Après « Veiller sur mes parents », proposant un service payant pour faire face à la solitude des personnes âgées vivant à domicile, La Poste vend une aide à la télédéclaration d’impôt. Après l’isolement, la fracture numérique et l’affaiblissement du service public collecteur des impôts deviennent sources de développement économique et de bénéfices pour l’opérateur postal.
De la fracture à la facture numérique. La Poste lance un nouveau service payant pour aider les personnes ayant des difficultés avec les technologies informatiques à remplir leur déclaration d’impôt en ligne. Cette année, la télédéclaration concerne de façon obligatoire les contribuables gagnant plus de 15 000 € par an. L’an prochain, elle s’étend à tous.
Depuis le 12 avril, pour la somme de 39 €, La Poste propose la venue d’un facteur à votre domicile. Ce dernier vous aide, si vous êtes en possession d’un ordinateur ou d’une tablette, à créer une adresse mail et un compte sur la plateforme numérique des impôts. Ensuite, il vous présente l’environnement du site et vous explique où trouver les différentes rubriques. À vous de saisir puis valider vos informations. Vous recevez immédiatement un accusé de réception de votre déclaration en ligne. Il ne vous reste plus qu’à payer le facteur.
Marchandisation d’un service public
Il est toujours possible de s’adresser gratuitement à son centre des impôts, mais dans les faits, les Finances publiques n’ont pas créé de postes d’accueil supplémentaires pour cette mission. Pourtant, les besoins existent. Selon le baromètre 2017 de l’Agence du Numérique, 19 % des Français ne possèdent pas d’ordinateur et 33 % d’entre eux affirment ne pas se sentir compétents avec cet outil. Ici, la fracture numérique est surtout générationnelle et sociale. De plus, 7,5 millions de consommateurs sont privés d’une connexion internet de qualité selon une étude de l’UFC Que Choisir publiée l’an dernier. Là, la fracture est plutôt territoriale. Si le meilleur du très haut débit est accessible à 90 % de la population parisienne, il chute à 1 % dans la Creuse ou la Dordogne.
Malgré les besoins considérables pour assurer la mutation des administrations, voulue par les pouvoirs publics, vers le numérique, aucune mesure ambitieuse d’accompagnement n’est réellement prévue. « Cela fait partie de nos missions de service public, mais il y a de moins en moins de moyens et le temps disponible à la réception des usagers baisse », se désole Anne Guyot Welke. La porte-parole de Solidaires finances publiques déplore que « La Poste prenne une part de marché de service public », jusque-là gratuit, en la faisant glisser vers une prestation payante.
« Nous avons la compétence technique fiscale. Les gens qui viennent demandent aussi des renseignements fiscaux », rappelle la syndicaliste. Des connaissances que les 900 facteurs services experts, théoriquement chargés de cette tâche, ne pourront évidemment pas apporter au cours des 45 minutes de temps estimé pour réaliser la prestation, disponible entre 8 h et 18 h. D’ailleurs, La Poste ne prétend pas assurer cette fonction avec son nouveau service. Ses facteurs reçoivent une e-formation de 6 heures centrée sur la seule maîtrise de l’environnement numérique. Elle prévient même que les données renseignées seront de la seule responsabilité du déclarant, se dégageant ainsi de toute réclamation.
Des facteurs bons à tout faire
« Il n’y a aucune concurrence avec le service des impôts », insiste la communication de La Poste qui entend lever des « incompréhensions » sur son nouveau service. « Les facteurs délivrent une aide à la navigation dans le site impots.gouv.fr. Ce que propose La Poste, c’est de se déplacer à domicile pour rassurer les personnes qui sont peu à l’aise avec les nouvelles technologies ». Un concept proche de celui de « Veiller sur mes parents », un service démarré en mai 2017, où les facteurs rendent visite à domicile à des personnes âgées isolées. Cette facturation du lien social a créé un malaise chez des facteurs habitués à rendre ces services gratuitement par le passé.
Avant de se lancer dans l’aide à la télédéclaration le 12 avril, l’entreprise à capitaux publics a effectué quelques tests, comme dans le département de la Moselle, retenu pour son nombre encore important de déclarations papier. Là, au mois de février, l’opérateur postal a écrit à ses clients pour proposer gratuitement une aide à la déclaration en ligne en fournissant le matériel nécessaire. Depuis, le service est disponible sur tout le territoire, coûte 39 € et La Poste exige de ses clients qu’ils soient équipés d’un ordinateur ou d’une tablette.
Avec ce service, comme avec tous ceux proposés par la branche services-courrier-colis, La Poste ambitionne de devenir le premier opérateur sur le marché des services de proximité alliant humain et numérique. Les facteurs sont donc contraints à ajouter à leurs tournées des activités aussi diverses qu’éloignées de leur métier. Le courrier, dont le trafic est en baisse, ne semble plus une priorité pour l’entreprise qui préfère communiquer sur la progression des nouveaux services qu’elle propose : 155 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017. Quitte à passer sous silence que cela ne représente que 0,6 % de son résultat annuel, contre plus de 25 % pour la distribution du courrier.
Pas vraiment de quoi faire rêver les facteurs ni justifier aux yeux des usagers une marchandisation d’activités jusque-là rendues par des services publics. En tout cas, dans les jours qui viennent, les syndicats Solidaires de La Poste et des Finances publiques doivent organiser une conférence de presse commune pour dénoncer ce qu’ils jugent être un glissement de services auparavant gratuits vers des prestations payantes, faute de moyens investis dans les services publics.
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