Véronique et Éric, un couple d’enseignants, se battent depuis des mois pour qu’un jeune migrant qu’ils ont accueilli dans leur famille il y a deux ans, ne soit pas renvoyé vers le Mali. Samedi 30 janvier, Éric a entamé une grève de la faim dans l’espoir que la situation de Madama soit enfin entendue par le préfet de Haute-Loire. Depuis la préfecture a adressé un refus de régularisation à Madama.
De la protection de l’enfance à l’expulsion. C’est le sort de nombreux jeunes migrants arrivés mineurs sur le territoire français et menacés, une fois majeurs, d’un retour contraint vers leur pays d’origine. C’est aussi le parcours de Madama. Et aujourd’hui son calvaire, ainsi que celui de la famille qui l’a accueilli en son sein en 2019. « Nous l’avons accompagné dans tout son parcours en France : apprentissage de la langue, de la lecture, écriture, calcul, études, suivi médical, insertion dans la société française, obtention de documents d’identité, recherche d’apprentissage, demandes d’autorisation de travail, démarches pour obtenir un titre de séjour… », expliquent Véronique et Éric dans le texte d’une pétition en ligne pour que Madama reste en France.
Depuis l’anniversaire de ses 18 ans, en janvier 2020, la préfecture a pris son temps pour examiner sa demande de titre de séjour, datée d’il y a un an maintenant. « On nous a dit que ça n’irait pas parce qu’il n’avait pas de contrat de travail », se rappelle Véronique. À ce moment-là, Madama est inscrit en lycée professionnel dans une unité pédagogique pour élève allophone. Une première orientation professionnelle à l’âge de 17 ans dans le domaine de la boucherie-charcuterie a échoué quelques mois plus tôt. « Les migrants n’ont pas le droit à l’erreur », déplore amèrement Véronique.
Pourtant, dans le courant de l’année 2020, malgré la crise sanitaire, il réussit à faire un premier stage dans le domaine agricole. Puis un second chez un éleveur bio qui veut absolument le garder comme apprenti. « Il a un bon contact avec les animaux, ça lui plaît », raconte l’enseignante. Madama signe un contrat et s’inscrit dans un établissement scolaire qui prépare à un CAP d’ouvrier agricole. Il a trouvé sa voie. Tout roule, sauf l’autorisation de travail et le titre de séjour, toujours en attente.
Le dossier traîne, puis les espoirs s’amenuisent après une convocation au commissariat par la Police de l’air et des frontières (PAF) au mois d’octobre. Les documents d’identité de Madama sont remis en question par la PAF. Une réponse de la préfecture attendue pour le mois de décembre n’arrive pas. Pas plus qu’en janvier. Las d’attendre, et sans grand espoir d’une décision préfectorale favorable, Éric décide d’entamer une grève de la faim le samedi 30 janvier 2021 : « c’est la dernière chose qui nous reste pour que Madama reste avec nous ».
Suspicion un jour, suspicion toujours
Effectivement, contactée par la presse locale, la préfecture fait état de sa décision. Le préfet refuse de régulariser le jeune homme. Il invoque la présentation de « faux documents d’identité » et un rapport de l’Aide sociale à l’enfance de septembre 2018 mettant en doute sa minorité au moment de son arrivée en France. Si la préfecture rappelle bien qu’un juge pour enfant a confié Madama à des tiers allégués, elle avance auprès de L’éveil de la Haute-Loire que celui-ci ne s’est pas « prononcé sur l’authenticité des documents d’état civil censés confirmer l’âge de l’intéressé ». Pourtant, dans son ordonnance de placement que nous avons pu lire, le juge des enfants stipule clairement qu’il « résulte des éléments de la procédure que Madama est un mineur non accompagné ».
La suspicion de triche sert souvent de préalable à tout examen des situations des jeunes se déclarant mineurs. Véronique en est persuadée, c’est ce qui est arrivé pour Madama : « cet entretien avec un éducateur spécialisé de l’ASE s’est soldé de la manière dont se soldent tous les entretiens des jeunes à notre connaissance ici, c’est-à-dire par le fait que la minorité n’est pas reconnue ». De son côté, La Cimade évoque de nombreux dysfonctionnements à l’échelle nationale. L’association de défense des étrangers explique que les documents d’identité sont « trop souvent remis en cause, et quand les documents ne sont pas contestés, on doute qu’ils appartiennent réellement à celui ou celle qui les présente ».
Même suspicion sur l’âge des jeunes. « L’évaluation se base souvent sur des éléments totalement subjectifs, voire farfelus (pilosité ou développement pubertaire, acné, forme du visage, maturité) », avance l’association. Ce que confirme Véronique : « il est écrit dans le rapport que Madama se rase, qu’il a des poils. Je peux vous dire que la première année où il a été chez nous, il ne s’est jamais rasé, il n’a jamais eu de rasoir et n’en a jamais eu besoin ». Et la Cimade de rappeler que « in fine, les conclusions de l’évaluation penchent le plus souvent en faveur d’une majorité tandis que plus de la moitié des recours devant le juge pour enfants concluent ensuite à la minorité du jeune ».
L’histoire de Madama est un cas d’école. L’ASE conclut à sa majorité en 2018, un juge pour enfant à sa minorité en 2019, la PAF considère que ses papiers son faux en 2020. Enfin, la préfecture retient les éléments à charge pour étayer sa décision de ne pas le régulariser en 2021. Elle invoque même « un trouble à l’ordre public » pour « usage de faux documents ». À la place, le préfet explique que Madama sera convoqué pour se voir « proposer » une aide au retour dans son pays d’origine. Et qu’en cas de refus, il se verra notifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
La mobilisation pour éviter l’expulsion de Madama
« Ce qui va se passer demain, je n’y pense pas », souffle Éric. Sa grève de la faim et le combat qu’il mène avec sa compagne se vit au jour le jour. À 57 ans, en bonne forme physique, son état de santé ne l’inquiète pas, même si la fatigue commence à se faire sentir au bout de cinq jours. Son médecin a tout de même décidé de lui prescrire un arrêt de travail ce mercredi. Mais le temps est à organiser le soutien et à rendre visible la situation de Madama. Car pour lui, comme pour eux : « tout s’écroule ». La vie ici, les projets d’apprentissage, les liens tissés depuis deux ans.
Heureusement pour eux, Véronique et Éric ne sont pas isolés. Proches de RESF, syndicalistes enseignants à Sud éducation, ils bénéficient d’un réseau pour les aider. Les idées d’actions foisonnent déjà : organiser un rassemblement, inonder la préfecture de messages, et bien d’autres encore. Tout cela en plus de la pétition mise en ligne ce week-end. Une réunion pour organiser le soutien aura lieu en fin de semaine au Puy-en-Velay. Diverses manifestations de la résistance à la décision préfectorale suivront très rapidement.
Crédit photo à la une : Nicolas Defay
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