Le Premier ministre Édouard Philippe a entamé mercredi 29 août une série de rencontres avec les organisations de salariés et d’employeurs pour évoquer les réformes sociales de la rentrée. Ces réunions font suite à l’assurance donnée par le chef de l’État le 17 juillet de les associer davantage aux réformes. Reçu vendredi dernier à 18 h 30, le représentant de l’Union syndicale Solidaires Eric Beynel nous livre son appréciation.
Cette rencontre à Matignon marque-t-elle un changement de méthode du gouvernement ?
L’entretien a duré une heure, mais il n’en ressort pas grand-chose. C’est un pseudo-dialogue. Pour le gouvernement, il s’agit de donner l’impression de discuter avec les organisations syndicales, mais c’est uniquement un affichage. C’est un gouvernement gestionnaire qui remplit des cases. Il a rencontré pendant une heure 13 organisations syndicales et les a écoutées. Pour lui, la case dialogue social : c’est fait ! C’était un peu la même chose l’été dernier pendant les ordonnances. Sur le fond, il n’y a absolument rien de modifié à la politique de Macron. Si nous n’avons pas un vrai débat sur les décisions à prendre, et les moyens à mettre derrière, cela ne sert strictement à rien
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Quels ont été les sujets abordés ?
Il y avait un cadrage par un courrier d’invitation dont l’ordre du jour était : l’assurance chômage, la santé au travail et les indemnités pour les arrêts maladie. De notre côté, nous avons mis en avant la situation sociale et économique du pays, les pensions qui vont être gelées, les minimas sociaux qui sont en péril, ou encore l’attitude revancharde et inacceptable de la direction de la SNCF qui mène une répression contre les cheminots ayant participé au mouvement social. Sur toutes les mesures gouvernementales : rien. Nous avons eu pour seule réponse : c’est politique, cela ne fait pas partie de la discussion.
Nous avons profité de la présence de la ministre de la Santé aux côtés d’Édouard Philippe pour évoquer les luttes nombreuses dans les hôpitaux psychiatriques, comme au Havre et Rouen ou maintenant Amiens. Ces luttes sont symptomatiques de l’état déplorable du réseau hospitalier et pour nous, les urgences se situent là. Ils nous ont renvoyé au Plan santé qui va bientôt être rendu public. Mais ce plan, comme tous les autres, est contraint par un cadre budgétaire qui consiste à donner des milliards au patronat. Cela implique qu’il y aura peu de moyens pour répondre aux questions qui se posent dans les hôpitaux.
Quels seront les changements sur l’assurance chômage ?
Il n’y a pas eu d’annonces. Ils ont donné très peu d’indications sur leurs intentions hormis un affichage sur la volonté qu’il y ait moins de précarité et le souhait d’une taxation des CDD. Mais dans le même temps, Muriel Pénicaud a signifié que la situation s’améliore, qu’il y a de plus en plus de CDI et de moins en moins de CDD. Ils sont persuadés que leur politique est la bonne et qu’il suffit de mesures d’ajustement, mais toujours dans un périmètre financier identique. Forcément, ce qui sera donné à quelques-uns sera pris à d’autres.
Comme toutes les politiques gouvernementales depuis des années consistent à baisser les moyens en abaissant les cotisations patronales, à chaque fois que l’on se voit, c’est pour répartir la pénurie. Il faut arrêter la baisse des cotisations pour permettre une vraie protection sociale qui permette aux gens de vivre dignement. Ils vont envoyer une lettre de cadrage aux syndicats mi-septembre. Nous devrions avoir les intentions du gouvernement et le périmètre des discussions qui vont s’ouvrir. Cependant, comme ces négociations auront lieu comme toujours au siège du Medef, sans rapport de force, tout cela ne servira pas à grand-chose pour les salariés et encore moins pour les chômeurs et les précaires.
Le Medef n’a aucune intention de voir ses cotisations augmenter. S’il y a taxation des contrats courts, ce sera forcément pris sur les indemnités versées à tels ou tels. Ainsi, il y a une menace sur les durées ou les critères d’indemnisation. D’autant que le gouvernement continu à penser qu’il y a des chômeuses et des chômeurs qui ne cherchent pas d’emploi et ne font pas d’efforts pour prendre des boulots qui ne sont pas satisfaisants. Mais sur ce point, le vrai enjeu est la question des salaires à un moment où l’inflation augmente. Cela a des conséquences sur le fait que des gens prennent tel ou tel travail et sur le volume global des cotisations.
Et sur le dossier de la santé au travail ?
Le rapport Lecocq est sorti en milieu de semaine. Il va dans le sens de moins de contrôle et plus d’accompagnement des entreprises. Pourtant, en matière de santé au travail, historiquement, cela n’a jamais fonctionné autrement que par la coercition ou le rapport de force. Le dossier de l’amiante est emblématique. Sans poursuites judiciaires et sans contrôles coercitifs, rien n’aurait avancé. Sur l’exemple plus récent des pesticides, il faut aller devant les tribunaux, proposer des actions d’éclat pour faire reconnaître les risques pour la santé des travailleuses et travailleurs qui sont exposés aux différents pesticides.
Le rapport ne va pas du tout dans le bon sens puisqu’il propose moins de contrôle, dans un contexte de suppression de poste d’inspecteurs du travail, de diminution des moyens des Carsat et de réduction du nombre de médecins du travail. Sur ce dossier, nous avons fait remarquer qu’il n’est pas banal de supprimer le principal outil de prévention aux mains des travailleurs, le CHSCT, pour ensuite se demander quelques mois plus tard ce que l’on fait pour la prévention.
Ils n’ont pas donné la moindre piste sur les décisions qu’ils allaient prendre. Ils ont l’air de penser qu’ils pourraient trouver certaines organisations syndicales pour entamer des négociations allant dans le sens du rapport Lecocq. Mais la réalité, ce sont des accidents du travail non déclarés sous la pression des employeurs, des maladies professionnelles avec des gens en situation d’extrême détresse qui se retrouvent face à des procédures très longues et complexes, avec des avocats des entreprises qui font tout pour que ces maladies ne soient pas reconnues. S’il y a une mesure de simplification à faire, c’est dans ce cadre-là.
La question de changements pour les indemnités journalières des congés maladie a été évoquée. Qu’en est-il ?
Ils ont annoncé vouloir faire un état des lieux. Nous avons regardé. Il est particulièrement frappant de voir que ce sont essentiellement les salariés de plus de 60 ans qui portent l’augmentation du nombre d’arrêts maladie et leur durée. Cela est lié aux contres-réformes des retraites qui ont augmenté la durée de vie au travail. La ministre a évoqué d’autres facteurs, mais pour nous il faudrait revenir à la retraite à 60 ans pour tous. Sur le dossier des indemnités journalières, ils semblent vouloir prendre du temps.
Pendant la réunion, ils nous ont appris que le Premier ministre s’était cassé le poignet et avait eu un arrêt maladie de six semaines. Tout cela pour nous dire qu’il avait trouvé que c’était vraiment beaucoup et qu’il pouvait continuer à travailler. Nous lui avons quand même fait remarquer que s’il avait travaillé à la chaîne cela aurait été différent (rires). Ils vivent dans un monde où les pelouses des jardins de Matignon restent vertes même après la sécheresse. Nous aurions mieux fait d’aller boire un spritz.
Comment vois-tu les perspectives du mouvement social en cette rentrée ?
Ce n’est pas dans ce genre de discussions que nous pourrons changer les choses, mais par la construction d’un rapport de force. La veille, nous avions rencontré la CGT et Force ouvrière et mis en perspective une journée de mobilisation le 9 octobre. La situation est catastrophique sur le plan social et écologique et nous restons sur les mêmes positions depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Nous avons devant nous un risque de nouvelle crise financière, avec la crise de la monnaie turque et des niveaux d’endettement équivalents à ceux prévalant avant la crise immobilière aux États-Unis. À ce tableau, il faut ajouter la situation européenne avec de plus en plus de régimes d’extrême droite. Tout cela nécessite que le mouvement social et syndical trouve les moyens de construire des rapports de force. Ils sont aujourd’hui indispensables. Il y a eu des rencontres intéressantes cet été à l’université rebelle et solidaire des mouvements sociaux et citoyens, mais aussi dans le Val de Suse et à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Dans les mois à venir, il va falloir trouver le moyen de travailler ensemble à des ripostes.
La journée de grève et manifestation du 9 octobre est-elle ce moyen ?
C’est un jalon dans cette construction. Ce n’est pas un point d’arrivée, mais de départ. Nous nous réjouissons que dès la fin du mois d’août trois organisations syndicales s’engagent dans cette construction, mais cela ne suffira pas. Il faut penser à l’après 9 octobre. Le mouvement syndical ne doit pas s’isoler. Il doit travailler avec les mouvements sociaux, notamment les mouvements écologiques. La question des retraites à venir pose celle de la répartition des richesses, de comment nous pouvons vivre dignement en ayant un emploi pendant sa vie salariée, puis en pouvant s’arrêter de travailler tôt pour profiter de sa vie. C’est une réflexion générale à avoir sur un modèle social et écologique.
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