Les mesures répressives visant à contenir la mobilisation étudiante dès ses prémices ont franchi un cran ces deux dernières semaines. Elles ont produit l’effet inverse de celui recherché. Modeste en février, se cherchant début mars, la contestation de la loi Vidal sur l’enseignement supérieur prend de l’ampleur depuis la journée de grève de la fonction publique du 22 mars.
Trop de répression tue-t-elle la répression ? C’est ce que semble indiquer la trajectoire prise par la mobilisation étudiante contre la sélection à l’université. Les interventions policières pour entraver des tentatives de blocages dans les universités ou les lycées au mois de février ont plutôt réussi au pouvoir. Par habitude ou par lassitude, elles n’ont pas fait de vagues. Celle de l’université de Bordeaux où des CRS ont été filmés malmenant des étudiants dans un amphithéâtre occupé le 6 mars a malgré tout choqué et remobilisé localement les opposants à la loi Vidal. Mais l’avertissement n’a visiblement pas été compris ou entendu.
Le 20 mars, la ministre de l’Enseignement supérieur place l’université du Mirail à Toulouse sous tutelle, la jugeant « ingouvernable ». Le conseil d’administration est dissous et la présidence démise de ses fonctions. Dans l’université la plus mobilisée de France — luttant à la fois contre le projet de fusion de deux universités de la ville et contre la sélection — les étudiants font des rondes, craignant une intervention de la police. L’assemblée générale suivante regroupe 2000 étudiants selon l’Union des étudiants toulousains, une scission de Solidaires étudiant-e-s. La mobilisation progresse et les étudiants votent deux jours plus tard l’autogestion de leur fac, décidant de la gouverner eux-mêmes.
La mesure de mise sous tutelle d’une université crée un choc dans le monde universitaire. Le 22 mars, jour de grève dans la fonction publique, la contestation passe un cap. Une quinzaine de facs sont bloquées à la suite d’assemblées générales dont les rangs sont nettement plus fournis. Ce jour-là, à Paris, le rectorat comptabilise une quinzaine d’établissements scolaires perturbés, contre seulement trois lors de la journée d’action du 15 mars.
La répression à Montpellier stimule la mobilisation étudiante dans toute la France
À Montpellier, après la manifestation du 22 mars, un amphithéâtre de la fac de droit est occupé par une centaine de personnes. Là, les forces de police n’interviennent pas. Mais quelques heures plus tard, un commando d’hommes cagoulés et armés de bâtons déloge violemment les occupants, envoyant trois d’entre eux à l’hôpital. Le doyen de l’université ainsi que plusieurs professeurs sont désignés par des étudiants agressés comme acteurs ou commanditaires des violences.
Le lendemain, l’assemblée générale qui se tient à la fac de droit réunit un millier de personnes et réclame la démission du doyen. Du jamais vu. Par effet de contagion, l’université de lettres, déjà mobilisée, rentre en effervescence. Ils sont 3000 en assemblée générale le mardi 27 mars et votent le blocage illimité de leur fac. Comme à Toulouse, les étudiants de l’université Paul Valéry prennent possession de leur lieu d’étude. Sans décréter formellement l’autogestion comme au Mirail, ils organisent des cours de substitution et s’approprient les contenus pédagogiques dans une optique qu’ils souhaitent émancipatrice. Des cours ouverts aux non-étudiants.
L’impact des violences commises sur des étudiants à Montpellier a aussi une résonance dans la plupart des universités françaises. Des messages de solidarité à destination de la mobilisation montpelliéraine abondent de toute part et des rassemblements de soutien ont lieu dans de nombreuses villes comme à Toulouse, Clermont-Ferrand ou Paris. Mais aussi à Lille où des étudiants mobilisés accusent l’extrême droite de violences sur le campus de droit, peut-être inspirés par l’action coup de poing de la fac de droit de Montpellier. De nouvelles universités votent le blocage comme à Caen. À Paris, où la contestation est moins marquée qu’en province, l’université de Tolbiac est à son tour paralysée pour une semaine. De fac en fac, le mouvement prend un nouvel élan.
La mobilisation étudiante parie sur un mouvement interprofessionnel
La contestation étudiante revendique toujours le retrait de la loi Vidal, malgré son vote par l’Assemblée nationale le 15 février. « Le gouvernement veut gérer des flux, pas des étudiants. Nous voulons plus de places dans les universités pour que tout le monde puisse étudier, au lieu d’aligner le nombre d’étudiants sur le nombre de places », indique Florent Chapelle, porte-parole de la fédération Solidaires étudiant-e-s. Pour lui, la question de fond est celle des moyens attribués à l’enseignement supérieur, comme au reste des services publics. D’où les actions convergentes avec les fonctionnaires et cheminots le 22 mars. « Les étudiants mobilisés sont conscients que la question est plus large que l’université », assure le syndicaliste étudiant.
La suite du mouvement est balisée pour le mois d’avril avec une longue série de journées d’actions malgré l’approche des vacances de Pâques par zones. Deux dates se détachent pourtant : les 3 et 19 avril. La première marque le début de la grève reconductible des cheminots, la seconde une probable date de journée de grève interprofessionnelle initiée par la CGT. Car, malgré une révolte qui prend de l’ampleur, l’obtention du retrait de la loi Vidal et de moyens supplémentaires pour accueillir tous les bacheliers voulant entrer à l’université ne sera pas simple à gagner. Pour Florent Chapelle, un mouvement de grève plus général serait favorable aux revendications estudiantines. En tout cas, si l’effervescence se poursuit tout au long du mois d’avril, arrivera ensuite le mois de mai, si symbolique cette année.
Photo : Tendance claire
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