Santé

Santé : un plan qui ne fera pas taire les mobilisations

 

Attendu depuis des mois, le plan « Ma santé 2022 » présenté par Emmanuel Macron le 18 septembre s’appuie sur la médecine libérale pour réorganiser la santé en négligeant les effectifs. Pourtant les luttes pour réclamer les moyens de prendre soin des patients sont nombreuses à l’hôpital. Longues de plus de 100 jours à Vierzon ou Amiens, spectaculaires comme dans les centres hospitaliers du Rouvray ou du Havre, elles sont le signe d’un malaise qui a peu de raisons de prendre fin.

 

« Notre système de santé ne souffre pas d’abord d’un problème de sous financement, il pêche par un vrai handicap d’organisation », a soutenu le chef de l’état lors de la présentation du plan santé mardi 18 septembre. Des propos en ligne avec ceux de sa ministre des Solidarités et de la Santé qui n’a eu de cesse face aux alertes et aux mouvements de personnel dans les Ehpad, les urgences ou le secteur psychiatrique de répondre réorganisations, plutôt qu’embauches et moyens financiers.

Ainsi les 54 mesures du plan « Ma santé 2022 » se consacrent à des changements dans la structure de l’offre de soins. Parmi les plus consensuelles, la fin du numerus clausus permettant de former plus de médecins à l’horizon de dix ans et la réduction de la tarification à l’acte, la T2A, qui a conduit l’hôpital au bord du burn-out général. Autres dispositions importantes, mais ne recueillant pas l’unanimité : le décloisonnement entre la médecine de ville et l’hôpital, la création de 4000 assistants médicaux financés en partie par la Sécurité sociale pour les médecins libéraux acceptant de se regrouper, ou le classement en trois niveaux des hôpitaux.

 

Un plan annoncé comme « ambitieux », avec moins de moyens

 

Du côté des moyens, ce plan respecte la philosophie annoncée par Emmanuel Macron selon laquelle le système de soins souffre d’un handicap d’organisation. Ainsi, il est doté de 3,4 milliards d’euros pris dans le budget des dépenses de santé jusqu’à 2022, soit 850 millions d’euros par an. L’essentiel des crédits sont orientés en direction de la réorganisation du système de santé : 1,6 milliard pour la structuration des soins dans les territoires en ville et à l’hôpital, 500 millions pour la transformation numérique et 420 millions pour l’évolution des métiers et la formation. Sur le total de 3,4 milliards, il ne reste que 920 millions pour l’investissement hospitalier.

Au-delà du plan en lui même, le budget des dépenses de santé sera relevé de 2,5 %, au lieu des 2,3 % initialement prévus dans la loi de finances devant être présentée à l’Assemblée nationale à l’automne. Cela correspond à 400 millions supplémentaires sur un total de 195,2 milliards. « C’est une augmentation de 5 % qui permet de financer l’activité normale des établissements », affirme la CGT dans un communiqué publié le jour de l’annonce du plan. Le gouvernement évalue lui-même à plus de 4 % l’augmentation naturelle des dépenses de santé liées au vieillissement de la population, à la progression des maladies chroniques ou aux coûts de l’innovation.

Paradoxalement, c’est donc un budget d’austérité qui se dessine pour la santé en 2019 dans la mesure où sa progression se situe en dessous de l’augmentation naturelle des dépenses. Pourtant la question des moyens est posée de façon récurrente par les professionnels de santé. Le 15 juin dernier, 175 médecins ont encore alerté le Premier ministre à propos de ce qu’ils jugent relever d’une mise en danger d’autrui par manque de moyens. Ces soignants réclament du personnel et l’arrêt des fermetures de lit, 16 000 entre 2015 et 2017. En vain jusqu’à présent.

 

Les soignants réclament des effectifs et des moyens

 

Face à ces demandes répétées, Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, a fait un choix alternatif l’an dernier. Celui de développer les prises en charge en ambulatoire afin d’accélérer la sortie des patients de l’hôpital, considérant que ce dernier « garde inutilement des malades trop longtemps ». L’objectif ambulatoire est fixé à 70 % des actes. Mais le manque de moyens continue de s’inviter dans l’actualité. Le décès, faute de soins, de deux personnes âgées aux urgences de l’hôpital de Tours en mai dernier a traumatisé tout un service et ému l’opinion. Les conditions de vie des personnes âgées dans les Ehpad se retrouvent à échéance régulière dans la presse et ont conduit l’ensemble des organisations syndicales du secteur à déclencher la première grève nationale des Ehpad en janvier 2018. Fait inédit, l’association des directeurs d’établissements a soutenu le mouvement.

La question des moyens est également au cœur de nombreux conflits, souvent longs, parfois spectaculaires. À l’hôpital psychiatrique Philippe Pinel d’Amiens, les personnels sont en grève depuis 100 jours et ont depuis planté des tentes devant leur établissement. Leur banderole parle pour eux : « On ne veut pas plus de salaires ni plus de congés, on veut des moyens humains pour des soins humains ». Ils réclament des embauches. « Nous ne sommes que deux soignants pour nous occuper de 25 patients. À deux nous faisons du gardiennage, à trois nous faisons du soin et à quatre nous commençons à faire du soin psychiatrique », explique Christelle Leclerc, infirmière en fonction à l’hôpital Pinel et secrétaire générale du syndicat CGT. Après 100 jours de grève, ils seront enfin reçus pour une table ronde à l’Agence régionale de santé mardi 25 septembre, même si l’institution rechigne à accepter la présence des agents en lutte non syndiqués.

 

 

Avant Amiens, les services psychiatriques du Havre et du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen avaient aligné les semaines de grève. Des soignants s’étaient lancés dans des formes d’actions inhabituelles incluant une grève de la faim ou l’occupation du toit de leur établissement. En parallèle d’Amiens, le service psychiatrique de Niort entame son deuxième mois de grève. D’autres spécialités ne sont pas en reste. À Vierzon, les soignants et la population se battent depuis plus de 100 jours contre la suppression de 25 postes pour cause de restriction budgétaire, et les fermetures potentielles de services allant avec.

Avant eux, le Centre hospitalier universitaire de Toulouse et les urgences de Lyon ont connu leur mouvement de grève. A chaque fois, la question des effectifs et de l’impossibilité de remplir les missions de l’hôpital reviennent. Pour les syndicats de salariés du secteur de la santé, le nombre d’embauches nécessaires dans les hôpitaux et les Ehpad se chiffre à 300 000. Mais dans le plan, pas une ligne. Pas un mot non plus sur la dette de 29,8 milliards des hôpitaux, composée pour partie de prêts toxiques. Un vrai sujet avec celui des déficits des établissements hospitaliers.

 

La médecine libérale bichonnée

 

Alors, est-ce un plan pour rien, malgré les annonces tonitruantes ? « C’est de la poudre aux yeux et le gouvernement avance vers toujours plus de place au privé, au détriment du public. Pour eux, la recette pour sauver l’hôpital, ce serait de le privatiser », décrypte Édouard Gloanec, secrétaire départemental Gard-Lozère de Sud santé sociaux. En tout cas, les mesures annoncées ne répondent pas aux besoins exprimés. Pire, le classement des hôpitaux en trois catégories devrait conduire à des fermetures de services et de lits avec des structures de proximité sans chirurgie ni maternité.

À l’inverse, la création de 4000 postes d’assistants médicaux et le financement de 400 postes supplémentaires de médecins à l’exercice partagé ville-hôpital contentent les syndicats de médecins. « Ce qu’ils veulent, c’est faire plus d’actes médicaux rémunérateurs en profitant des plateaux techniques du public », s’agace Édouard Gloanec. Le syndicaliste y voit une mise en commun des coûts par les financements publics pour une individualisation des bénéfices.

La même logique prévaut pour les nouveaux assistants médicaux. Dans le but affiché de désengorger les services d’urgences, l’État prévoit que la Sécurité sociale finance ces emplois à partir du moment où les médecins libéraux acceptent de se regrouper. Emmanuel Macron a fixé pour objectif de libérer les médecins de 15 à 20 % de temps administratif pour le transformer en temps médical. Soit 15 à 20 % de consultations rémunérées supplémentaires. Un coup de pouce dont ne bénéficieront pas les professionnels de la santé exerçant dans le public puisque le point d’indices servant à calculer leur salaire est gelé. La rémunération des agents hospitaliers étant un autre absent du plan « Ma santé 2022 ».