Pinkwashing

Pinkwashing : la Marche des fiertés objet de toutes les récupérations

 

À l’occasion de la Marche des fiertés à Paris, samedi 30 juin, plusieurs centaines de milliers de personnes ont défilé en présence d’associations militant pour les droits LGBT+. À leurs côtés, des entreprises telles que MasterCard et Air France. Plusieurs associations, qui considèrent que la lutte pour les droits LGBT+ ne peut se faire aux dépens des plus marginalisés, ont dénoncé une tentative de récupération des pouvoirs politiques et économiques.

 

« La Ville de Paris, qui ambitionne de remporter le label de la Ville la plus “gay friendly” d’Europe, peine à masquer la réalité de sa politique sous les stickers arc-en-ciel, » juge le collectif « Stop au Pinkwashing », qui s’est imposé en tête de la Marche, samedi dernier. Ce collectif est le fruit de la convergence de deux initiatives : une lancée entre autres par l’association FièrEs et le Comité de libération et d’autonomie queer (CLAQ), la seconde initiée par Qitoko, une association de défense des droits des personnes LGBT+ racisées* (non blanches).

Depuis une dizaine d’années, le « pinkwashing » est dénoncé comme une tentative de certains pouvoirs de se parer d’une image positive et progressiste en s’appropriant la cause LGBT+. Le terme est d’abord apparu afin de dénommer la tentative d’Israël de détourner l’attention des crimes commis contre les Palestiniens, en se donnant une image de pays libéral, défendeur des droits des personnes LGBT+. Relevant d’un phénomène similaire, le terme « greenwashing » est également entré dans le vocabulaire militant. Il vise à dénoncer la stratégie de communication d’entreprises faisant de l’écologie un élément de leur image, sans pour autant modifier leurs activités polluantes.

 

Paris championne olympique du pinkwashing

 

Aujourd’hui, les associations signataires de l’appel « Stop au Pinkwashing » (Coordination queer féministe décoloniale, L’intersection, Garçes collectif féministe, Collectif Irrécupérables, entre autres) accusent les politiques français — notamment la Ville de Paris — de faire de même, notamment en organisant les Gay Games cet été à Paris. Ceux-ci, prévus en août pendant une semaine, reprennent le modèle des Jeux olympiques, avec l’objectif de promouvoir la tolérance et le respect de toute personne.

Pour le collectif Stop au Pinkwashing, Paris est l’exemple d’une ville « qui capitalise sur notre image de marque, nous considère comme une part de marché, mais méprise nos droits et notre dignité ». Mais les Gay Games, comme les Jeux olympiques de 2024, auront pour conséquence une gentrification accélérée (notamment à Saint-Denis), un accroissement des inégalités, et un renforcement des « mesures anti-SDF dans l’espace public ainsi que le harcèlement policier à l’égard des exilés-es », poursuit le collectif. Les associations qui ont signé l’appel s’interrogent : « Comment croire que Paris, même recouverte de drapeaux LGBT, puisse être autre chose qu’un lieu de violences quotidiennes, dans ces conditions ? »

 

Pinkwashing partout

 

Mais la mairie de Paris n’a pas l’exclusivité du pinkwashing. En témoigne la présence en 8e place dans l’ordre de marche de la manifestation parisienne du FLAG, l’association de policiers et gendarmes LGBT. Les entreprises privées ne sont pas en reste, représentées entre autres par MasterCard et Tinder. Un ton donné à la Marche des fiertés bien loin de celui de ses origines. La lutte moderne pour les droits LGBT+ remontant en effet aux émeutes contre la police et le système repressif à Stonewall aux États-Unis en 1969. Les entreprises ont bénéficié d’un emplacement privilégié au milieu du cortège, constitué au total de quatre-vingt-sept chars, alors que les associations historiques de lutte contre le SIDA (Act-Up et AIDES) se sont vues reléguées aux emplacements de fin. Dans un communiqué de presse, celles-ci se sont dites « muselées » par l’Inter-LGBT, en charge de l’organisation de la Marche.

Cette année, le mot d’ordre choisi, « Les discriminations au tapis, dans le sport comme dans nos vies », est en phase avec l’initiative des « Gay Games » de la mairie de Paris. Pour le collectif Stop au Pinkwashing, ce mot d’ordre est « surréaliste », et « sonne comme une gifle pour la majorité des LGBTI et queers, pour qui les discriminations dans le sport sont loin d’être une priorité absolue. » Pour Jonas, de l’association de lutte antiraciste L’Intersection, ce choix relève d’une « dépolitisation » de la Marche des Fiertés. Les discriminations dans le sport « n’ont aucun rapport avec les préoccupations de la communauté LGBT, notamment les personnes LGBT non blanches », assure-t-il.

Pour Jonas, la Ville de Paris, le gouvernement et les entreprises cherchent dans la Marche des fiertés « une respectabilité qu’ils n’ont pas dans leurs actions ». Ainsi pour lui, le cortège de tête constitue un succès : « C’est une première victoire, parce que nous avons réussi à mettre les personnes stigmatisées et leurs revendications politiques en tête de la marche» Parmi celles-ci, la précarité, la gentrification, les violences policières, les expulsions et le racisme d’État considérés comme les priorités de la communauté LGBT. « Ce n’est pas le drapeau arc-en-ciel (que l’Assemblée nationale a affiché samedi, NDLR) qui va faire oublier cela », conclut Jonas.

Quelques jours avant la Marche des Fiertés, la loi Asile et Immigration a été votée au Sénat. Celle-ci est au centre des préoccupations de la communauté LGBT+ non blanche, selon Jonas, car elle précarise davantage les migrants et migrantes LGBT+. Avant même le vote définitif de la loi, Moussa Camara, jeune migrant homosexuel, a été condamné à deux mois de prison ferme et deux ans d’interdiction du territoire le 12 juin dernier. En cause, son refus en mai de monter dans l’avion qui devait le renvoyer dans son pays natal, la Guinée, où l’homosexualité est un crime. Lors de la Marche, l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM) a d’ailleurs rappelé que 71 pays criminalisent l’homosexualité, dont 13 ont une législation qui prévoit la peine capitale.

Des dizaines d’autres collectifs, associations et organisations ont participé à la manifestation. Parmi elles, Amnesty International, qui a défilé autour du slogan « Uni.e.s pas uniforme ». Mais aussi des syndicats de salariés comme la CFDT et la CGT, qui ont bénéficié d’emplacements officiels et manifesté dans l’ordre de marche dicté par l’Inter-LGBT. Solidaires et les postiers en grève des Hauts-de-Seine (92) se sont également rendus sur place. Pour Xavier, de Sud Poste 92, sa participation à la marche s’inscrit des les origines révolutionnaires du mouvement. Un œil rivé sur les émeutes de Stonewall, pas question pour lui que la cause LGBT+ ne soit reprise uniquement par les pouvoirs économiques et politiques.

*Personnes victimes d’un racisme systémique