le 25 novembre, a tout des attributs d’un plan de communication bien construit. Un peu comme l’égalité femmes-hommes décrétée pompeusement grande cause nationale du quinquennat par Emmanuel Macron en 2017. Sans grands effets jusque là.