quitter X pour les députés

Les politiques rechignent à quitter X, malgré sa toxicité et sa promotion de l’extrême droite

Le rôle joué par Elon Musk dans la victoire de Donald Trump aux États-Unis, les pouvoirs qu’il aura dans son administration et ses ingérences en faveur de l’extrême droite en Europe posent la question de rester ou quitter X. Une migration vers d’autres cieux est en préparation pour le 20 janvier, jour de l’investiture de nouveau président américain. Mais les politiques ne sont vraiment pas à l’avant-garde du mouvement.

« Cher·es député·es, cher·es collègues, qui suit si je quitte Twitter ? » interrogeait Sandrine Rousseau sur X, jeudi 9 janvier au soir. La députée écologiste participait alors, en direct, à un débat organisé par le média Au Poste, dont le but était de populariser un départ collectif de X (ex-Twitter) vers Bluesky ou Mastodon le 20 janvier. Le 11 janvier, son interpellation était doublée d’une lettre adressée l’ensemble des députés du Nouveau Front populaire (NFP), leur demandant une réponse avant le 15 janvier.

Depuis, faute d’une position officielle des Écologistes, plusieurs voix se sont élevées dans la formation politique pour annoncer un départ de la plateforme d’Elon Musk. Dès le vendredi, l’ex-candidat à la présidentielle Yannick Jadot annonçait qu’il quittait X, suivi par une poignée d’élus nationaux et locaux, dont la présidente du groupe parlementaire, Cyrielle Chatelain. Dimanche, c’était au tour de Marine Tondelier dans l’émission Le Grand Jury sur RTL, non d’annoncer son départ, mais d’affirmer « on doit tous quitter Twitter et j’ai posé la question aux chefs des autres partis du Nouveau Front populaire ». Même si pour elle, au-delà de départs individuels ou collectifs, plus ou moins nombreux, « ce réseau doit être interdit en Europe […] parce qu’il contribuera à déstabiliser les prochaines élections ».

Si la dangerosité politique de X et sa toxicité pour ceux qui l’utilisent (harcèlement, haine, désinformation) sont largement constatées à gauche – et même jusque dans le camp présidentiel – le passage des opinions aux actes, en quittant le réseau social, est rare. Mardi 14 janvier au soir, la proposition de Sandrine Rousseau de quitter X n’avait reçu qu’une dizaine de réponses positives de députés, majoritairement issus des bancs des écologistes, sur les 191 que compte le NFP.

Aucun départ massif de députés ou de responsables politiques n’est donc à attendre pour le 20 janvier. Interrogé sur Beur-FM ce lundi, le sénateur PCF Ian Brossat considère que « quitter X aujourd’hui revient à une forme de désertion ». Sans étayer plus avant cette assertion, l’élu communiste à la mairie de Paris poursuit : « aujourd’hui une partie du débat politique se fait sur X […] beaucoup de journalistes construisent leurs plateaux en regardant les positions prises par les responsables politiques sur X, un tweet a remplacé le communiqué de presse ». Apparemment en manque d’idée pour modifier cette réalité, le responsable politique s’interroge : « Si on quitte X, on fait quoi ? ».

Place du Colonel-Fabien, on admet qu’il n’existe pas de position officielle et que ce n’est pas à l’ordre du jour pour cause « d’actualité politique très dense ». Ainsi, pas de départ de X au Parti communiste, à de rares exceptions comme celle de l’ancien sénateur Éric Boquet, qui a annoncé le 8 janvier partir d’un réseau « devenu une arme idéologique, celle de l’individualisme radical et de l’État minimal ». De son côté Fabien Roussel, lors des vœux du PCF a affirmé « qu’il faut poser l’interdiction de ce réseau social en Europe », tout en maintenant son compte suivi par 100 000 personnes.

« L’interdiction de la plateforme d’Elon Musk », c’est également la réponse de Manuel Bompard, invité de la matinale de RTL mardi. Même si, son simple bannissement temporaire en Europe ou en France est déjà une procédure longue et complexe. « Je pense que les problèmes qui sont posés aujourd’hui par l’utilisation de X pour faire monter certaines opinions nécessitent une réponse collective et politique, pas une réponse individuelle ». Aucun départ des députés ou responsables LFI, ni individuel, ni collectif, n’est donc envisagé, même s’il ferait grand bruit et pourrait être de nature à déplacer en partie le débat politique, de X vers d’autres cieux.

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De source interne à LFI, on confirme qu’il n’y aura pas de départ le 20 janvier, même si l’ensemble des députés ont créé un compte sur Bluesky et que l’initiative de départ coordonné HelloquitteX est regardée avec bienveillance. Pour la formation « gazeuse », qui a théorisé depuis longtemps l’intérêt des réseaux sociaux, ce qui prime est « d’occuper tous les terrains pour faire passer nos idées ». « On a une grosse exposition. Quand tu mets une vidéo et qu’elle est vue par un million de personnes, c’est important », tout en admettant les paradoxes et questionnements permanents que cela pose.

Parmi les leaders du Parti socialiste, on évoque des états d’âme. Olivier Faure, son premier secrétaire, a affirmé en début de semaine réfléchir à quitter X. Pour le député PS Jérôme Guedj « la question de supprimer X se pose ». Pour sa part, le président PS du conseil départemental de Haute-Vienne a quitté la plateforme ces derniers jours. Mais il fait figure d’exception. En revanche, des états d’âme, il n’y en a pas à Lutte Ouvrière qui a décidé de rester sur le réseau social. « J’utilise tous les moyens possibles de diffuser mes idées », assume Nathalie Arthaud, l’ex-candidate aux élections présidentielles. Le soutien actif de Musk à l’extrême droite ne change rien. « Le fait que X appartienne à Musk, que BFM appartienne à Saadé, Le Parisien à Bernard Arnault et CNews à Bolloré fait partie de l’ordre social capitaliste […], comme tous les médias, la presse officielle fait le jeu de l’extrême droite, de même qu’un gouvernement bien centriste ».

Toujours du côté des formations politiques d’extrême gauche, le NPA dont deux figures – celles de Philippe Poutou et d’Olivier Besancenot – comptent respectivement plus de 300 000 et 100 000 followers, tranchera la question début février. Une des scissions du NPA, Révolution Permanente, restera sur X, où elle a déployé une stratégie numérique depuis plusieurs années.

L’impulsion de quitter X est venue de la société dite civile et les politiques ont été muets pendant près de deux mois à ce sujet. Dans le sillage de l’élection de Donald Trump, The Guardian annonçait dès le 13 novembre qu’il ne publierait plus sur le réseau social. Pour le quotidien britannique « X est une plateforme médiatique toxique et son propriétaire, Elon Musk, a pu l’utiliser pour façonner le discours politique ». Le second journal espagnol La Vanguardia lui emboîtait le pas, le lendemain, puis le journal suédois Dagens Nyheter. En France, le 19 novembre, c’était au tour de l’influant quotidien régional Ouest-France de faire de même. Des annonces suivies par quelques titres (Sud-Ouest, Le Courrier Picard, La revue dessinée), mais ignorées pour l’heure par la grande majorité des grands médias, pourtant les premières cibles d’Elon Musk.

Quelques médias indépendants français ont cependant annoncé rapidement leur départ : Vert, Au Poste, Regard, The Conversation et quelques autres. Une seconde fournée faisait de même avant les fêtes de fin d’année, tels que Mediapart, Basta ou nous même. Depuis, Alternative économique et Socialter ont rejoint la liste, mais d’autres ont choisi de rester, comme Reporterre ou Streetpress. Côté syndical, la CFDT a été la première à annoncer son départ début décembre. L’union nationale Solidaires a décidé, ce 15 janvier, qu’elle quitterait la plateforme, mais pas à la date commune du 20 janvier. Car toutes ses structures professionnelles et territoriales n’ont pas encore pris de décision. La FSU se déterminera lundi prochain, mais son syndicat de second degré, le SNES a déjà acté son départ. La confédération CGT n’a pas exprimé de position, même si son syndicat de journaliste a annoncé son départ il y a déjà longtemps.

Pour ce qui est des associations et des ONG, Greenpeace et Les Amis de la terre ont rapidement fait le choix de quitter X. Depuis, quelques-unes ont rejoint le mouvement, pendant que d’autres, comme Attac expliquaient rester. A l’approche de la date du 20 janvier, 87 d’entre-elles, dont la Cimade, Emmaüs ou la LDH ont signé une tribune annonçant leur départ. Quelques acteurs institutionnels quittent également X. C’est le cas de l’Université de Strasbourg, des Hôpitaux de Paris, de la ville de Quimperlé, du conseil départemental des Landes et de quelques dizaines d’autres.

Parallèlement, les messages annonçant un départ de X se multiplient sur la plateforme depuis début janvier. Une contagion qui poussera peut-être les politiques à modifier leur position et à suivre leur audience. En 2024, six millions de personnes en France se connectaient chaque jour sur le réseau social d’Elon Musk, dont deux tiers d’hommes.