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Plan pauvreté : Emmanuel Macron en pompier pyromane

 

Le chef de l’État a dévoilé jeudi 13 septembre le contenu de son plan pauvreté. Plus de 8 milliards d’euros sur quatre ans y sont consacrés. L’accent mis sur la jeunesse pour éviter la reproduction de la pauvreté n’efface pas, ni ne contrebalance, la politique délibérément libérale de l’exécutif.

 

La perspective donnée par le président de la République est engageante : « nous pouvons à hauteur d’une génération, éradiquer la grande pauvreté dans notre pays ». De quoi marquer les esprits et emporter l’adhésion du plus grand nombre. Pourtant cette annonce en rappelle une autre de même nature : la promesse en juillet 2017 que d’ici la fin de l’année « personne ne dorme dans la rue ou dans les bois ». Sans effet sur le nombre de personnes sans domicile en 2018. Avec le plan pauvreté, il ne risque pas d’être contredit par les faits avant la fin de son mandat puisque les résultats sont renvoyés à la génération suivante.

Le plan dévoilé hier concentre son action sur la petite enfance et la jeunesse avec l’objectif affirmé de s’attaquer aux déterminismes sociaux. Parmi une batterie de mesures, Emmanuel Macron a annoncé la création de 30 000 places en crèches pour les enfants de familles défavorisés ainsi que des petits déjeuners et des repas à tarif sociaux dans les cantines pour les élèves des établissements d’éducation prioritaire. Toujours en direction des jeunes, l’obligation de formation fixée jusqu’à l’âge de 18 ans. Des annonces pour les jeunes plutôt bien accueillies par les associations caritatives, même si des doutes persistent. ATD Quart-Monde, l’association choisie par le président pour une visite de cinq heures en début de semaine, se dit satisfaite de l’objectif d’éradication de la grande pauvreté fixé par le plan.

Pour autant, elle s’interroge sur « les moyens humains et financiers qui seront alloués à la lutte contre la pauvreté ». L’association pointant même un simple redéploiement de budget pour une part significative des 8 milliards annoncés. Autre réserve émise par sa présidente Claire Hédon, l’oublie que l’enfant pauvre vit dans une famille pauvre, et que c’est donc à la pauvreté des adultes qu’il faut s’attaquer. C’est là que le bât blesse. Par exemple sur la question du logement, rien dans le plan. Aucune mesure pour les 4 millions de mal-logés, dont 143 000 sans domicile fixe. Rien non plus sur la cherté des loyers, les expulsions locatives en progression pour défaut de paiement ou l’introduction dans la loi ELAN de mesures criminalisant les occupants sans droit ni titre d’un logement. Un marqueur pourtant essentiel de la grande précarité.

 

Fabriquer des pauvres, et en même temps, prendre des mesures anti pauvreté

 

Alors le gouvernement peut-il ou veut-il éradiquer la grande pauvreté en une génération ? Malgré ses déclarations, il est permis d’en douter. « Agir à la racine n’est pas offrir aux enfants l’aumône d’un petit déjeuner, mais lutter contre la précarité, le temps partiel subi, le chômage et les bas salaires de leurs parents », s’énerve l’Observatoire des inégalités. Or les questions de revenus, de chômage et de marché du travail sont les grands absents des annonces du plan pauvreté. Les mesures économiques et sociales prises depuis plus d’un an vont, à l’inverse des annonces présidentielles de jeudi, dans le sens de plus grandes difficultés pour les 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, et les 2,3 millions, dont les revenus sont inférieurs à 680 € par mois.

Le 26 août, Édouard Philippe a présenté les grandes lignes de la loi de finances à venir en annonçant la fin de l’indexation sur l’inflation et une revalorisation minimale pour certaines prestations sociales. Ainsi les pensions de retraite, les allocations familiales et l’aide au logement ne seront augmentées que de 0,3 % en 2019. Une baisse de revenu pour ces bénéficiaires dans la mesure où l’inflation a dépassé les 2 % sur les 12 derniers mois. Autre mesure touchant aux revenus des plus fragiles économiquement : la réduction du nombre de contrats aidés confirmée pour 2019 par le Premier ministre. L’an passé, le gouvernement en avait déjà supprimé 163 000. En plus des personnes en difficultés se retrouvant sans rien, cette mesure a mis sous tension toutes les associations, même celles actives auprès de publics en difficultés sociales.

Une situation qui pourrait être aggravée par la réforme de l’assurance chômage. La ministre du Travail a laissé entendre que la piste d’une dégressivité des allocations pour inciter les chômeurs à reprendre une activité n’était pas tabou, répondant ainsi à une revendication du Medef. Mais au-delà des prestations sociales, c’est la question du travail et de sa rémunération qui n’est pas posée dans le plan pauvreté. Car, pour reprendre une activité, encore faut-il des emplois. Et sur ce terrain, les résultats du gouvernement ne sont pas vraiment au rendez-vous. L’emploi salarié ralenti dans le privé et recule dans le public au deuxième trimestre 2018. Une tendance qui va se confirmer avec certitude dans le public avec la suppression de 4500 emplois programmés dans la fonction publique d’État.

Sur le front de la rétribution du travail, le tableau n’est pas plus florissant depuis la réforme du Code du travail par ordonnance le 12 septembre 2017. Depuis l’autorisation donnée aux entreprises de négocier des accords moins protecteurs que le Code du travail, 946 d’entre elles dont la taille est inférieure à 50 salariés ont signé un accord. Dans 90 % des cas, les employeurs ont obtenu des augmentations du temps de travail ou des réductions salariales. La volonté affichée d’Emmanuel Macron de légiférer d’ici 2020 sur un revenu universel d’activité regroupant plusieurs minima sociaux dont le RSA, conditionnés à des obligations nouvelles pour les allocataires, est source d’inquiétude pour de nombreuses associations comme pour les syndicats.

 

Faire porter la responsabilité de la pauvreté sur les pauvres

 

Les expériences similaires menées en Angleterre et en Allemagne au lieu de réduire la pauvreté l’ont plutôt accentué en privant d’accès à leurs droits un grand nombre de personnes en grande précarité. Sur ce point, l’idée du gouvernement est de conditionner l’accès à ce revenu au fait de ne pas refuser par deux fois une offre raisonnable d’emploi. « Elle oblige le bénéficiaire à accepter n’importe quel boulot » pour la CGT qui dénonce un projet qui « permet de tirer vers le bas les salaires et les conditions de travail de tous les autres salariés ». Mais en plus, elle insinue l’idée que si le pauvre ne s’en sort pas c’est un peu de sa faute. La pauvreté devient ainsi une responsabilité individuelle séparée des réalités économiques générales et de la qualité des emplois disponibles.

En tout cas, ce volet « simplification » qui comprend la poursuite et la revalorisation de la prime d’activité aspire l’essentiel des 8 milliards consacrés au plan pauvreté. Il est chiffré à 4,97 milliards d’euros sans qu’ait été précisé ce que comprend ce chiffre et à quoi il est attribué. Malgré le côté impressionnant de la somme de 8 milliards allouée sur quatre ans à l’objectif d’éradiquer la grande pauvreté, le montant semble dérisoire pour effacer les effets de la politique délibérément probusiness du gouvernement. Une politique que résume l’observatoire des inégalités en se livrant à un petit calcul comparatif : 2 milliards par an pour 9 millions de pauvres d’un côté, contre 3 milliards par an pour 600 000 assujettis à l’ISF. Sans contreparties ou nouveaux devoirs pour ces derniers.