travail social

Serafin PH : la réforme qui inquiète le médico-social

Une réforme du financement du médico-social entre en vigueur à partir de 2026. Pour certains, c’est une tarification à l’acte qui risque, comme à l’hôpital, de mettre le secteur à genoux. Pour d’autres, une manière d’amener plus d’équité.

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Basta!

« Je remplis un relevé hebdomadaire dans lequel je marque ce que je fais quart d’heure par quart d’heure. » Didier Zika est éducateur spécialisé pour une association médico-sociale de la région Paca. Il travaille dans un « Sessad », un service d’éducation spéciale et de soins à domicile, qui accompagne les enfants et adolescents en situation de handicap.

Le travail de Didier dépend du quotidien des jeunes. Il est varié, et ses horaires variables. Aujourd’hui, en plus de suivre les enfants, l’homme doit aussi inscrire dans un logiciel tout ce qu’il fait, avec des codes correspondants aux différentes tâches.

Il explique : « Prenons lundi. J’ai commencé à 8 h 30. Donc, 8 h 30, je récupère mon véhicule, j’ai 15 minutes de code “1220” pour “déplacement en direction de l’enfant ou du groupe d’enfants”. Après, je bascule pendant 1 h 15 en code “1210” pour “déplacement avec l’enfant – accompagnement avec l’enfant”. Après, j’ai deux heures d’activité éducative, ce qui est le code “1410”. Puis, j’ai le code du repas avec les enfants de 12 heures à 13 heures. Dans l’après-midi, je les ramène à la maison, à nouveau le code “1220”… »

L’association médico-sociale qui emploie Didier Zika, qui y est aussi délégué CGT, a mis en place depuis plusieurs années cet outil de suivi de l’activité des salariés. « Cela permet à la direction de vérifier ce pourquoi on s’est engagé vis-à-vis des familles et des enfants suivis. Par exemple, si on s’est engagé à voir l’enfant trois fois par semaine, une simple extraction du logiciel permet de savoir exactement combien de prises en charge a eu l’enfant, précise l’homme. On ne conteste pas tant la traçabilité, il est naturel de rendre compte de l’action menée auprès des enfants. Là où le système devient pervers, c’est qu’il sert également d’outil de contrôle comptable du temps de travail. Ce report d’activité est aliénant et nie la réalité de notre métier en excluant tout ce qui n’entre pas dans les cases préétablies. » Comme les temps d’échanges entre collègues.

L’éducateur craint aussi que cette pratique de codage du travail se généralise rapidement dans tout le médico-social sous le poids d’un argument massue : la réforme en cours du financement du secteur. Engagée depuis 2015, celle-ci va commencer à entrer en vigueur en 2026 pour les établissements travaillant sur le handicap. Elle porte le nom « Serafin PH », pour « services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées ».

Aujourd’hui, les établissements en question sont financés, par la Sécurité sociale, via une dotation globale sur des « contrats d’objectif et de moyens » de cinq ans. La réforme va changer ça, et concerner d’abord les quelque 4000 structures pour enfants et adolescents : les Sessad, les Itep (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques), IME (instituts médico-éducatifs), instituts d’éducation motrice, centres d’accueil familiaux spécialisés, etc.

Les syndicats CGT et Sud s’opposent fermement à la réforme. Ils redoutent qu’elle conduise à une forme de tarification à l’acte, de « T2A », comme celle mise en place à l’hôpital public en 2004 et décriée depuis comme une des causes du sous-financement, de l’incitation à privilégier les actes les plus lucratifs, et de la privatisation rampante des soins hospitaliers.

Les directions des grandes associations actives dans le secteur s’opposent moins frontalement à Serafin PH, même si elles ont émis des critiques au fil des ans. « Ça fait une dizaine d’années que cette réforme est discutée. Elle fait suite à des rapports qui ont dressé le constat que le financement n’était pas vraiment équitable entre les établissements du secteur du handicap », explique Marine Rackelboom, directrice régionale de l’union d’associations du secteur médico-social Uriopss dans les Hauts-de-France, qui fédère des centaines d’établissements.

De fait, le coût moyen pour les finances publiques d’une place en Sessad variait, par exemple, de 21 000 euros à plus de 40 000 euros par an en 2023. Ce coût va du simple au triple pour les instituts médico-éducatifs, selon les statistiques de l’organe de la Sécurité sociale en charge de ces établissements, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). L’idée de la réforme est de faire mieux correspondre le financement à l’activité réelle des structures. « On part d’un monde avec des écarts inexpliqués dans les coûts à la place des établissements, et on n’avait aucune donnée », souligne auprès de Basta! Olivier Paul, en charge de conduire la réforme Serafin au sein de cet organisme de la CNSA.

L’État a donc demandé aux acteurs du secteur de faire remonter des données sur leur travail et sur la prise en charge des enfants et adolescents. Et les employés se sont retrouvés à devoir remplir des tableaux dans des logiciels. C’est ce qui s’est passé pour Delphine*, psychologue dans un Sessad d’un territoire rural et déléguée syndicale Sud Santé Sociaux. « Ça fait une dizaine d’années qu’on nous bassine avec Serafin. Et là, c’est arrivé », soupire-t-elle.

Son service a été sollicité à deux reprises pour fournir les précieuses données en amont de la réforme. « On devait faire partie des échantillons de l’essai Serafin pour des remontées de données sur des semaines types. Et puis, finalement, on n’a jamais été au bout, parce que nous n’avons jamais eu le temps. Car la réalité du terrain a vite repris ses droits. »

Malgré tout, le logiciel mis en place dans le service de la psychologue est « paramétré pour la réforme Serafin », nous dit Delphine. « La formatrice du logiciel nous a dit qu’il était déjà pré-formaté Serafin PH, au niveau des objectifs qu’on doit inscrire pour les enfants et les jeunes suivis. Mais c’est très réducteur. On se met à remplir des objectifs très généraux parce que rien ne correspond vraiment à notre travail. Moi, je m’en sors avec la ligne “accompagnement psychologique”. »

En janvier, la fédération des employeurs du secteur, la Fehap, avait appelé ses associations membres à boycotter le recueil de données. Depuis, le dialogue a repris entre les acteurs du secteur et l’État.

« Nous sommes en relation régulièrement et nous alertons sur les difficultés, assure ainsi Luc Gateau, le président de l’Unapei, l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis. Nous, depuis le départ, nous soutenons une révision en profondeur du système de tarification. Parce que nous accompagnons des déficiences globalement lourdes, et on a besoin que ces spécificités soient prises en compte à leur juste mesure dans le financement », ajoute-t-il. Mais il regrette le fait que, pour l’instant, les établissements n’y voient « pas très clair » sur ce qui va changer pour eux concrètement.

Selon les conclusions du dernier comité stratégique de suivi de la réforme, en novembre, Serafin ne devrait, en l’état, pas révolutionner le mode de financement du secteur. 90 % des dotations resteront attribuées sous forme « globale » : en fonction du public accueilli par les établissements, du nombre de personnes suivies, du nombre de jours d’ouverture par an.

Les 10 % restants seront distribués en fonction de critères, comme la complexité des situations, la scolarisation en milieu ordinaire, les coopérations… C’est là que les établissements auront à fournir des données plus précises sur leur activité, mais pas de données individuelles. « Ce qu’apporte Serafin, ce sont des critères objectifs, identiques pour tout le monde, lisibles et transparents, sur lesquels les établissements peuvent se projeter sur plusieurs années pour 90 % de leur dotation », défend Olivier Paul, de la CNSA.

La réforme se base sur une enveloppe globale de financement stable par rapport au niveau actuel, de 7,5 milliards d’euros par an. Le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2026 prévoit aussi 360 millions d’euros en plus sur quatre ans pour accompagner le changement. Au final, la réforme commencera à avoir un impact sur les budgets des structures à partir de 2027. Elle « réagence les financements », dit Olivier Paul. On est aux antipodes de la T2A », insiste-t-il.

L’éducateur spécialisé Didier Zika n’est pas convaincu. « Regardez ce qui s’est passé dans le secteur hospitalier ! pointe-t-il. Il y a un risque de dérive, que les structures se concentrent surtout sur les personnes qui ont des besoins qui rapportent le plus, que le secteur lucratif s’approprie toutes les prises en charge des besoins lourds, et laisse au secteur associatif les enfants qui ont des besoins qui rapportent moins. Et du coup, on ne sera plus suffisamment financés. »

Les messages rassurants venant d’en haut ont d’autant plus de mal à passer sur le terrain que le travail est, déjà, de plus en plus compliqué, témoigne la psychologue Delphine « Aujourd’hui, dans mon service, nous avons un financement pour 20 enfants, mais l’agence régionale de santé et la MDPH [Maison départementale des personnes handicapées, ndlr] nous demandent d’en prendre 23. On se retrouve face à cette injonction paradoxale de devoir être au plus près des besoins de l’enfant, mais de devoir en même temps en accueillir plus que nos moyens le permettent », critique celle qui travaille dans ce milieu depuis une vingtaine d’années.

« On nous met la pression pour être efficaces, faire plus à moyens constants, alors qu’on fait face à des problématiques de plus en plus lourdes, ajoute-t-elle. Car il y a une dégradation de l’état de santé de la population. » Et ce problème, ce n’est pas une réforme de la tarification qui va le régler.

*Prénom modifié.

Article : Rachel Knaebel

Photo : archive Rapports de force manifestation Ségur.